Dans
un récent billet je vous ai parlé de ce livre de BA Jin, La pagode de la longévité. Ce titre est celui de la première
nouvelle des quatre qui composent l’opuscule. La dernière a pour titre L’arbre qui savait parler. Voici un
extrait extraordinaire de cette nouvelle, un conte que raconta un soir à son
fils, le père bien aimé : celui d’un mauvais empereur, cruel et arrogant.
"Il
faisait noir. La nuit tout était calme sur la grande route. Seul le pas lent et
monotone d’une personne y résonnait un très long moment. C’était le pas d’un
jeune homme. Fatigué, il s’assit enfin sous un arbre. Il appuya son corps
contre le tronc. Il y demeura silencieux. Il leva les yeux vers le ciel ;
là-haut brillaient les étoiles. L’odeur parfumée des arbres remplissait l’atmosphère.
Et cependant, il cria avec chagrin : « Comment se fait-il que je ne voie
pas les étoiles ? Sûrement, elles sont toutes dans le ciel. Comment se
fait-il que je ne vois pas les étoiles ? Tout est dans le noir ! Ah !
Je m’en souviens ! Comment ont-ils traité mes yeux ? Maintenant je ne
vois plus rien. Il tendit sa main pour essuyer ses yeux, il en ressentit une
douleur. Les cils et les paupières se collaient ensemble et il n’en restait qu’une
fente. Il ne voyait toujours rien, seules deux larmes tombèrent de ses yeux.
Soudain, il prit sa tête dans ses deux mains, et cria d’une voix pitoyable :
« Je ne vois plus rien ! Je ne vois plus rien ! ». Avec
désespoir, il pleurait. […]."
Le
narrateur ensuite décrit la démarche éplorée de la sœur du jeune homme. Elle le
cherche dans la nuit et finit par le retrouver. La sœur interroge son frère :
"
« — Frère, pourquoi traitent-il de cette manière les jeunes gens ? […].
« —
Tous les jeunes gens sont coupables ! Nous sommes tous coupables ! Ne
le sais-tu pas ? Aucun ne va aux environs du palais pour crier “Vive l’empereur”
Aucun ne marche sur la tête des « humbles ». […] Je suis coupable
parce que je ne crois pas qu’actuellement toutes les choses soient établies en
toute justice. Nous voulons aider les gens. Alors, je deviens coupable. J’ai commis
beaucoup de crimes. Ils veulent me châtier. » Le frère avait prononcé ces
paroles avec colère. De tous ses efforts, il voulut ouvrir les yeux, mais en
vain. […].
"Le
frère fut ému. En fait il aurait désiré la compagnie de sa sœur, mais il
sentait qu’il était trop tard. Il ne pouvait plus lui cacher la vérité, il lui
dit enfin pitoyablement : « Sœur, ne vois-tu pas maintenant que mes
yeux sont différents ? À quoi sert de me suivre ? Je ne vois même pas
ton visage ! »
La
sœur poussa un cri de terreur. Elle prit la tête de son frère entre ses deux
mains, et regarda attentivement ses yeux. La nuit était noire, elle ne voyait
rien. Mais les pupilles brillantes qu’elle connaissait bien en temps ordinaire
avaient disparu. Le noir couvrait le visage de son frère. Il lui avait dit qu’il
ne pouvait même plus voir son visage ! On lui avait arraché les yeux !
[…]."
Chers
amis et lecteurs, je garantis l’authenticité absolue de ces passages. Je ne
puis m’empêcher de penser à ces manifestants qui ont eu un œil crevé lors des
manifestations des Gilets jaunes. C’est qu’ils ne voulaient pas crier Vive l’empereur !
(Cf. https://www.huffingtonpost.fr/2019/02/01/ces-gilets-jaunes-ont-perdu-un-oeil-quest-ce-que-cela-veut-dire-exactement_a_23658310/)
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