dimanche 29 décembre 2019

Dimanche 29 décembre 2019. Contre Sapiens ou les approximations de monsieur Harari (1).




Contre Sapiens et ses erreurs.

On m’a offert à Noël le livre intitulé Sapiens. Une brève histoire de l’humanité. Pour être brève, elle est brève en effet, et même expéditive. J’ai été absolument fasciné par ce livre, écrit d’abord en hébreu, puis traduit en anglais par son auteur, Yuval Noah HARARI, et publié chez Albin Michel en français, en 2015, notamment dans une édition limitée, celle qui m’a été offerte.
Yuval HARARI est Israélien. Il est impossible qu’il ignore le contenu de la « Sainte Bible hébraïque » (pour reprendre une expression de Claude TRESMONTANT). Et pourtant… Et pourtant, il n’hésite pas à affirmer, page 267, §3 et 4 :
"D’innombrables chrétiens, musulmans et juifs croient à l’existence d’une force du mal puissante – comme celle que les chrétiens appellent Diable ou Satan –, qui peut agir indépendamment, combattre le Bon Dieu, et opérer des ravages sans la permission de Dieu.
"Comment un monothéiste peut-il adhérer à une croyance dualiste de ce genre, (Entre parenthèses, on ne la trouve nulle part dans l’Ancien testament.) Logiquement c’est impossible. […]"

Remarquons, pour commencer, deux choses : l’ordre dans lequel sont énoncées les trois religions monothéistes ; monsieur HARARI commence par les chrétiens, pour terminer par les juifs, comme s'ils étaient une sorte de timide appendice auquel il appartient par sa nationalité ; et remarquons ensuite qu’il attribue aux seuls chrétiens la dénomination de Satan ou Diable, alors que les musulmans le connaissent sous le nom de Sheïtan.
Voilà donc un homme qui se présente de par sa fonction et sa formation comme un érudit, israélien parlant hébreu et qui ose dire que l’on ne trouve JAMAIS cette croyance dans l’Ancien Testament. (Remarquons là encore qu’en prenant cette précaution langagière, il se permet d’échapper à bon compte à la critique qu’il porte aux chrétiens et aux musulmans, puisqu’il ne fait qu’évoquer le dualisme religieux, en passant sous silence la question de Satan comme personne). Mais alors, première question, d’où vient la croyance des Juifs en Satan, si celui-ci n’est jamais évoqué dans l’Ancien Testament, seule source inspirée reconnue par eux ?
Il est exact que l’Ancien Testament parle peu de Satan. (On verra plus bas pourquoi.) Néanmoins, Satan y est nommé sous ce nom dans le Livre de Job (chapitres 1 à 3). Et contrairement à ce que dit monsieur HARARI, Satan demande à Dieu la PERMISSION de tenter et déstabiliser Job. Il n’en prend pas l’initiative. Satan est nommé 4 fois dans le chapitre 1, versets 6 à 12, puis ensuite, à plusieurs reprises ici et là.
En hébreu Satan signifie l’Adversaire, et en grec, Diabolos, le Diable, signifie l’accusateur, le calomniateur, le Diviseur.
Le prophète Zacharie, au chapitre 3, verset 1 et 2, mentionne Satan en ces termes : "Il [un ange ayant forme humaine] me fit voir Josué le grand-prêtre qui se tenait devant l’ange de Yahvé tandis que Satan était débout à sa droite pour l’accuser"
Poursuivons notre enquête. Satan est formellement nommé dans le Premier Livre des Chroniques (et il semble que cette dénomination lui soit donnée comme son nom propre), au chapitre 21, verset 1. "Satan se dressa contre Israël et il incita David à dénombrer les Israélites." Dans un passage parallèle du deuxième livre des Chroniques, au chapitre 24, versets 1 à 8, Satan n’est pas formellement nommé. On y parle de "la colère de Yahvé" qui se dresse contre Israël.
Et puis il y a le mystérieux serpent, "le plus rusé de tous les animaux des champs" (c’est-à-dire une créature, ce point est capital), évoqué au début de la Sainte Bible hébraïque, au livre de la Genèse, chapitre 3, versets 1 et suivants. Le serpent est présenté ici comme une créature de Dieu envieuse du bonheur édénique de l’homme. Ce serpent a toujours été considéré, dans la tradition juive et chrétienne comme une figure de l’Ange déchu, de celui qui a dit dans son orgueil : je ne servirai pas !

Comprenez bien qu’il ne s’agit pas ici de discuter de l’existence ou de la non existence de Satan, mais de démontrer que l’assertion d’HARARI est fausse : si, l’ancien Testament parle bien de Satan.
Mais pourquoi en parle-t-il si peu ? Le Vocabulaire de Théologie Biblique (Sous la direction de Xavier LÉON-DUFOUR, Les éditions du Cerf, Paris, 1962), à l’article Satan, page 998, l’explique fort bien : "L’Ancien Testament ne parle que très rarement de Satan et sous une forme qui, sauvegardant la transcendance du Dieu unique, évite soigneusement tout ce qui aurait pu incliner Israël vers un dualisme auquel il n’était que trop porté." Autrement dit, c’est précisément pour ne pas sombrer dans ce dualisme que Satan est peu nommé, et c’est pour sauvegarder la Transcendance de Dieu que nom de Yahvé n’est jamais prononcé autrement que sous celui d’Adonaï.

L’intention de monsieur HARARI me semble claire : faire porter sur les épaules des chrétiens la suspicion de dualisme, car selon lui il est impossible d’être dualiste : "Ou bien vous croyez en un Dieu unique et tout puissant, ou vous croyez à deux forces opposées."
Voilà son mode de raisonnement : affirmer des choses fausses ou approximatives, puis asséner qu’il est impossible de croire à l’existence de Satan. Il ne voit pas que Satan est une créature, certes puissante et libre, mais que pour les chrétiens elle est une créature qui a déjà perdu la bataille cosmique dont le commencement coïncide avec l’origine du monde.

J’aurai l’occasion de revenir sur la manière dont monsieur HARARI traite le Zoroastrisme ou le Confucianisme, en me fondant sur les cours que j’ai suivis au Collège de France sur ces deux croyances.

2 commentaires:

Gilles a dit…

Excellente analyse, captivante... et j'en profite pour vous souhaiter, cher Philippe, une année 2020 exaltante et suivie de beaucoup, beaucoup d'autres !!... Amicalement. Gilles Jaudouin

Philippe POINDRON a dit…

Merci cher Gilles ! Bonne et heureuse année et à bientôt sous le soleil du midi.