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Je
voudrais revenir sur le billet intitulé : « Il paraît que je jette de
l’huile sur le feu ». Il y est fait allusion à l’ordre symbolique. Je
disais que l’ordre symbolique est l’expression d’une civilisation. Un symbole
est, sommairement, définissable comme un « être, un objet, un fait
perceptible, qui, par sa forme ou sa nature, évoque spontanément (dans un
groupe social donné) quelque chose d’abstrait ou d’absent ». La définition
est cependant insuffisante, car si elle souligne le lien entre le perceptible
et l’imperceptible, elle ne dit pas que ce lien est arbitraire. C’est
précisément l’arbitraire du lien qui définit une civilisation.
Il
me paraît évident que la civilisation post-moderne, dont nous subissons les
effets désastreux, est le fruit d’un ordre symbolique dont il nous faut saisir les
aspects visibles pour accéder aux éléments invisibles, abstraits ou absents
auxquels ils sont reliés de manière arbitraire, comme un panneau sens interdit
l’est à l’interdiction d’emprunter une rue dans un certain sens.
Ainsi,
plutôt que de gémir sur la post-modernité dont nous subissons de plein fouet
les dégâts collatéraux et les ravages, il me paraît plus utile de chercher
comment et par quels symboles s’expriment cette civilisation et de déterminer à
quoi ils renvoient.
Je
vais énoncer quelques pistes : essayer de décoder les ficelles
symboliques de la publicité ? Chercher le nombre de fois où apparaissent
les mots « moi », « mon », « je », « efficacité »,
« rapidité » (et toutes les variantes de la chose), « plaisir ».
Je me ferai une joie de vous donner demain quelques exemples. Examinez les
grosses ficelles du monde de la culture (lire les critiques littéraires des
nouvelles parutions et voir dans quelle catégorie, bonne ou mauvaise, on va
classer les ouvrages de l’inénarrable ANGOT [bonne] ou ceux de GUILLUY ou de MICHEA [mauvaise],
par exemple ; détecter derrière les compliments et les reproches les
ressorts cachés, en général libertaires, de ces appréciations : exaltation
d’impossibles amours entre deux hommes ou deux femmes, ou entre une femme
mariée et son amant, par exemple et comparer avec le traitement que l’on
réserve à des ouvrages de VERGELY ou de BELLAMY). Scrutez les fameux « éléments
de langage » qui émaillent les discours médiatiques, des éléments élaborés
à coups de milliers d’euros par des armées de communicants, analyser le
vocabulaire des hommes politiques (de la majorité comme de l’opposition). Et
vous verrez apparaître en filigrane, puis de plus en plus nettement à quoi
renvoie cette civilisation : absolutisation du désir personnel, exigence
de le voir satisfait immédiatement, ignorance absolue de l'existence de l'autre, refus de l’effort (sauf quand il s’agit de
sculpter son corps à coup de body-building ou de marathon médiatisé, comme celui de New-York),
victimisation, évaluation permanente du rapport qualité/prix d'un choix, et en fin de compte, chapeautant
ce fatras, le remplacement du lien social (impliquant des rapports intersubjectifs
entre les êtres humains), par des liens électroniques – les fameux objets
connectés – qui laissent à leurs utilisateurs le loisir de se contempler le
nombril quand dans la rue des dizaines de sans-abris tremblent de froid. Cette
civilisation a un nom : celle de la civilisation de la marchandise, de la
production à outrance, de l’argent. On pourrait – qu’on me pardonne cette
vulgarité – la résumer par le trop fameux : Tout pour ma gueule !
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