Yves est incorrigible ; il m'a gentiment fait remarquer qu'Elisa m'avait, dit-il, poussé dans mes derniers retranchements à propos du mariage homosexuel. Je tiens à faire ici litière de cette remarque.
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J'ai fait allusion, pour attaquer l'inepte disposition d'imbéciles arrivés par hasard au pouvoir et incapables de régler les énormes problèmes qui se posent à notre patrie, à des arguments anthropologiques. J'ai notamment avancé que dans toutes les civilisations, toutes les cultures et toutes les époques, il existait des rituels sociaux destinés à marquer l'union stablesocialement reconnue d'un (ou plusieurs) hommes avec une (ou plusieurs femmes). La polygamie se déployait en Chine dans des raffinement inouïs de hiérarchie entre l'épouse principale, les épouses secondaires et les concubines. Il y avait pour désigner ces différentes sortes d'épouses et compagnes des mots spécifiques. CONFUCIUS considérait qu'il était très grave moralement pour un mari de traiter différemment ces diverses catégories de femmes. Une telle disposition sociale répondait d'une part à la nécessité d'avoir une descendance mâle pour assurer le culte des ancêtres ; l'homme s'essayait à procréer jusqu'à engendrer enfin celui qui l'honorerait après sa mort, et d'autre part au principe de plaisir ; le même CONFUCIUS n'hésite pas à dire : "Je n'ai jamais rencontré d'homme qui aimât la vertu autant que le sexe".
Disposition contraire chez les Tibétains, où l'on pratiquait la polyandrie ; une femme tibétaine pouvait avoir plusieurs maris, ceci pour des raisons économiques. Chez les Grecs, on se mariait pour avoir des enfants, et les relations homosexuelles étaient souvent pratiquées pour la seule satisfaction de la libido. On en finirait pas de broder sur les diverses formes de mariage à travers l'histoire et les pays.
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A ma connaissance, le seul peuple chez qui il n'existe pas d'institution rituelle socialisée du mariage, encore aujourd'hui est celui des NA (cf. CAI HUA. Une société sans père ni mari, les NA de Chine. Presses Universitaires de France, collection Ethnologies [pluriel sic ], Paris, 2000 (pour la 4e édition, celle que je possède). Peut-être y en avait-il d'autres. CAI HUA évoque les NAYAR. Je n'ai pas pu retrouver les coutumes de ce peuple.
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Je dois vous dire tout de suite que le titre du livre de CAI HUA est trompeur. Car s'il est vrai qu'il n'y a pas de cérémonie rituelle de mariage, il est faux de dire qu'il n'y a pas pour l'enfant de représentant symbolique du père, et qu'il n'y a pas pour la femme de représentant symbolique de mari. Du reste, dès l'Introduction de ce livre, page 17, l'auteur cite un ethnologue américain. Que dit celui-ci ? :"Le mot père est inconnu, et c'est presque insultant de demander à un enfant [...] où se trouve son père. Ils disent tous qu'ils n'ont pas de père. Ils ont tous un A-gv ; il est soit le frère de leur mère, soit leur père biologique, sans qu'ils sachent avec certitude qui est leur véritable père. De plus les coutumes matrimoniales qui ont cours parmi la population laïque sont l'inverse de celles des Chinois. A YONGNING, c'est la fille qui reste à la maison, et elle choisit elle-même pour mari un garçon qu'elle gardera aussi longtemps qu'il travaillera et aussi longtemps que sa présence lui plaira. Elle peut le renvoyer à tout moment, et choisir pour elle-même un autre mari. Son frère, si elle en a un, peut rester avec elle, et il occupe la place du 'père', c'est lui qui est appelé A-gv. [...]." L'observation de ce J.-F. ROCK manque de rigueur surtout dans son vocabulaire. Il importe seulement de noter que chez les NA, la lignée est matrilinéaire, qu'il y a bien une figure masculine, appelé A-gv à qui peuvent se référer les enfants, et qu'il existe une certaine fidélité sexuelle laquelle ne trouve ses limites que dans celle de la satisfaction ou du plaisir, mais dans le fond ne diffère guère de ce qui se passe chez nous avec le divorce. Si je cite ce livre et parle de ce peuple, c'est qu'on a brandi son exemple comme preuve de la non-universalité du mariage. Hors certains rites (comme celui d'indiquer que la maison de la femme reçoit la visite d'un homme), l'existence de l'A-gv révèle bien la structure sous-jacente à tout développement humain : une figure maternelle féminine, une figure masculine comme représentant la fonction paternelle, le plaisir sexuel et la procréation. Ce qu'il y manque pour être l'exact équivalent d'un mariage à l'occidental, c'est le sceau juridique de l'engagement mutuel. Mais, et ROCK le souligne, la relation d'une femme et d'un homme de l'ethnie NA peut être durable. La liberté des moeurs est très grande chez elle, mais il n'est pas fait mention de pratiques homosexuelles.
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Alors permettez-moi de citer ici René GIRARD. Dans une conférence consacrée à l'origine des religions, des mythes et des rituels, René GIRARD discute avec d'autres très grands chercheurs, comme Walter BURKERT ou Jonathan SMITH et d'autres encore de ces questions d'anthropologie religieuse. Au cours de la discussion générale, où il se trouve en opposition sévère avec SMITH, René GIRARD s'exclame : "Le respect des singularités culturelles est certes essentiels, mais il n'est pas correctement conçu s'il paralyse la réflexion théorique. Si toutes les notions universelles doivent être condamnées au motif qu'elles sont 'monolithiques', l'anthropologie ne deviendra jamais une science, et l'intérêt qu'elle présente sera du coup très limité. La recherche d'une flexibilité maximale et de définitions 'larges' est légitime dans le cadre d'un travail purement descriptif, mais l'anthropologie ne peut se résumer à des descriptions. si la recherche d'un RESSERREMENT DES DÉFINITIONS et d'outils intellectuels applicables à plus d'une seule culture se trouve a priori découragée, la pratique actuelle ne peut déboucher que sur la stérilité intellectuelle. Même dans le champ des études littéraires, la quête d'universaux n'a jamais cessé." (In Sanglantes Origines, Flammarion, Paris, 2011.)
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CONCLUSION : le recours à l'anthropologie pour dénoncer les imbécillités et ceux qui les élaborent est parfaitement légitime ; le cas des NA qui privilégient le sentiments, les qualités, la valeur, indique, et ce n'est pas le moindre des paradoxes, qu'il n'est pas besoin de rituel social de mariage pour reconnaître de la légitimité de ces motifs à l'union sexuelle et à la procréation. Cela veut tout simplement dire que le mariage remplit une autre fonction qui dépasse le simple cadre des personnes singulières. Et c'est cela qu'il faut trouver. A quoi sert le mariage ? Voilà la vraie question.
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Par ailleurs, Yves s'étant montré choqué de mon recours à la terrible malédiction que Paul de TARSE fait peser sur les homosexuels, je vais non pas me justifier de l'avoir fait, mais situer la condamnation dans le contexte de l'époque, d'une part, et dans le corpus paulinien, de l'autre.
2 commentaires:
Vous m'excuserez de me soustraire à la conversation, je ne sais pas ce que disait Yves, je ne sais pas si j'ai poussé Philippe dans "ses derniers retranchements", je l'ai juste provoquer à parler aussi franchement que l'eglise russe par exemple, parce que cela simplifie les choses de poser les problemes tels que chacun les voit vraiment. Si vraiment l'on pense qu'un probleme est serieux, alors éviter de dire les choses franchement, c'est un peu comme si un medecin disait "ha c'est trop degoutant je ne veux pas operer".
Paul était un vieux garçon ancien persécteur selon ses dires, cela n'incline pas à une grande compréhension humaine. Personnellement j'aime les prophetes et les pretres qui pleurent et pas ceux qui se croient intelligents. Je sais ce n'est pas tres clair, mais c'est tout ce que j'ai envie de dire ici.
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