mardi 2 mars 2010

Les jésuites, Hegel et la Chine

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On est tout à fait confondu de voir que le Parti Communiste Chinois s'appuie sur HEGEL pour justifier sa conception de l'Histoire et du sens de l'Histoire. On est tout à fait confondu de constater qu'il s'appuie sur un philosophe considérable, certes, mais qui a dénigré leur pays, et qu'il a persécuté, et continue de le faire, les chrétiens et leurs missionnaires qui ont fait connaître à l'Europe leur civilisation et leur pensée avec une bienveillance et une précision inégalées.
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Toutes ces données, j'ai pu en prendre connaissance en suivant au Collège de France les cours du Pr Anne CHENG sur l'histoire de la pensée chinoise, et le confucianisme, et en approfondissant ce qu'elle avait si brillamment expliqué à son auditoire, par quelques lectures qu'elle nous avait indiquées.
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Matteo RICCI, dont nous fêtons en cette année 2010 le quatrième centenaire de la mort, était jésuite. Il arriva en Chine dans les années 1580, se mit à l'étude de la langue chinoise qu'il finit par pratiquer, lire et écrire, avec une telle connaissance que les Lettrés chinois le reconnurent comme l'un des leurs. Il fit connaître à l'Europe quelques oeuvres majeures, des Classiques notamment, et traduisit en chinois des ouvrages scientifiques dont les éléments de la géométrie d'Euclide. Le relais fut pris par d'autres jésuites, et en 1687, parut à Paris un énorme ouvrage, imprimé sur l'ordre de Louis XIV et aux frais de l'état, intitulé "Confucius sinarum philosophus". On devait à l'opiniâtreté de l'un de ses principaux éditeurs, Philippe COUPLET, d'avoir mené à bien ces oeuvres collectives qui mobilisa une équipe nombreuse de collaborateurs. Écrit en latin, le livre donnait au public la première traduction des Entretiens de CONFUCIUS. Les savants missionnaires le présentaient comme un saint et un philosophe et son enseignement comme le reflet d'une théologie naturelle. Bref, ils témoignaient pour la Chine, sa culture et son peuple, un respect profond, une très grande admiration et une estime qui depuis n'eut plus jamais d'équivalent. Diversement interprété par les élites intellectuelles européennes, l'ouvrage (avec quelques autres dus aussi aux jésuites, comme DU HALDE ou le Père de MAILLA) modela durablement la représentation que l'Europe se faisait de la Chine. Le regard des jésuites était profond, bienveillant, et juste.
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Mais c'était sans compter avec l'arrogance des Lumières qui prétendaient penser l'universel. Certes VOLTAIRE fut un sinophile remarqué, dans le milieu de sa carrière littéraire. Mais MONTESQUIEU avait jeté l'opprobre sur le régime politique de la Chine, par lui déclaré despotique. Condamnation sans appel, et en même temps, émergence d'une philosophie professionnelle qui devait culminer avec la grande école philosophique allemande dont HEGEL fut le plus éminent représentant (mais il y avait bien avant KANT, et à peu près aux temps de HEGEL, TENNEMANN ou SCHLEGEL). Il vaut la peine de lire dans L'histoire de la philosophie de HEGEL, un texte qui montrera la différence de point de vue entre ceux qui prêchaient l'Evangile et celui qui prétendait incarner la vraie philosophie. J'ai pris soin de relire dans cette oeuvre (traduction de J. GIBELIN), tout le passage consacré aux Chinois dans la section intitulée La philosophie orientale :
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"La morale [de CONFUCIUS] est bonne et honnête, sans plus ; ne nous attendons pas à y rencontrer de profondes recherches philosophiques ; il faut encore moins songer à trouver chez lui de la spéculation. CONFUCIUS fut un homme d'affaires (sic), d'une sagesse pratique. Pour nous, il n'y a rien à glaner dans son enseignement. Nous n'avons pas par conséquent à y insister davantage ; les propositions qu'on y relève se trouvent partout, sont universellement connues. Le De officiis de CICERON vaut peut-être mieux et offre pour nous plus d'intérêt que tous les livres réunis de CONFUCIUS ; ceux-ci sont très délayés, comme des livres de prédications morales. On peut donc dire avec raison qu'il aurait mieux valu pour la réputation de CONFUCIUS que l'on n'eût pas traduit ses ouvrages. Ainsi, en nous faisant connaître son système de morale par une traduction allemande, on lui a fait perdre chez nous beaucoup de sa réputation."
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Pour être tout à fait juste, il faut signaler que HEGEL a, très curieusement, annexé le Taoïsme et le TAO, à la religion de la raison, sans qu'aucun élément concret ou linguistique ne viennent appuyer cette très curieuse analyse, à lui très certainement inspirée par ABEL-REMUSAT.
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Je conclus : entre l'avis des jésuites - certainement inspirés par un souci d'évangélisation, mais toujours appuyé sur une parfaite connaissance de la langue chinoise - et celui de HEGEL - qui avait sur ladite langue qu'il ne connaissait pas, un avis péremptoire, ironiquement souligné par le Pr CHENG pendant son cours, je ne balance pas. Je préfère l'oeil bienveillant à l'oeil qui croit tout savoir mais ne sait que ça.
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