Comme je passe quelques jours de vacances délicieux près d'AVIGNON, je me permets de rafraîchir la mémoire des Comtadins. Pour aujourd'hui, le message s'adresse aux habitants du charmant bourg de BEDOUIN au pied du Mont VENTOUX.
"Le
conventionnel Etienne MAIGNET, né à AMBERT en 1758, petit-fils d'un boucher,
d'abord destiné à l'état ecclésiastique et tonsuré, puis avocat en 1782,
administrateur du PUY-de-DÔME et député de ce département à la Législative,
avait été élu membre de la Convention. Ce fut surtout un « Représentant en
mission », un émule de LEBON, de CARRIER, de COLLOT d'HERBOIS et de FOUCHE. En
octobre 1793, il travaillait à l'exécution du décret qui ordonnait la
destruction de LYON pour punir cette ville d'avoir « fait la guerre à la
Liberté ». Le 5 Brumaire (26 octobre), il adressait de Ville-Affranchie à la
Convention ces lignes que signaient aussi COUTHON et CHATEAUNEUF : « Nous avons
arrêté de porter nous-mêmes ce matin, au nom de la souveraineté du peuple
outragée, le premier coup aux fortifications qui bravaient la force nationale
et aux maisons fastueuses souillées par le crime de la rébellion. Huit cents
ouvriers ont déjà commencé à travailler à ces démolitions. Nous avons nous-même
frappé le premier coup de marteau pour la démolition de cette ville rebelle. Cette
ville a complètement besoin d'être régénérée. Elle renferme bien peu de
patriotes purs. Il nous faut une colonie de patriotes.... » — Au nom du Comité
de Salut Public, BARERE annonçait alors que des « missionnaires choisis parmi
les patriotes les plus prononcés » allaient être expédiés à Lyon par la Société
des Jacobins. Au début de 1794, MAIGNET fut chargé de terroriser les BOUCHES-du-RHONE
et la VAUCLUSE. En résidence à Marseille, il y demeura six mois, multipliant
les arrêtés, les proclamations et les victimes, pérorant dans les sociétés
populaires, veillant souvent jusqu'à quatre heures du matin pour accomplir son
« vertueux » labeur: car il était « vertueux », — à la manière de Robespierre
dont on le disait « le Singe », — et son fanatisme paraissait aussi sincère que
féroce. Pour mesurer la férocité de ce grand fauve, — de ce « Bourreau du Midi
», comme on le surnomma aussi — il suffit de rappeler d'abord l'un de ses
exploits: le châtiment de BEDOUIN. Bâti en amphithéâtre sur les premières
pentes du mont VENTOUX, à quelques heures d'AVIGNON, BEDOUIN était un bourg de
deux à trois mille âmes, peuplé de cultivateurs aisés, d'éleveurs de vers à
soie, de potiers, de tuiliers, de marchands revendeurs et de paisibles
bourgeois. Tous ces braves gens se souciaient peu des lois révolutionnaires.
Ils avaient fourni aux armées de la République deux cent quatre-vingts
volontaires, ce qui était alors pour beaucoup le meilleur moyen d'échapper à la
proscription, mais ils ne pourchassaient ni les parents d'émigrés, ni les
insermentés, prêtres et religieuses qui continuaient à pratiquer discrètement
leur culte. L'église paroissiale était fermée et on en avait envoyé
l'argenterie à la Monnaie, mais on ne l'avait pas dépouillée de ses statues ni
d'autres « signes de superstition ». La Municipalité avait aussi négligé
d'enlever de la Maison Commune les fleurs de lys et les chaperons des anciens
consuls, de nettoyer les maisons particulières des titres féodaux, lettres
patentes du Pape, cachets armoriés, « cœurs enflammés » qu'on avait l'audace
d'y conserver. Bédouin apparaissait en somme comme une riante oasis de
tolérance et de liberté... C'était intolérable ! Par une nuit obscure, celle du
Ier au 2 mai 1794, des inconnus arrachèrent l'Arbre de la Liberté planté sur la
place publique, jetèrent dans un puits le bonnet phrygien qui le surmontait, et
arrachèrent les décrets de la Convention placardés à la Mairie. La
Municipalité, le Comité de Surveillance et le juge de paix dressèrent
procès-verbal du fait, mais durent déclarer leur impuissance à découvrir les
coupables. Par arrêté des 14 et 15 floréal (3 et 4 mai), MAIGNET, « au nom du
Peuple Français », considérant que « le soupçon devait tout envelopper » dans
le pays où avait pu se commettre de tels crimes de « lèse-nation », ordonna au
Bataillon de l'ARDECHE d'occuper BEDOUIN et au Tribunal Criminel du VAUCLUSE de
juger « révolutionnairement » les membres de la Municipalité et du Comité de
Surveillance, avec « tous les ci-devant nobles, prêtres et autres gens suspects
», auteurs présumés de « ce complot liberticide ». LE GO, ancien notaire à
Paris et banqueroutier, alors agent national du district de CARPENTRAS, était
chargé de désigner six citoyens étrangers à BEDOUIN et d'un « patriotisme »
éprouvé qui remplaceraient la Municipalité et le Comité de Surveillance
destitués. Le maire de BEDOUIN. Sylvestre FRUCTUS, âgé de 64 ans, fabricant de
tuiles, était encore au lit lorsqu'il apprit, le 5 mai, que LE GO occupait le
bourg avec 250 hommes du bataillon de l'ARDECHE, cinq chasseurs et cinq
gendarmes. FRUCTUS s'enfuit en chemise et pieds nus; un volontaire tira sur lui
et le manqua, mais la peur lui coupa les jambes et il fut conduit, tel quel, à
la Maison Commune avec les principaux notables et le juge de paix. Tous les
habitants reçurent en même temps l'ordre de se rendre à l'église, où le chef de
bataillon SUCHET et LE GO, montant en chaire, les exhortèrent à dénoncer les
coupables. Personne ne put les nommer. On retint alors prisonniers les suspects
: ex-nobles, prêtres, religieuses, trois notaires, avec les mères, frères et
sœurs des émigrés et des autres personnes désignées par la loi ou par les
arrêtés de MAIGNET. On leur adjoignit les chefs de la Garde Nationale, les
membres de la Municipalité et du Comité de Surveillance. La commune, qui deux
fois déjà avait été désarmée, le fut une troisième fois; et LE GO écrivit à MAIGNET
: «Je compte demain faire un emballage de nos suspects et les adresser à
l'accusateur public avec le procès-verbal». SUCHET lui écrivit par le même courrier:
«
... II n'existe pas dans cette commune la moindre étincelle de civisme, et des
mesures de violences et sur les lieux sont indispensables. Nous agissons
révolutionnairement, mais cela ne touche pas du tout ces âmes toutes papisées.
Une prompte exécution peut seule réveiller d'une manière efficace toutes les
communes circonvoisines qui ne valent guère mieux... Adieu. Nous allons
prendre la liste de tous les scélérats qui, sous l'habit de sans-culottes,
nourrissent le fanatisme, l'aristocratie et tous ses crimes. Salut et amitié.
Ça va et ça ira.
SUCHET,
soldat, chef de bataillon »
Soixante-trois
prisonniers furent amenés, la chaîne au cou : parmi eux, le maire. Sylvestre FRUCTUS,
quatre officiers municipaux, l'ancien agent national, le juge de paix, un
membre du Comité de Surveillance, le président de la Société populaire, trois
officiers et un sergent de la Garde Nationale, un homme de loi, trois notaires,
six prêtres, deux religieuses, six nobles ,— Joseph de VAUBONE, âgé de 73 ans.
et sa femme; le lieutenant-colonel de MOLIERE et sa femme ; la veuve de BELIZY et
sa fille, — six nobles sur soixante-trois condamnés. Deux autres femmes, dont
une jeune fille de 19 ans... SUCHET cria à une femme éplorée : « Si quelqu'un
veut pleurer, qu'il se retire, autrement je le ferai guillotiner ! » Puis, aux
gardiens des condamnés : « J'en veux la moitié pour donner le plaisir de la
fusillade à mes volontaires ! » On répartit, en effet, les prisonniers en deux
lots : seize furent successivement guillotinés; les quarante-sept autres, — la
part du lion, — furent livrés à SUCHET et fusillés dans un pré voisin. Le soir,
tandis que les cadavres, dévalisés et dépouillés, étaient enterrés dans une
immense fosse ; tandis que les parents des suppliciés, c'est-à-dire tous les
habitants, étaient plongés dans la douleur, LE GO, SUCHET et les juges
faisaient grande chère au couvent des Dominicains et buvaient bruyamment à la
santé de MAIGNET."
BEDOUIN
fut ensuite incendié, et les maisons qui avaient échappé au feu furent
détruites par des sapeurs pour extraire le nitre de leur pierre !
SUCHET
devint Maréchal de France et duc d’ALBUFERA, sous BONAPARTE devenu empereur.
Rallié à Louis XVIII, il devint Pair de France ! Et il a même droit à un
boulevard à PARIS. Comme quoi, en France, on a la mémoire courte.
In
Gustave GAUTHEROT.
La Terreur en Vaucluse. Le drame d’Orange.
AUBANEL, FILS AINE» EDITEUR, AVIGNON
15, PLACE DES ETUDES, 15
1926.
Je reviendrai bientôt sur les 332 Français qui furent décapités à ORANGE pendant cette même période, sans compter les prisonniers de la Glacière en AVIGNON qui subirent le même sort, ou encore ceux de MORNAS ou de CARPENTRAS.
Et dire qu'il y a encore des Comtadins qui se reconnaissent dans la République dite Française.
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