Je désire répondre ici aux remarques et critiques que m'ont adressées Pierre-Henri THOREUX et Pascal HUTTEN à la suite de mon billet consacré à l'antisémitisme de VOLTAIRE. Je le ferai en trois parties. La première portera sur des questions de méthode, la seconde sur des questions d'interprétation, la troisième sur des questions matérielles d'éditions.
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1. Questions de méthode.
J'admets volontiers avec mes contradicteurs que VOLTAIRE exprimait ses sentiments hostiles aux juifs, en s'appuyant sur les écrits vétérotestamentaires qu'il prenait au pied de la lettre, et qu'il ne faut pas les confondre avec l'antisémitisme des nazis. En fait, comme le dit Pascal HUTTEN, il s'agissait pour lui de démontrer que le christianisme s'appuyait sur une histoire et des doctrines fausses et que par conséquent, il était faux.
Mais il ne faut pas faire aux catholiques du temps de VOLTAIRE le procès d'avoir pris au pied de la lettre, comme VOLTAIRE, les écrits vétérotestamentaires. Ce qui est juste pour l'un, est juste pour les autres.
Nous devons donc constater une divergence d'opinions,fondée sur une lecture et des interprétations différentes des mêmes textes. Nous devons aussi admettre que ces interprétations ont conduit au fanatisme DES DEUX CÔTES. Quand on parle d'étrangler l'infâme, on ne fait pas dans l'angélisme. La Révolution française, hélas, a réussi pour un temps, au prix du sang de milliers d'innocents, à écraser cet infâme que désignait l'homme de FERNEY. Et je vous invite à relire la prophétie de LA HARPE racontée par CAZOTTE ou des nobles - qui allaient perdre la vie à la Révolution - chantaient à tue-tête dans un élégant salon, qu'il "fallait pendre le dernier roi avec les tripes du dernier prêtre".
VOLTAIRE a sélectionné, pour élaborer les critiques qu'il adresse au peuple juif, les passages de l'Ancien Testament qui lui convenaient. Il ne faut donc pas s'étonner que ses contradicteurs utilisent la même méthode et sélectionnent dans les écrits du philosophe ce qui leur convient. Quand Pierre-Henri vient contrebalancer par d'autres extraits ce que les citations choisies par moi ont d'affreux - hors contexte, ce qui est évidemment une erreur de ma part, relevée par Pascal HUTTEN dont les compléments sont très éclairants - par des passages qui adoucissent ou contredisent ces citations, alors il faut appliquer la même méthode d'intertextualité aux textes de l'Ancien Testament. Il y a des textes du Pentateuque qui expriment avec force la condamnation de la violence, du meurtre, de l'exploitation des esclaves ou de mauvais accueil de l'étranger ; qui condamnent même la vengeance, puisque, comme le note René GIRARD, CAÏN qui vient de tuer son frère ABEL et craint les représailles, est rassuré par Dieu qui le met à l'abri de cette malédiction.
Toujours dans les questions de méthode, il convient de ne pas juger avec des yeux du XXe siècle, des faits et des écrits vieux de plus de deux siècles. La bonne méthode historique consiste d'abord à écouter ce que les hommes du temps disent de leur temps ; elle consiste donc à rechercher, analyser, critiquer et peser la pertinence des sources (et c'est là où se pose le problème pour le Dictionnaire philosophique).
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2. Questions d'interprétation.
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Il est patent que VOLTAIRE a tenu des propos négatifs sur le peuple juif. Tout le problème est donc de savoir si ces propos étaient antisémites ou pas. J'aurais tendance à répondre oui et non. Ils n'étaient pas antisémites au sens où on l'entend en parlant de la politique nazie, mais ils l'étaient clairement en isolant au sein de la masse des hommes (notez bien que je ne parle pas d'humanité, la tarte à la crème des pires tyrans de la Convention) un ensemble de personnes partageant la même croyance, dont on soulignait l'avarice, la cupidité, l'extravagance ou la superstition. Son antisémitisme n'était donc pas racial mais religieux. Il y a là une nuance importante à apporter à l'interprétation des propos de VOLTAIRE.
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3. Questions matérielles d'édition.
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Il semble bien - j'ai consulté des sites de vente de livres anciens sur internet - que VOLTAIRE n'ait écrit qu'un ouvrage méritant le titre de Dictionnaire philosophique et portatif publié en 1764, à Genève (et non pas à Londres précise un article de WIKIPEDIA), mais aussi à AVIGNON (sous la fausse indication de LONDRES), c'est-à-dire à l'étranger. Cet ouvrage connaît de nombreuses rééditions, souvent augmentées de divers articles et il est alors publié sous le nom de La raison par l'alphabet. En 1773, paraît chez Salmon, (à PARIS ?), une réimpression des éditions de 1769 et 1770, donc du vivant de VOLTAIRE. Une autre édition, datée de 1767 est présentée comme publiée à LONDRES par l'auteur. Je n'ai pas pu savoir ce qu'il en est. Mais le titre indique que cette édition est augmentée de XXXIX articles.
En 1773, une autre édition de ce dictionnaire est publiée par VOLTAIRE. Elle est revue, corrigée et augmentée par lui. On ne connaît pas le lieu de cette édition.
En 1792, l'ouvrage est publié à HAMBOURG, chez P.F. Fauche.
Je retrouve aussi une édition en 14 volumes, publiées cher Pierre DIDOT l'aîné et Firmin DIDOT, en 1809. Elle a pour titre : Dictionnaire philosophique dans lequel sont réunis les questions sur l'Encyclopédie, l'opinion en alphabet, les articles insérés dans l'Encyclopédie et plusieurs destinés pour le dictionnaire de l'Académie.
DIDOT l'aîné remet ça en en 1813 et en 1816.
En 1819, encore une édition en 6 volumes chez Antoine-Augustin RENOUARD.
Puis sont publiés en cascade, sous le nom de Dictionnaire philosophique, isolément ou insérés dans les oeuvres complètes, en 1825, chez Salmon à PARIS (oeuvres complètes en 66 volumes), chez Barba à PARIS (Dictionnaire philosophiques en 9 volumes - bizarre si l'on compare au Dictionnaire portatif !), en 1826 chez Pierre Dupont en 7 volumes, en 1829 chez Armand Aubrée à PARIS dans les oeuvres complètes dont les tomes 30 à 35 contiennent le Dictionnaire philosophique, en 1836 chez Bacquenois, en un volume, formant le tome 6 des oeuvres complètes.
Etc. car l'ouvrage a connu de nombreuses éditions tout au long du siècle, toujours en un nombre variable de volumes, ce qui donne à penser que le contenu de ce dictionnaire varie d'un éditeur à l'autre au gré de sa fantaisie. Voilà qui facilite pas le travail.
Je ne donne pas ces indications pour vous abreuver d'un savoir pédant mais pour souligner trois faits. De son vivant VOLTAIRE a procédé à une succession d'éditions de son Dictionnaire philosophique dont le nom a varié tout comme le nombre d'articles qu'elles contenaient. Il est donc important de souligner à quelle édition on se réfère, et de préférence non pas à des éditions modernes, mais des éditions de l'époque. Deuxièmement, il est vraisemblable qu'après la mort de VOLTAIRE, divers éditeurs se sont cru autorisés à mettre dans le dictionnaire philosophique des articles qui n'y figuraient pas initialement bien qu'ils fussent de la main de VOLTAIRE. Ces éditions sont encore dignes de foi. Troisièmement, il y a fort à parier que, pour préserver intacte la mémoire du philosophe, on a publié comme édition authentique une des nombreuses éditions de cet ouvrage condamné aussi bien à GENEVE par les protestants (qui le brûlèrent) que par les catholiques (qui le mirent à l'index), sans que j'aie pu déterminer laquelle des éditions était visée. Je trouve absolument incroyable que la BNF, sur Gallica, ne donne en version numérisée que la version publiée chez Firmin-Didot frères, à PARIS en 1829 (les oeuvres complètes annotées et publiées par Beuchot font 72 volumes !) . Je m'étonne qu'aucune des versions, originales ou rééditées ne soient numérisées, et qu'il faille se référer à des versions relativement tardives pour avoir accès aux écrits de VOLTAIRE. De plus, le volume I du Dictionnaire philosophique qui justement contient l'article "Juifs" n'est pas numérisé, et je doute que l'édition récente de Patrick CINTAS (Le chasseur abstrait, 2005) contienne la totalité des articles publiés par VOLTAIRE de son vivant. C'est donc ce travail qu'il faudrait faire ou qui peut-être a été fait, mais je ne le sais pas et n'ai rien vu de tel.
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En d'autres termes, il me semble que VOLTAIRE n'aimait pas les juifs, bien qu'il eût condamné leur persécution au long des siècles. Il n'était pas antisémite au sens où nous l'entendons, il l'était à sa manière et elle n'était ni juste ni bienveillante.
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