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Voici l’analyse du livre d’Arthur HERTZBERG publié par "J.H." dans les Archives de Sociologie des Religions (en 1969 ?), section Bulletin des Ouvrages.
The French
Enlightenment and the Jews.
Columbia
University Press, New-York, 1968. (420 pages).
"L’auteur est professeur d’histoire
à la Columbia University et rabbin du Temple Emmanuel à Englewood (New Jersey).
Son travail a pour but de renverser la perspective habituelle de ceux qui
écrivent l’histoire de l’antisémitisme moderne. Ils insistent en général sur le
fait que la liberté a été donnée aux juifs au moment de la Révolution
française, parce que c’était une exigence fondamentale de tout le mouvement des
« Lumières ». A. HERTZBERG va montrer au contraire que l’immense
majorité des grands hommes du XVIIIe siècle ont manifesté une animosité
personnelle contre les Juifs, et surtout fourni une base rationnelle nouvelle à
tout l’antisémitisme post-chrétien. Pour mettre ce point en valeur, il reprend
la question de l’antisémitisme en France au XVIIe siècle, au moment
où commence la « mise à part » des Juifs. Il analyse ensuite la
position des penseurs du siècle de COLBERT en face du judaïsme et spécialement
en face de SPINOZA. Au courant antisémite traditionnel vient s’ajouter une
nouvelle façon de voir les choses, qui prépare la philosophie des Lumières. À
ce phénomène d’ordre intellectuel répond un changement dans la situation
sociale et économique des Juifs français : ce que l’auteur appelle le
passage « du mercantilisme au commerce », en particulier dans le
Sud-Ouest de la France. Il en résulte une évolution dans la « culture »
des Juifs et des modifications profondes, aussi bien sur le plan social que
religieux, à l’intérieur de la communauté juive. En face de cette communauté,
quelle sera l’attitude des Français du XVIIIe siècle. Arthur HERTZBERG étudie d’abord
les « hommes d’Église », RICHARD, FLEURY, CALMET, etc. sans oublier
les jansénistes, comme DUGUET et RONDET, dont l’influence sur l’abbé GRÉGOIRE
est très nette. Mais tout son effort porte sur les « hommes des Lumières ».
Le chapitre passionnant qui leur est consacré met en évidence leur antisémitisme.
VOLTAIRE, en particulier, fait revivre les arguments de l’antisémitisme gréco-romain
et leur donne une impulsion nouvelle. Mais il n’est pas le seul. Autour de lui,
on trouve les Encyclopédistes, qui rivalisent avec lui en ce domaine. Il en
résulte, au moment de la Révolution, une attitude assez équivoque, qui découle
d’une sorte de compromis entre l’antisémitisme des Philosophes et la position « modérée »
des disciples de MONTESQUIEU. Malgré la « libéralisation » du statut
des Juifs en France, l’antisémitisme des Philosophes se transmettra aux
générations suivantes au cours du XIXe siècle. C’est ainsi que pour l’auteur, « la
racine profonde de l’antisémitisme moderne est la renaissance de la haine des
païens pour les Juifs, suscitée par les fondateurs de l’esprit moderne, tels
que VOLTAIRE, DIDEROT et d’HOLBACH ».
La thèse est certainement
intéressante. Elle suscitera de vives discussions. Si Arthur HERTZBERG a raison
de refuser la responsabilité « globale » du christianisme, par lequel
on explique habituellement l’antisémitisme contemporain, il semble aller trop
loin en reportant cette responsabilité « globale » sur l’esprit « philosophique »
du Siècle des Lumières. Il vaudrait mieux dire qu’il y a eu convergence des
deux idéologies et que les Philosophes avaient, comme les catholiques, leur « antisémitisme »,
dont les motivations étaient différentes, mais qui aboutissaient au même
résultat. C’est précisément cette convergence qui explique l’antisémitisme
contemporain, tel qu’il s’est manifesté dans des mouvements anti-chrétiens tels
que l’hitlérisme et le marxisme, qui préfèrent se considérer comme les
héritiers de VOLTAIRE plutôt que de l’Eglise chrétienne. La thèse de notre
auteur, si discutable soit-elle dans ses conclusions, met donc en valeur un
fait historique indiscutable, qu’il était indispensable de rappeler."
Je voudrais faire ici une
remarque sur cette analyse. Elle me semble pleine de probité et même temps
manifeste un certain embarras. S’attaquer à des figures aussi considérables que
VOLTAIRE ou DIDEROT qui, au panthéon des grands hommes de l’Éducation qui se
dit Nationale, tiennent la plus haute place, ne peut que gêner les
intellectuels doté d’un statut reconnu au sein dans le monde des Lettres et de l’Universités.
J’avoue que j’ai du mal à comprendre en quoi la convergence des deux antisémitismes,
le chrétien – qui, hélas, trois fois hélas, a bien existé et dont l’Église catholique
a fait publiquement repentance – a donné lieu à une curieuse disjonction de la
part d’HITLER ou de STALINE. Ces deux tyrans antichrétiens étaient habités par
la passion de l’idéologie et sa rationalisation totale. C’est au nom de la
raison dévoyée qu’ils ont envoyé à la mort des dizaines de millions d’innocents,
quand PIE XII hébergeait au Vatican et dans ses dépendances religieuses des
milliers de juifs persécutés. (Là aussi, il se peut que ça ne plaise pas à la
bienpensance, mais les faits, indubitables sont là et bien là !)
Je voulais simplement dire à
Pascal HUTTEN que je n’ai pas inventé l’antisémitisme de VOLTAIRE ou de DIDEROT
et que des savants juifs l’ont découvert bien avant moi.
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