samedi 24 janvier 2015

24 janvier 2015. Nouvelles de la Résistance : rappel d'un billet daté du 16 juillet 2007. Deuxième billet de ce jour !

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Je me permets de vous rappeler le billet relatif à la prophétie dite de CAZOTTE ou de La HARPE, rédigé le 16 juillet 2007, ceci afin de confirmer ce que je pouvais dire de l'esprit prétendu "des Lumières".

Dans un salon parisien, au début de l'année 1788.
Il y a là CHAMFORT, CONDORCET, VICQ- D'AZYR, de NICOLAÏ, BAILLI, MALESHERBES, ROUCHER, LA HARPE, la duchesse de GRAMMONT et CAZOTTE, dont nous avons déjà parlé. CAZOTTE - nous devons ce témoignage à LA HARPE qui a fixé la scène dans un texte remarquablement écrit - poussé par l'assistance va prophétiser. Toutes ses prophéties se réaliseront dans les moindres détails.
On commence par brocarder la religion. On récite les vers (philosophiques) de cet affreux bonhomme de DIDEROT : "Et des boyaux des derniers prêtres, Serrer le cou du dernier roi".
CAZOTTE se tait. On continue. "Il faut absolument que la superstition et le fanatisme fassent place à la philosophie". On suppute sur les chances qu'ont les uns et les autres de voir advenir le règne de la raison. CAZOTTE continue de se taire. On le presse de prendre la parole : "Messieurs, dit-il, soyez satisfaits, vous verrez tous cette grande et sublime révolution que vous désirez tant." On se moque, car CAZOTTE se targue d'avoir de dons de prophétie. CONDORCET le provoque : ..."un philosophe n'est pas fâché de rencontrer un prophète. - Vous, monsieur de CONDORCET, vous expirerez étendu sur le pavé d'un cachot ; vous mourrez du poison que vous aurez pris pour vous dérober au bourreau". Quelques temps après, tandis que la conversation s'anime : "C'est au nom de la philosophie, de l'humanité, de la liberté ; c'est sous le règne de la raison qu'il vous arrivera de mourir ainsi". Et à CHAMFORT : "Vous, monsieur CHAMFORT, [...] vous vous couperez les veines de vingt-deux coups de rasoir, et pourtant vous n'en mourrez que quelquels mois après. [...] Vous, monsieur VICQ-d'AZYR, vous ne vous ouvrirez pas les veines vous-même, mais après, vous les ferez ouvrir six fois dans un jour, [...], et vous mourrez dans la nuit. Vous monsieur de NICOLAÏ, sur l'échafaud ; vous, monsieur BAILLY, sur l'échafaud." ROUCHER, qui croit être fin, s'esclaffe : "Ah ! dieu soit béni, il paraît que monsieur n'en veut qu'à l'Académie ; il vient d'en faire une terrible exécution ; et moi, grâce au ciel ! - Vous, vous mourrez aussi sur l'échafaud." L'assistance proteste : "il a juré de tout exterminer" et CAZOTTE : "Point du tout ; je vous l'ai dit, vous serez alors gouvernés par la seule raison. Ceux qui vous traiteront ainsi seront tous des philosophes, auront à tout moment les mêmes phrases que vous débitez depuis une heure, répéteront toutes vos maximes, citerons comme vous, les vers de Diderot et de la Pucelle." CAZOTTE achève en prophétisant l'exécution de la duchesse de GRAMMONT sur l'échafaud, sans le secours de la confession, et celle de LOUIS XVI, le seul des condamnés qui aura droit à cette faveur. LA HARPE a survécu à la révolution. C'est à lui que nous devons ce témoignage connu sous le nom de "Prophétie de Cazotte".
"Et des boyaux des derniers prêtres, Serrer le cou des derniers rois." disaient-ils. On a vu ce qu'il en est.

Pendant que ces messieurs dansent sur un volcan, les hommes d'Eglise eux s'activent. Mgr de BARRAL, évêque de Castres, fait distribuer aux curés de son diocèse, dès 1765, 20 ans avant PARMENTIER, des tubercules de pommes de terre dont il impose la plantation pour éviter les famines. Son successeur Mgr de ROYERE fait ouvrir quatre routes et construire plusieurs ouvrages d'art pour donner du travail aux chômeurs. En Provence, Mgr de BOISGELIN fait dessécher des marais, construire des routes et des ponts, Mgr de BAUSSET crée un RMI avant la lettre, pour les pauvres de son diocèse, donne des allocations aux vieux et aux chômeurs, augmente la dotation de l'hôpital, établit et défend le projet de creusement du nouveau port de Fréjus. Dans le Dauphiné, l'évêque de Grenoble organise un bureau d'assistance judiciaire gratuite. En Bourgogne, l'évêque de Langres crée un système d'assurance contre les incendies. Mgr de la MARCHE, évêque de St-Pol-de-Léon en Bretagne, se fait lui aussi le propagandiste de la culture de la pomme de terre. En Artois, Mgr de PARTZ de PRECY, évêque de Boulogne, crée un séminaire gratuit et fonde une institution qui permet de doter dans chacune des paroisses de son diocèse une jeune fille pauvre obligée de travailler de ses mains. En Picardie, Mgr de MACHAULT, évêque d'Amiens, donne tous ses revenus aux chômeurs de la "Fabrique" anéantis par la concurrence anglaise et vit dans la plus grande pauvreté. A Paris, Mgr de BAUMONT fait réparer des métiers à tisser et crée ainsi 2.000 emplois. Son successeur, Mgr de JUIGNE, pour réduire la disette et la misère du peuple, pendant que ces messieurs discutent dans les salons luxueux du Faubourg Saint-Germain, vend sa vaisselle, pendant l'hiver 1788, et engage son propre patrimoine pour contracter des emprunts élevés destinés à soulager la misère. Etc., etc., je dis bien etc. [Merci à Jean DUMONT qui donne ces détails dans son livre remarquable (La Révolution Française ou les prodiges du sacrilège. Criterion, Paris, 1984.)]
"Et des boyaux des derniers prêtres, Serrer le cou du dernier roi..."
Est-ce si bien vu de la part de Philosophes qui ont inlassablement tressé la corde destinée à les pendre ? Car la Révolution, qu'ils appelaient de leurs voeux et qu'ils ont engendrée, a dévoré ses enfants. Ce n'est que logique ; c'est une constante de toute révolution.
L'invention du RMI, des assurances, des allocations de vieillesse, des allocations de chômage, l'assistance judiciaire gratuite, sont des créations de l'Eglise, n'en déplaise à nos "socialistes" contemporains. Tout le reste est du mensonge, du bourrage de crâne, un déni de justice et un viol de la vérité.
Je suis un scentifique invétéré, et je dis que les faits ont la tête dure. D'où ce rappel, que je vous invite à fixer dans vos mémoires. Pardonnez-moi l'inhabituelle longueur de ce billet. Mais nous venons de fêter le 14 juillet. Quelques rappels ne me semblaient pas superflus. Mais attention, je suis solidaire, de fait, de l'histoire de ma patrie. Je l'aime, dans ses grandeurs, comme dans ses petitesses, et si je déplore ses crimes et ses excès, j'accepte d'en assumer l'héritage."

13 commentaires:

Pascal Hutten a dit…

Cher Monsieur, excusez-moi, mais je ne puis m'empêcher de sourire un peu devant une présentation si manichéenne, faisant des Diderot et compagnie des révolutionnaires avant l'heure, cyniques et sans scrupules, et de l’Église catholique une entité unie dans une même charité et dans une foi sans nuage...
Là encore, un peu d'intertextualité s'imposerait peut-être, par exemple en ce qui concerne la citation de Laharpe, que vous rapportiez déjà hier, en suivant son auteur qui l'attribue à Diderot... Que la phrase ait été ou non prononcée par Diderot et ce en présence de Laharpe ne change rien à l’affaire: c'était une formule très célèbre en son temps, l'une des plus fameuses écrites par un "précurseur des lumières", ou plutôt le véritable précurseur des révolutionnaires, un radical s’il y en eût ; Voltaire à côté semble un "béni-oui-oui", si vous me permettez l’expression. Il fut même si épouvanté par le succès du manuscrit violent laissé par cet homme à sa mort, qu’il n’osa en faire circuler qu’une version très "expurgée" (par exemple il fit passer son auteur pour déiste et non pour l’athée qu’il avait été)... Cet homme dont le christianisme même l'avait peu à peu métamorphosé en révolté contre le pouvoir monarchique et les instances religieuses officielles est le célèbre abbé Meslier, curé d'Etrépigny, si aimé de ses paroissiens, un modèle de bon prêtre en somme -quoique premier athée radical connu en France... L'ouvrage que ce "bon curé" avait passé tant d'années à écrire rapportait en effet le souhait d'un homme du peuple, dont il se voulait le relais : l’espoir de voir le jour où l’on étranglerait le dernier roi avec le boyau du dernier prêtre...
L’abbé Meslier fut loin d’être le seul prêtre à s’attaquer comme il le put au catholicisme. Voltaire, au contraire, visait l’Infâme, c’est-à-dire l’extrémisme, le fanatisme, l’intolérance (qu’ils soient le fait de catholiques ou de protestants, de juifs ou de musulmans, ou d’autres !), et non pas, une fois encore, un christianisme (ou toute autre religion) charitable et miséricordieuse… Il agissait pour qu’on pût avoir le droit d’être non catholique dans une France alors théocratique, exactement comme à l’heure actuelle, dans certains pays musulmans, des dissidents essaient de faire reconnaître leur droit de ne pas avoir la foi "officielle". Si Voltaire a publié le texte de Meslier –en en retirant les passages les plus révolutionnaires–, ce n’est pas à n’importe quelle date : il connut ce manuscrit dès sa jeunesse, mais ce sont les affaires des années 60 (et en particulier l’affaire Calas) qui le conduisirent à sa lutte contre l’Infâme… Le "Testament du curé Meslier" parut ainsi en 1765, édité dans le même élan que le "Traité sur la Tolérance" ou le "Dictionnaire philosophique portatif".
Ainsi, pour risquer un raccourci pourtant moins fallacieux que celui que vous faites en prétendant que les philosophes des Lumières étaient révolutionnaires (ce qui relève du mythe, mais n'est pas croyable pour qui lit de près ces auteurs), l'un des prérévolutionnaires les plus acharnés, et le premier de tous dont on connaisse le nom, fut un bon abbé!

Pascal Hutten a dit…

Pardon pour la coquille: "et non pas, une fois encore un christianisme (ou tout autre religieux) charitable et miséricordieux..."

Pascal Hutten a dit…

Décidément! "ou toute autre religion", veuillez m'excuser...

Philippe POINDRON a dit…

Cher Pascal, je lis avec intérêt votre très savant commentaire. Voltaire était d'abord et fondamentalement opposé au christianisme. Il se peut que cela ne plaise pas, mais, et vous l'avez vous-même dit, il s'opposait aux juifs pour ne pas avoir à s'opposer directement aux chrétiens. Afin qu'il n'y ait pas de confusion, je trouve que la meilleure chose qui ait pu arriver à l'Eglise catholique est la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Comme vous, je déplore que l'on ait confondu un Royaume qui n'est pas de ce monde, avec ce monde. Il n'empêche que la scène décrite par CAZOTTE (et qui du reste a été contestée dans son authenticité) donne bien le "la" de ce qui fut la Révolution. Je maintiens que VOLTAIRE, dans son anti-fanatisme, fut au moins aussi fanatique que ceux qu'il prétendait dénoncer. Je n'ai jamais dit, du reste, que la brillante compagnie dont parle CAZOTTE ait été pré-révolutinonnaire. Je dis et je maintiens que l'air du temps, les élites aristocratiques notamment, ont favorisé la venue de la Révolution par aveuglement. Dois-je vous rappeler que la malheureuse Princesse de LAMBALLE, qui fut traitée par la foule comme vous le savez, était Grande Maîtresse d'une loge maçonnique ? Je conçois que le rappel de ces faits puisse gêner les zélateurs de l'esprit des Lumières. Je ne pense pas que l'humanité ait fait des progrès grâce à lui. C'est bien tout le débat que nous avons.

Pascal Hutten a dit…

Je tire mon interprétation concernant celle où vous feriez des Diderot et compagnie des "révolutionnaires avant l'heure" de ce passage de votre article: "Est-ce si bien vu de la part de Philosophes qui ont inlassablement tressé la corde destinée à les pendre ? Car la Révolution, qu'ils appelaient de leurs voeux et qu'ils ont engendrée, a dévoré ses enfants." Un Voltaire, un Rousseau n'ont jamais appelé la Révolution de leurs vœux, le plus frileux dans l'histoire étant probablement Voltaire, d'ailleurs, par scepticisme quant au meilleur gouvernement et par goût ; il avait en effet tendance à préférer une monarchie parlementaire, quoiqu'il ait écrit des textes très contradictoires sur le sujet, du fait même de ses hésitations... Mais je maintiens que vous vous trompez de cible. Si vous (re)lisez les œuvres de Voltaire en suivant leur chronologie, vous verrez que s'il était mort à 65 ans, personne ne le taxerait d'anticléricalisme... Et ne relisez que les « Discours en vers sur l’homme » pour constater qu’il admire la figure du Christ et son enseignement, même si pour lui ce dernier n’est pas Dieu. La campagne contre l'Infâme date seulement des années 60; avant, il écrivait des œuvres plutôt sceptiques ou déistes, sans guère d'acharnement. En revanche, tout change brutalement à partir de la comédie de Palissot écrite contre les philosophes, de la condamnation de l'Encyclopédie, et de la série des affaires judiciaires (Calas, Sirven, La Barre, etc.). Avant, Voltaire écrivait contre des œuvres qu'il jugeait franchement partisanes et fallacieuses (Bossuet par exemple avait un peu fait comme si les Chinois n'existaient pas, dans son Histoire universelle, puisque la Bible n'en parlait pas ; c’est la raison pour laquelle Voltaire leur consacre tant de pages !); mais dans les années 60 Voltaire fait feu de tout bois, d'où l'édition du "Testament de l'abbé Meslier" et la rédaction de nombreux pamphlets et autres œuvres de combat, écrites très vite, pour "agir". Revenir au curé d’Etrépigny me permet de préciser mon propos, qui ne visait pas tant à défendre quelque philosophe des Lumières que ce soit qu’à nuancer votre tableau si "cohérent" avec ses deux beaux volets sans rien qui dépasse, d’un côté les philosophes vauriens et de l’autre les bons abbés. Vous avouerez que l’abbé Meslier, très apprécié de ses paroissiens mais bien moins du châtelain de son village –et pour cause, il était sans doute bon et charitable-, détonne admirablement dans ce type de présentation binaire. (Remarque: je me trompe peut-être dans les dates; le "Testament" parut peut-être avant le "Traité sur la tolérance"; tout cela est bien entendu à vérifier, et je vous prie de bien vouloir m’excuser si je commets une bévue, écrivant présentement un peu trop vite.)
Bien à vous, Pascal.

Philippe POINDRON a dit…

Cher Pascal, je n'ai plus le temps de répondre en détail à votre commentaire. Je note - et je dois le dire avec regret - qu'il a pris un tour (un peu) polémique, ce que je regrette. Je vous invite à relire la totalité du billet du 16 juillet 2007. J'opposai l'opinion d'un cercle restreint de privilégiés parisiens qui faisait la pluie et le beau temps en matière d'opinion publique, (la masse du peuple français n'ayant pas accès aux brillants salons littéraires et aristocratiques), aux actions caritatives du clergé dans son ensemble(l'Anglais BURKE, du reste le dit et en admirait le zèle). Que l'abbé MESLIER ou un autre soit l'auteur de cette chanson qui fit le bonheur des élites de ce temps ne change pas grand chose à l'affaire. DIDEROT l'a bien reprise à son compte. Que l'abbé MESLIER ait été un hypocrite ou un faux dévot ne change rien à l'affaire non plus. Nous avons de nos jours les mêmes beaux esprits, tout aussi arrogants, imbus de leur position sociale, maître des médias. Si vous attribuez à un prêtre un athéisme militant, que faut-il dire de DANTON ? Faudrait-il dire qu'il était un fervent catholique au motif qu'il s'était marié religieusement(sa veuve épousera en seconde noce le préfet de Vendée)? Dans l'admirable roman qu'est L'imposteur, BERNANOS a très bien décrit la noirceur d'âme de ces menteurs qui sous la soutane sont des dévoreurs d'âme. Pour bien comprendre ce billet que vous dites manichéen, il faut le rapprocher de ce qui suit et qui a trait aux pieux évêques auxquels on doit la quasi totalité des innovations sociales encore en vigueur aujourd'hui. Je veux bien qu'on les pende avec les tripes du dernier roi, ces bons évêques. Il n'empêche que ce qu'ils ont fait, ils l'ont fait. Ce n'est ni VOLTAIRE, ni CONDORCET, ni d'ALEMBERT qui se sont occupé de donner du travail aux ouvriers ou de lutter contre l'ignoble pauvreté qui frappait une partie de la population, précisément exploitées par ces refaiseurs de monde.
J'ajoute qu'aucune de ces brillants messieurs, bien entendu, ne pouvait prévoir les horreurs de la Révolution. Je dis qu'ils les ont préparés en élevant le relativisme nombriliste ("auto-ombiloscopique") à la dignité de principe philosophique. VOLTAIRE alla jusqu'à nier la paternité du Dictionnaire philosophique dans ses premières version. Il ne me semble pas que ce soit là faire preuve d'un grand courage.
L'infâme de VOLTAIRE n'était pas le fanatisme, c'était bien l'église catholique. Je déplore, avec ma mentalité d'homme du XXIe siècle, que cette église ait eu l'ambition d'une Cité de Dieu sur terre. C'est un contre-sens total. Mais dans le contexte de l'époque, c'était parfaitement compréhensible.

Pascal Hutten a dit…

Cher Philippe, si appeler à la nuance signifie polémiquer, alors je veux bien me voir accusé de polémiquer. À aucun moment je ne compte remettre en cause l’idée que bien des gens d’Église aient remarquablement assumé leur rôle au cours de l’histoire, et mis en pratique avec sincérité leurs convictions. En revanche, je vous invitais à reconsidérer votre propos composé de deux paragraphes bien nets, opposant du tout au tout les philosophes d’un côté, dont vous faisiez un groupe bien uni de précurseurs presque conscients de la Révolution, profondément cyniques et appelant à la violence à travers la citation de Meslier dont vous attribuiez la paternité à Diderot en suivant Laharpe –ce que ces penseurs ne furent en rien dans leur écrasante majorité– et de l’autre côté, un autre groupe bien uni d’exemples édifiants de bons catholiques, qui ferait aisément oublier tous les contre-exemples, ainsi que le fanatisme inhérent à une théocratie, quelle que soit la religion officielle dans celle-ci. J’invitais donc à nuancer et à éviter tout type de caricature.

Pascal Hutten a dit…

Pour revenir à l’exemple de Voltaire, c’est un homme d’Ancien régime qui lutte contre un certain nombre de choses bien plus qu’il ne cherche à imposer telle idée précise: on lui reproche souvent d’avoir davantage cherché à «détruire» qu’à «construire», et c’est notamment ce qui l’exclut des manuels de philosophie, car beaucoup de professeurs de philosophie (pas tous) ont eu tendance à priser plus les faiseurs de système que les douteurs. Si Voltaire «professait» le déisme contre l’athéisme prôné par d’Holbach et autres, c’était parce que selon lui, qu’un déisme se répandît était la condition pour que tous les croyants pussent s’entendre, puisque le «mahométan», le chrétien, le juif, le païen, le théiste, etc., tous s’accorderaient à reconnaître un Dieu pour l’amour Duquel nul ne songerait plus à tuer son prochain; il n’espérait pas que tout le monde devînt déiste; mais il appelait de ses vœux une expansion du déisme pour permettre l’instauration d’une tolérance à l’égard de toutes opinions religieuses; c’est-à-dire que son but n’était pas d’imposer le déisme en soi mais de parvenir à imposer l’idée qu’il devait revenir à chacun de vivre sa foi ou son absence de foi dans le respect de la même liberté pour autrui; voilà le relativisme qu’il cherchait à instaurer, qui n’était guère nombriliste, et qui fut celui qui mena la France plus d’un siècle plus tard à séparer Église et État, changement majeur que vous reconnaissez comme sain et bénéfique; ses textes que vous interprétez comme anticatholiques s’inscrivent dans cette bataille destinée à obtenir pour tout Français (voire pour tout homme, ou du moins pour tout Européen) le droit de n’être pas catholique quand on n’a pas la foi d’un catholique même dans un pays à majorité catholique. Eût-il vécu en un pays théocratique d’Islam que vous pourriez aujourd’hui l’accuser d’avoir semblé avant tout antimusulman, car, de fait, c’est à tout ce qu’il aurait perçu comme contradictoire ou susceptible d’engendrer telle déviance fanatique dans le cadre de l’Islam qu’il s’en serait pris… De fait, ceux qui comptaient bien ne pas voir s’instaurer ce qu’on appellerait plus tard la «laïcité» étaient alors en France des catholiques. C’est pourquoi ce sont les fondements de leur foi qu’un Voltaire visait plus que ceux des autres religions, et notamment dans sa critique de l’Ancien Testament qui le mène à écrire tant de textes apparaissant rétrospectivement, à nos yeux de l’après-Shoah, comme choquants par leur antijudaïsme vétérotestamentaire, voire «antisémites» à condition de donner dans les anachronismes et les raccourcis.

Pascal Hutten a dit…

Mais vous allez encore me prendre pour un « zélateur » des Lumières ou de Voltaire, ce que je ne crois pas être ; je n’en suis qu’un lecteur curieux, comme je le suis d’autres penseurs, croyants ou non, radicaux ou légers, mesurés ou dogmatiques, d’époques et horizons divers. Pour aggraver mon cas, me voilà presque contraint de me faire zélateur de l’abbé Meslier, ce que je suis moins encore; car, à dire vrai, je vous trouve injuste envers lui, en l’étiquetant péjorativement comme vous le faites, un peu à l’emporte-pièce… «Hypocrite ou faux dévot», voilà une alternative qui paraît laisser un choix, mais n’est en réalité qu’une condamnation univoque et redondante. Or, précisément, l’abbé Meslier mérite tout sauf d’être perçu comme un Tartuffe, et moins encore comme un de ces «menteurs qui sous la soutane sont des dévoreurs d'âme». Il n’a guère détourné ses paroissiens de leur chemin, bien au contraire. Il n’a rien non plus d’un homme ayant décidé de se faire passer pour ce qu’il n’était pas par intérêt calculé ; il vécut même chichement, comme bon nombre de curés de campagne alors. Mais la société dans laquelle il vivait rendait quasiment impossible pour un prêtre de «défroquer», quand même il perdait la foi; et, je le répète, ses paroissiens voyaient en lui un homme bon, ce qu’il était par ses actes envers les vivants (laissons Dieu juger de sa conscience). C’est la miséricorde et la charité qu’il éprouvait (la foi et l’espérance en un Jugement dernier l’avaient abandonné, mais il ne renonça jamais à cette autre vertu) qui le conduisirent à tenter de s’opposer par exemple au châtelain de son village, ce qui lui valut des réprobations de sa hiérarchie, ce qui le mena à rejeter plus encore ceux qu’il considérait comme des hypocrites, animés davantage par leur foi (au point d’en devenir pour quelques-uns fanatiques) ou par leurs intérêts (alliance de la noblesse et du clergé, dans ce cas précis, contre le Tiers-État) et donc par ce qui les regardait personnellement, que par la charité, qui regardait chacun dans ses rapports envers les autres, et non plus seulement chacun face à Dieu ou à soi-même… Et je le répète, préciser que l’abbé Meslier avait appelé de ses vœux le renversement du christianisme comme religion opprimant les hommes, ne vise pas à prétendre qu’il n’y eut pas de fort bons catholiques: il s’agit seulement de nuancer votre diptyque opposant philosophes vauriens et bons abbés (et non pas d’en proposer un autre, inverse et tout aussi caricatural).

Pascal Hutten a dit…

Dernier point : «Ce n'est ni VOLTAIRE, ni CONDORCET, ni d'ALEMBERT qui se sont occupé de donner du travail aux ouvriers ou de lutter contre l'ignoble pauvreté qui frappait une partie de la population, précisément exploitées par ces refaiseurs de monde», dites-vous. Là encore, je ne prétends pas nier que Condorcet fût marquis ni Voltaire grand bourgeois ayant amassé une fortune considérable par rapport à celle de son père. Mais votre phrase ne m’en paraît pas moins anachronique et trompeuse. Car les «ouvriers», c’est surtout le XIXe siècle qui les multiplie. Mais je vous accorde que le XVIIIe prépare par certains points de vue la Révolution industrielle. Or, il est amusant de noter que précisément Voltaire, qui prévoyait si peu, par ailleurs, cette future transformation –il n’était décidément pas prophète– et qui misait plutôt sur l’idée qu’il faudrait toujours que le plus grand nombre se consacrât au travail de la terre, offrit précisément du travail à des artisans, à des ouvriers, et à des paysans, quand, après avoir acquis le domaine de Ferney, il entreprit de transformer son hameau en une ville moderne, et d’y faire venir des artisans horlogers de diverses confessions religieuses, mais aussi d’y assécher les marais pour permettre à des paysans de s’y implanter… Cela ne l’empêchait pas d’avoir une fortune conséquente. Mais disons que sa manière de la dépenser ne fut pas la pire de celles que les gens les plus fortunés choisissent… En revanche, Voltaire n’a rien d’un marxiste d’avant l’heure ; il prône le luxe, et ce qu’on appellera plus tard le libéralisme économique –mais attention là encore: non prophète, il est loin d’imaginer ce qu’est l’ultra-libéralisme d’aujourd’hui… Quant à Diderot, il ne fut jamais un «privilégié», ni Rousseau… Prétendre que ces «refaiseurs de monde» auraient exploité une partie de la population est donc une accusation fausse par son caractère réducteur et catégorique; vous me direz que vous n’avez pas cité ces deux-là dans votre phrase, et j’en conviens; mais c’est Diderot qui était visé au premier chef à travers «ses» fameux propos hérités de l’abbé Meslier…

Pascal Hutten a dit…

Quant à Danton, vous me permettrez de n’en pas parler. Il sort du sujet portant sur les «Lumières», dont les révolutionnaires effectifs ont utilisé les textes dans des sens souvent contradictoires, en fonction de leurs desseins personnels. Pensons simplement au fait que les tragédies de Voltaire les plus politiques revinrent à la mode sous la Révolution, car elles avaient des accents républicains. Mais ce fut en les expurgeant des vers qui nuançaient ces accents républicains et dénonçaient tel risque d’une République… Ceux qu’on appelle les «philosophes des Lumières» étaient à peu près tous morts avant 1789. Danton, Robespierre, et même un Condorcet avec cinquante ans de moins que Voltaire, en sont des héritiers qui ne se ressemblent guère (d’ailleurs parler des «philosophes des Lumières» comme je viens de le faire est en soi déjà une caricature: une génération sépare un Voltaire de Diderot et Rousseau, et beaucoup de leurs divergences ne peuvent être comprises quand on oublie cela). Or, pour ce qui me concerne du moins, je ne me vois guère le droit de juger d’un auteur d’après ce que la postérité en a fait… Les lectures très réductrices ou les contresens commis par les lecteurs, opposants ou disciples, ne sauraient être imputés aux maîtres et auteurs. On ne saurait imputer les Croisades au Christ, le salafisme au Prophète, pas plus que la Terreur ou la décapitation de Louis XVI à Voltaire ou Diderot ou Rousseau (et je précise que je ne mets en rien Voltaire (etc.) et le Christ (ni Mahomet) sur un pied d’égalité ; mais vous l’aurez compris d’emblée, et j’ai d’ailleurs déjà assez dit, les jours précédents, que Voltaire n’avait pas vocation à être un saint, un ange, un prophète, et moins encore Dieu ; Diderot et les autres non plus).
Bien cordialement, et non pas, malgré ma concession initiale, dans un but polémique au sens premier du terme… Avec toutes mes excuses pour les longueurs de ces propos.

Pascal Hutten a dit…

PS : en relisant votre réponse, je m’aperçois que j’ai oublié bien des points. Permettez-moi encore un mot à propos de Voltaire osant nier, lâche et triple lâche, la paternité du «Dictionnaire philosophique portatif». C’est en réalité le fait le plus commun qui soit pour le XVIIIe siècle. La connaissance de la littérature clandestine permet aisément de le comprendre, associée à celle de la législation de l’époque. Pour condamner un auteur et non seulement brûler son livre, il fallait pouvoir prouver qu’il en fût l’auteur. Voltaire avait tâté de la Bastille au début de sa vie; il se promit de ne plus recommencer; tout ce qui lui semblait dangereux était édité sans nom d’auteur ou sous pseudonyme. Diderot ayant tâté de la prison aussi dans sa jeunesse adopta une autre stratégie: il ne publia plus rien de vraiment dangereux de son vivant (stratégie adoptée bien plus tôt par Cyrano de Bergerac ou l’abbé Meslier et combien d’autres!). Il prépara ainsi d’autant moins la Révolution que la plupart de ses œuvres n’ont été éditées qu’au XIXe siècle… Rousseau, lui, signa tout et d’ailleurs ne se priva pas pour le revendiquer et accuser tous les autres de lâcheté. Mais Rousseau dut utiliser des pseudonymes dans sa vie quotidienne, pour échapper aux autorités qui le recherchaient… On a toujours beau jeu de taxer de lâcheté, rétrospectivement, des gens qui écrivaient avant l’inscription dans la Constitution des libertés de presse et d’opinion, sous prétexte qu’ils étaient peu portés au «martyre» pour défendre leurs idées. À l’heure où tout s’écrit sur internet, le pire et le meilleur, des appels au meurtre autant que des propos mesurés, des débats autant que des calomnies, on a bien du mal à comprendre ce qu’était l’Ancien régime. Il n’y eut pas mille morts brûlés pour leurs écrits; mais le fait qu’il y en eût quelques-uns suffisait en soi à faire adopter au plus grand nombre des «dissidents» une prudence dont on peut se gausser tranquillement aujourd’hui, notamment quand on ne redoute pas les anachronismes (mais je me répète, et j’ose croire, pour vous dire le vrai, que vous les redoutez autant que moi).

Philippe POINDRON a dit…

Je redoute en effet les anachronismes. Je me permets de vous renvoyer au billet de ce jour qui fait état de l'opinion d'Edmund BURKE. Vous aimez VOLTAIRE et en êtes un spécialiste, ce que je ne suis pas. C'est bien entendu votre droit de lui trouver surtout des mérites, mais je ne partage pas votre enthousiasme.
Le mot ouvrier dont vous me reprochez l'usage est parfaitement légitime dans le contexte où je le l'emploie. Quant à DIDEROT qui extorqua de l'argent à son oncle en lui faisant croire qu'il avait une vocation religieuse,s'il ne fut pas riche, il ne fut point pauvre non plus. Faut-il, pour autant qu'il m'en souvienne, rappeler que VOLTAIRE fréquentait l'église de FERNEY pour ne pas choquer ses "journaliers" par son irreligion ?
Bien entendu, il faut nuancer, et vous avez raison de le faire. je partage ce point de vue. Je dis simplement que la chanson de l'abbé MESLIER attribué à tort par moi à DIDEROT et repris en choeur par les élites des salons parisiens me semblaient bien peu nuancée quand on considère la réalité ecclésiale de l'époque. CONDORCET s'est suicidé pour ne pas avoir à affronter la mort ignominieuse de l'échafaud (sa mort cependant reste mystérieuse, car certains historiens ne croient pas à cette version). Quand on compare l'attitude de ces grands penseurs à celle d'un Louis XVI ou d'une Marie-Antoinette devant la perspective de l'échafaud, on mesure la distance qui sépare les âmes élevées des âmes qui ne partageaient la foi de ces souverains et leur hauteur de vue. La maîtrise de Louis XVI entendant une délégation de la Convention lui signifier la sentence de mort a conduit GARAT, qui était membre de cette députation, à exprimer sa rage et sa hargne devant tant de noblesse et de maîtrise de soi. Que voulez-vous, je suis ainsi fait que je préfère la hauteur de vue et la noblesse d'âme aux petits calculs intéressés. VOLTAIRE est un très grand écrivain, c'est indubitable ; dire que c'est un très grand penseur est une autre affaire.