STRASBOURG, début des années 2000. L'Institut pour la Promotion du Lien Social - j'en suis alors le Président - lance une grande enquête sur la prise en charge des collégiens en difficulté. L'un de nos enquêteurs reçoit la confidence d'un professeur d'histoire et géographie qui enseigne dans un Collège du quartier de HAUTEPIERRE : "Savez-vous, dit-il, ce qu'un jeune m'a dit alors que j'essayais de transmettre à mes élèves un petit savoir sur la géographie ? Le savez-vous ? : 'Vous pouvez raconter tout ce que vous voulez, on s'en fout' (sic). Et je ne vous dis pas encore que sur une heure de cours, je passe une demi-heure à faire la police". Notre enquêteur ajoutait qu'il avait perçu une grande détresse psychique chez cet homme qui croyait à son métier et découvrait qu'on en rendait l'exercice impossible .
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Je me suis efforcer de comprendre les raisons d'un tel fossé entre l'ambition affichée par les Ministres successifs de l'Education soi-disant et prétendue nationale, depuis Jules FERRY, et la réalité du terrain. A l'époque, j'ai moi-même interrogé plus de 30 personnes (CPE, Principaux, Assistantes Sociales, Infirmières, Professeurs Principaux, Responsables de SEGPA, etc.) et il me semble avoir trouvé un début de réponse dans la philosophie politique et l'idéologie qui imprègnent notre mentalité collective. Et je me demande si la formulation la plus percutante de cette réponse n'est pas apportée par notre grande Simone WEIL. Je vous la livre, avec beaucoup d'émotion, car je porte à cette philosophe une très grande admiration et une immense affection ; j'ai moi-même été enseignant, et j'ai passionnément aimé ce "métier" :
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"On croit couramment qu’un petit paysan d’aujourd’hui, élève de l’école primaire, en sait plus que PYTHAGORE, parce qu’il répète docilement que la terre tourne autour du soleil. Mais en fait, il ne regarde plus les étoiles. Ce soleil dont on lui parle en classe n’a pour lui aucun rapport avec le soleil qu’il voit.
Ce qu’on appelle aujourd’hui “instruire les masses”, c’est prendre cette culture moderne, élaborée dans un milieu tellement fermé, tellement taré, tellement indifférent à la vérité, en ôter tout ce qu’elle peut encore contenir d’or pur, opération qu’on nomme vulgarisation, et enfourner le résidu tel quel dans la mémoire des malheureux qui désirent apprendre, comme on donne la béquée à des oiseaux. " (In L’enracinement, 1943.)
-Tout y est : la critique du relativisme, l'effacement de l'expérience et du réel, le culte de l'abstraction, l'idolâtrie du social et du collectif. Et nous continuons dans cette voie-là, parce que quelques énarques, quelques soi-disant spécialistes de la pédagogie, quelques imbéciles (au sens de BERNANOS) croient détenir LA VERITE dont par ailleurs ils ne cessent de contester l'existence...
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"Misère de l'homme sans Dieu", disait PASCAL. C'est bien vrai.
1 commentaire:
Très juste
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