J'ai déjà eu l'occasion de discuter avec vous de quelques propositions présentées par Henri HUDE dans son livre remarquable "Éthique et politique" [Éditions Universitaires, Paris, 1992]. En ce jour qui nous promet la très vraisemblable victoire de "la goooche", je voudrais vous explique mon opposition fondamentale au progressisme, dont le socialisme est un avatar historiquement incarné. Et pour cela, je vais reprendre l'argumentation de ce philosophe.
"Mais voici, dit-il, l'argumentation du progressiste : 'Chaque liberté individuelle est en effet souveraine dans ses évaluations. Mais elle doit admettre que les autres libertés individuelles le sont aussi. C'est pourquoi nous n'aboutissons nullement à une société de force, mais à une société de droit, où chacun a la possibilité d'affirmer ses propres valeurs dans le respect de celles des autres. Quant à l'Etat et aux lois, ils sont là pour assurer à chacun l'usage de son droit d'évaluation souveraine, dans le respect de celui d'autrui'.
Je réponds. Quelle raison y-a-t-il (en dehors du bon sens et de l'équité naturelle, que j'admets mais qu'il n'admet pas) pour soutenir qu'il faudrait universellement respecter l'arbitraire de l'un à se modérer, et à respecter l'arbitraire de l'autre ?
Il m'est parfaitement possible de reconnaître que l'autre est aussi souverain que moi en matière d'évaluation, et de constater en même temps que la réalisation de ses valeurs empêche ou limite celle des miennes. Par suite, je puis décider de lutter contre lui et de le comprimer énergiquement, afin de me réserver une possibilité maximale d'expression de mes propres évaluations. Et je puis même admettre une règle de réciprocité puisque je ne prétends nullement empêcher l'autre de tenter de me réprimer comme je m'efforce moi-même de bloquer son expression par tous les moyens.
Si par contre j'admets comme DES VALEURS EN SOI (c'est moi qui souligne), le principe de modération et de réciprocité, j'en fais des parties intégrantes d'une valeur, la JUSTICE (idem), que j'ai à reconnaître et non à décréter. Si donc je prétends que ma règle d'évaluation arbitraire aboutit à un état de droit, c'est parce que je reconnais à mon insu, et de manière tout-à-fait illogique, certaines valeurs objectives, universellement normatives, et indépendantes de mon arbitraire individuel. C'est donc ce qui en moi n'est pas rationaliste qui m'empêche de devenir le fasciste que je devrais être."
Ce texte remarquable décrit la contradiction dans laquelle se débat le socialisme. Ses chantres récusent l'ordre moral, mais comme il leur faut pour gouverner une régulation juridique, il faut des normes (qui fluctuent, j'en conviens) perçues comme universelles, en fonction desquelles se déterminent ses juristes. Il en résulte, ce que nous vivons à un paroxysme insoutenable dans notre pays, un individualisme forcené (la souveraineté du libre arbitre), et une accumulation de normes juridiques, contraignantes, arqueboutées sur des valeurs reconnues universelles, et qui n'est jamais à l'heure actuelle "qu'une valeur posée par plusieurs individualités". Ainsi le combat actuel pour le pouvoir est la lutte d'un clan contre un autre, qui a pour seul but et seul effet d'imposer par la force un système de valeurs qui n'est fondé que sur l'arbitraire individuel.
Strasbourg, Toulouse, Marseille peut-être, vont sans doute être gérés par des équipes qui se réclament de cette philosophie progressiste. Ce ne sera jamais que la revanche d'une violence sur une autre violence. Tant que nous n'aurons pas admis qu'il existe des normes morales, non transcendantes certes, mais universelles, trans-historiques et trans-spatiales, nous n'aurons pas beaucoup fait avancer les choses. Les progressistes en cette matière ont une longueur d'avance sur les conservateurs en matière d'arbitraire politique et de non droit, car "la seule valeur reconnue dans ce système, c'est l'arbitraire individuel". Je vous invite, ce soir, à réfléchir, et à pleurer sur l'avenir de notre patrie.
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