Quand on s'interroge sur l'histoire de notre pays, notamment sur l'histoire des idées et sur le tournant qu'a marqué l'aurore du XVIIIe siècle, on constate que le grand changement a été le passage de la tradition à la mode, et que le siècle des lumières a vu se développer à l'envi, mais progressivement, ce trait du caractère national : mode vestimentaire (les coiffures féminines appelées du nom d'explorateurs ou de leurs bateaux, les habits des Incroyables et des Merveilleuses, par exemple), mode sociale (la frénétique fréquentation des cafés et des cercles de pensée, la prononciation précieuse des Incroyables qui se refusaient à prononcer les R, par exemple, l'engouement pour les billets de banque et le système de LAW, par exemple), mode intellectuelle (avec l'idolâtrie des Philosophes et le rejet dans les ténèbres extérieures, hors du petit monde de l'establishment culturel, d'excellents écrivains, dont Jacques CAZOTTE est le prototype). La crise avait émergé dans l'espace public avec la Querelle des anciens et des modernes, mais elle couvait depuis DESCARTES et son "Je pense donc je suis". Ce philosophe national est à la fois le père de l'idéalisme, du matérialisme, et de l'institution du Sujet comme auteur et source de sa vie morale. Et son influence s'est d'autant plus aggravée de nos jours que les interprétations de sa pensée se font à l'aune de la dialectique de HEGEL : thèse, antithèse, synthèse. Le cartésianisme a vu son triomphe avec le positivisme, le culte de la science, et l'adoration de tout ce qui est nouveau, considéré comme progrès, au milieu du XIXe siècle.
Le simple bon sens aurait exigé que l'on s'interrogeât sur le statut moral des nouveautés : sont-elles vraiment un progrès ? Notre siècle, en notre pays, ne se pose pas la question : tout ce qui est nouveau est un progrès. Le bons sens aurait voulu de même que l'on se demandât d'où venaient les idées. Sont-elles vraiment les "semences des vraies et immuables natures ?". Je préfère ce que dit Thomas d'Aquin : "Rien n'est dans l'intelligence qui ne passe d'abord par les sens", d'où il résulte selon moi, qu'il n'y aurait pas de pensée si notre intelligence n'était pas informée par les sens de ce qu'est le monde.
Quel est le rapport avec le politique, rapport dont je vous avais parlé hier ? Il est simple et évident. (a) Si tout progrès est nécessairement une rupture, il en résulte que la politique ne peut passer que par le conflit. (b) Nul part, il n'est écrit ce que l'homme doit faire, tant comme personne que comme comme membre d'une société ; c'est à lui d'élaborer son propre système de sens ; le consensus est donc impossible. (c) La nature n'a rien à nous apprendre ; c'est une matière inerte (DESCARTES disait déjà que l'homme par le bon usage de la raison et de la volonté est capable "de se rendre maître et possesseur de la nature") dont nous pouvons faire ce que nous voulons, à partir de nos idées. Tant pis si elles ne correspondent pas au bien commun (cf. la compagnie TOTAL, et la manière dont cette société fait construire ses pipe-lines en Birmanie). Le plus fort, le mieux informé, le plus riche gagnera. En d'autres termes, la morale est devenue autonome, propre au sujet, ou plus exactement à l'individu ou à un groupe d'individus ayant des intérêts communs, alors qu'elle est fondamentalement hétéronome, et dépendante d'autrui, quand bien même elle n'est pas transcendante. Mon opposition viscérale à l'idéologie socialiste est fondée non pas sur le refus du partage des biens, avec lequel je suis ABSOLUMENT D'ACCORD, mais sur la conception qu'elle se fait de la vie morale, conception montée en épingle par ses adeptes à la seule fin de prendre le pouvoir et de s'y maintenir. C'est justement cela l'idéologie.
J'espère que j'ai été clair !
PS : mon raisonnement explique pourquoi PARIS est devenue la CAPITALE DE LA MODE, après avoir été au XVIIe S., la capitale de la PENSÉE en Europe, et pourquoi les Français sont perçus comme arrogants. Ils vivent sur un système de pensée conçu comme parfait. Le système étant déclaré parfait, les étrangers constatent qu'un Français (a) s'imagine qu'un projet étant clair dans sa tête, c'est comme s'il était réalisé ; et (b) qu'il ne tient aucunement compte de l'homme concret, de l'homme réel, de l'homme actuel, et des réalités (rappelez-vous ce que disent les Anglais : "Le mot chien n'a jamais mordu personne !"). J'ai souvent fait l'expérience douloureuse des regards ironiques, helvétiques, germaniques ou britanniques, vis-à-vis de certains collègues, très brillants, qui présentaient de grandes et belles théories scientifiques interprétatives, au lieu de se satisfaire des magnifiques résultats concrets engrangés par eux.
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