Je ne suis pas certain de m'être fait comprendre parfaitement dans le billet d'hier. Quelques précisions sur la rivalité mimétique paraissent utiles.
Soit un avocat et un charcutier. Le charcutier tient boutique sur une avenue huppée de Paris. Un avocat vient s'installer dans l'immeuble qui jouxte son établissement. Ni l'un ni l'autre ne sont inquiets de cette proximité et c'est tout juste s'ils se connaissent, se saluent ou se parlent. Hélas, un autre avocat vient planter ses choux dans l'immeuble d'en face, et le charcutier apprend qu'une nouvelle boutique de charcuterie va s'ouvrir à cinquante mètres de chez lui (Ah ! c'était donc ça, la raison des échafaudages, de ces tas bien rangés de plaques de marbres, de tout cet affairement de multiples corps de métiers autour de ce vieux magasin qui ne valait pas tripette d'apparence). Le charcutier installé fait un petit tour chez le voisin, admire la devanture tout encadrée de marbre moucheté, les spots lumineux qui vont éclabousser la vitrine de leur feux (halogénés), se dit qu'il ferait bien d'en faire autant s'il ne veut pas perdre la clientèle qu'il a eu tant de mal à se constituer, maudit ce fâcheux concurrent tout en admirant sa créativité et son goût, et regrette de ne pas être "l'autre". Il croise l'avocat qui fait une petite tournée inspectatoire dans l'immeuble ou Maître de la Tartempoire va ouvrir ses bureaux. (Tiens, tiens il semble qu'il a installé un secrétariat avec de la moquette prune ; c'est joli, le prune ! Il a un vidéophone ; c'est moderne ça ! Pourquoi n'en ai-je pas eu l'idée ?) et il se met à détester ce confrère, plus malin que lui et qui a de si bonnes idées. Hostilité, admiration conjointe, et désir de réduire en bouillie ces importuns agitent les pensées du charcutier et de l'avocat. Ils se croisent disais-je, se reconnaissent, se saluent, puis SE PARLENT, car leur coeur contristé n'en peut plus d'envie, de jalousie, de ressentiment, de haine recuite. Ils sont dans le même bateau, celui de la rivalité mimétique, charcutier contre charcutier, avocat contre avocat, et c'est dans la conjonction de leur rancoeur que vont se créer un climat, une division, un conflit. Ainsi fonctionne la rivalité mimétique. Un palier est franchi dans l'instauration d'une violence contrainte jusqu'au jour où l'on passe à la violence en acte. Tout le concept d'égalité exploité par le courant progressiste consiste à faire fond sur ces rancoeurs accumulées en feignant de croire qu'elles sont légitimes.
S'il y a égalité de conditions entre les charcutiers d'une part, et les avocats, de l'autre, qui , sans être égaux, se ressemblent, il n'y en a pas entre les avocats et les charcutiers. Toute l'astuce politique et le penser faux consiste à croire (même de bonne foi) que leur situation est identique, au nom d'un concept, mais au détriment du réel. Mais qui peut douter que l'avocat n'ait pas envie d'être charcutier ? Qui peut croire un seul instant que le charcutier veuille devenir avocat ? La question de l'égalité ne se pose que dans le cas de personnes placées dans des situations ressemblantes (jamais identiques, cela n'existe pas) : il y a là nécessité d'une égalité réelle. Cependant, feindre de croire en parole que les conditions des deux professions sont identiques au nom de l'égalité idéologique, et légiférer en favorisant une profession plutôt qu'une autre au nom de ce principe est un exercice de haute voltige, parfaitement abstrait, et qui ne peut pas apporter la paix. Mais les idées sur lesquelles se fondent cette idéologie de l'égalité font leur chemin dans l'espace public, et le charcutier en viendra à jalouser les beaux locaux de l'avocat quand l'avocat lorgnera sur la Mercédès du charcutier. Aristote le disait (je cite de mémoire), "rien n'est plus injuste que de traiter également des gens inégaux".
C'est pourquoi à l'abstrait concept d'égalité, je préfère celui d'équité qu'il conviendrait (pour les plus saints d'entre nous) d'imprégner de compassion et de charité. On en revient toujours à cette question du genre et de l'espèce, de la mêmeté et de l'ipséité. Respecter les deux est un exercice difficile, certes, mais ce n'est pas une raison pour ne pas réfléchir sur le fond à cette question qui touche la nature même de sujet social qu'est un être humain. A cet égard, il serait intéressant de rechercher dans la négation du principe d'ipséité (personnelle, ou groupale) l'origine du communautarisme. Tout être humain est en effet à la recherche de son identité.
Nous ne cessons de crier tout bas : Qui suis-je ? Le progressisme répond : tu es un citoyen, rouage de la collectivité. Le conservatisme murmure : tu es membre d'un groupe ; n'oublie jamais ton appartenance. Et celui qui veut tenir les deux bouts de la chaîne répond : tu es un sujet social ; mets au service des autres tous tes dons naturels ; on ne se sauve pas tout seul.
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