Dans l'édition de C'est dans l'air d'hier soir, un petit reportage filmé et un commentaire tendancieux donne de l'aristocratie du XIXe S. une bien curieuse et fausse idée. (D'entrée de jeu, je dirais que j'aime énormément cette émission qui me semble honnête, très informée, équilibrée.) A entendre le commentateur, ce sont exclusivement des familles d'aristocrates qui ont crée le Comité des Forges et qui (sous-entendu), par leur manière de conduire leurs affaires ont exploité les ouvriers. Il faut tout d'abord rappeler que dans les années 1820-1830, début d'une industrie métallurgique évoluée, l'Ancien Régime était encore un passé relativement récent ; il fallait ne remonter le temps que de 40 à 50 ans pour le faire revivre dans les mémoires des anciens. (Le général de GAULLE pour nous aujourd'hui). Il faut ensuite rappeler que l'aristocratie française ne pouvait s'adonner à des métiers industriels ou manufacturiers sans déroger (avec une petite exception pour les nobles du Languedoc). Et à cette époque encore, cette interdiction, que beaucoup appellent aujourd'hui un préjugé, mais que j'appelle une belle coutume, avait cours dans les familles aristocratiques, rescapées de la Révolution. Peut être y avait-il parmi les Maîtres de Forges quelques noms à particules ; quant à savoir si la particule était authentique... c'est une autre affaire. Disons qu'en cette circonstance, la partie tête l'emportait sur la particule.
C'est ainsi que le vicomte Alban de VILLENEUVE-BARGEMONT, dès 1829 dans un rapport qu'il envoie, comme Préfet du Nord au ministre de l'intérieur, définit une doctrine "d'intervention de l'état pour garantir la vie et la dignité des ouvriers". Le même posera le problème ouvrier dans toute son ampleur dans une intervention qu'il fait à la chambre le 22 décembre 1840. C'est lui qui avec le baron de GERANDO et le comte de MONTALEMBERT faut voter la première loi sociale en France, celle qui réglemente le travail des enfants. Le vicomte Armand de MELUN consacre sa vie, quarante ans, à la défense du peuple. Il dira : "L'Etat peut seul atteindre l'ensemble des misères et améliorer d'une façon permanente et générale le sort de ceux qui souffrent". Très à gauche pour son temps, il fait voter sous la Seconde République, en 1850 et 1851 un ensemble de Lois sociales, sur les logements insalubres, sur les caisses de retraite vieillesse, sur les sociétés de secours mutuels, sur le mariage des indigents, sur le délit d'usure, sur l'assistance judiciaire, sur les bains et lavoirs gratuits, sur les contrats d'apprentissage, sur les caisses d'épargne, sur les hospices et les hôpitaux. Ce ne sont pas messieurs FOURIER, SANT-SIMON, ENFANTIN, Victor HUGO (qui l'aurait pu), les promoteurs de ces lois. C'est un aristocrate, profondément catholique ; des chefs de la gauche (ARAGO notamment) lui marquent estime et amitié.
Même phénomène dans les pays germaniques, Autriche, Suisse, et états allemand, avec le baron von KETTELER, le baron von SCHORLEMER (états allemands), le prince de LICHTENSTEIN, le baron von VOGELSANG, le comte von BLOME, le comte von KÜFSTEIN (Autriche), le baron von MYER (Suisse). Si ces hommes n'avaient pas pris la défense des ouvriers dans leurs pays respectifs, ceux-ci eussent été impitoyablement exploités par toute une classe de nouveaux riches enfortunés sortis tout droit de la Révolution et de l'accaparement des Biens dits Nationaux, dans ces trafics en tous genres qui prolifèrent comme des chancres empoisonnés en temps de guerre. Ces nobles étaient profondément catholiques. Après 1870, on verra rentrer dans le cercle de ces généreux engagés pour les pauvres le comte von GALEN (un ancêtre du Lion de Munster, très probablement), le baron von HERTLING, le prince de LÖWENSTEIN. Aujourd'hui encore, la famille des TOURS et TAXIS (THURN und TAXIS) nourrit tous les jours à sa table des dizaines de nécessiteux dans la région de REGENSBURG.
Hélas, il y a eu aussi des aristocrates qui ont fleurté, concubiné, forniqué, avec l'ignominie : ils sont peu nombreux, et je tairai leurs noms par respect pour leur hypothétique descendance.
Je dois ces précisions à Jean DUMONT, dont je recommande de nouveau l'ouvrage inestimable qui tord le cou à l'histoire officielle des MICHELET, et autres chantres d'une France idéelle, idéale, irréelle. Ce livre a pour titre La Révolution Française ou les prodiges du sacrilège. Editions Criterion, Paris, 1984. A vrai dire, si j'en avais les moyens j'en achèterais des milliers que j'offrirais aux journalistes et aux hommes politiques. Je ne les ai pas. Mais ils ont toujours le droit de l'acheter.
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