Au risque d'irriter certains de mes lecteurs, je n'hésite pas à dire que monsieur Vincent PEILLON, le nouveau ministre de l'Education nationale, est un homme sympathique. Je l'ai écouté tout à fait par hasard exposer à un Journal Télévisé les mesures qu'il avait prises et comptait prendre au bénéfice de l'enseignement public. Il corrige sans aucun doute les erreurs manifestes du précédent gouvernement qui, sur la même longueur d'onde que les syndicats, considérait les problèmes de l'école en termes quantitatifs (postes, moyens financiers), avant de voir qu'ils étaient d'abord qualitatifs ; mais enlever (gouvernement) ou ajouter (syndicat) des crédits ou des postes n'a aucun effet réel sur la crise que traverse l'enseignement en France : la crise est avant tout culturelle et morale.
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Monsieur PEILLON a donc pris l'initiative d'introduire un enseignement de la morale à l'école. Il est philosophe de formation, et il a sur ce sujet des idées précises sur lesquelles je vais revenir sous la forme d'une question : pourquoi la morale devrait-elle être qualifiée de "laïque" ? Je conviens que les formes concrètes de la morale peuvent varier selon les lieux et les époques, mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici. Il faut donner à la présence de cette épithète plusieurs interprétations : (a) la première, la plus bienveillante, consiste à supposer que monsieur PEILLON n'a pas voulu offenser les diverses sensibilités, notamment religieuses, des parents qui envoient leurs enfants à l'école publique et qu'il a pris soin d'inscrire son projet dans le cadre de la laïcité républicaine ; (b) la seconde, qui n'est pas exclusive de la première, est plus inquiétante. je vais essayer d'expliquer cela.
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Dans le livre qu'il a consacré aux "Petites Écoles" de l'Ancien Régime (il y en avait 18 000 juste avant la Révolution), Bernard GROSPERRIN (In les petites écoles de l'Ancien Régime, Collection "De mémoire d'homme" [dirigée par Lucien BÉLY] ; Ouest France, Rennes, 1984) commence par faire l'histoire de ces institutions dont on a un peu trop tendance à oublier l'existence (un mensonge d'état de plus) et il indique que ce sont les protestants qui dans le midi de la France ont commencé à les instituer, pour transmettre aux enfants qui les fréquentaient la foi réformée et la morale afférente. Ils ont été suivis de près par les catholiques qui ont voulu sinon contrer, du moins imiter, ces initiatives et leurs projets (transmettre la foi catholique et la morale). TAINE (j'ai fait un billet là-dessus) a très bien vu que l'enseignement laïc n'a pas d'autre but que d'insuffler l'esprit républicain, révolutionnaire et anticlérical. C'est au sens historique propre, une initiative réactionnaire (je ne vous conseille pas la lecture de la note sur TAINE publié par WIKIPEDIA ; c'est un tissu de contre-vérités, notamment la remarque sur son peu de recours aux Archives ! Quelle honte quand on constate exactement le contraire à la lecture de ses oeuvres ; l'imbécile d'AULARD ne peut pas en dire autant !).
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Revenons à l'initiative de monsieur PEILLON. Il l'a dit dans une petite vidéo que j'ai malheureusement perdue. Son ambition est de substituer aux religions traditionnelles une religion laïque. Son projet est donc religieux, ou à tout le moins spirituel. On ne saurait l'en blâmer. Toutefois, on peut poser la question de la source de la morale. Qu'est-ce qu'une morale laïque ? Y a-t-il une manière laïque d'aimer son prochain, de servir la cité, d'honorer la justice par des témoignages sincères, de rentrer en relation avec autrui en respectant ses biens et son intégrité physique ? La morale laïque ne se confond-elle pas avec la morale naturelle ? Il me semble que oui. Dans ce cas, l'adjectif "laïque" est de trop. Il suffisait de dire morale. L'opinion publique, qui approuve à 91 % ce projet, n'a pas fait la différence d'avec la morale naturelle, tant elle perçoit avec une intuition très fine qu'elle ne se confond pas avec la transmission d'une quelconque foi, mais tout simplement rend possible la vie en société.
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Allez monsieur PEILLON. Vous le savez bien : laïque est de trop. Mais je ne suis pas sûr que vous ayez eu le choix, tant, dans l'esprit des nombreux imbéciles qui vous entourent (imbéciles au sens de BERNANOS), morale et religion se mélangent en un magma insupportable et figé. Soyons clair ici ! Si les homélies et les conseils de nos prêtres n'avaient pas été centrés, pendant trop longtemps sur la morale, notamment sexuelle, au lieu de nous faire contempler l'admirable visage de Jésus, ce magma, effectivement insupportable n'aurait pas eu lieu de naître et de se solidifier en une lave rebelle dans la pensée de ceux qui ont eu à souffrir de cette confusion. Oui, je le redis, la sainteté est une vertu éminemment politique.
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