Il faut que je développe ici ce qui risque sinon de paraître comme un jugement de nanti, et que j'ai présenté de manière trop elliptique dans un récent billet. Je me suis fait incendié par un proche pour avoir, paraît-il, laissé entendre que les chômeurs étaient responsables de leur situation. Pour que les choses soient claires, je précise que telle n'est pas ma pensée. Mais j'ai dit et je maintiens qu'il n'y a pas de crise de l'emploi. Alors pourquoi tant de chômeurs ?
Tout simplement parce qu'il y a une inadéquation entre l'offre et la demande d'emploi. Notre système éducatif est incapable de former aux professions dont notre pays a besoin. Nos représentations collectives font de certains métiers le refuge des incapables et des incultes, et n'ont pour eux que du mépris. Notre civilisation du moindre effort et du bonheur à tout prix répugne à encourager les efforts. Nos références anthropologiques font que la frustration, hélas normale et consubstantielle à l'état d'homme, est devenue insupportable, comme si la vie devait être un chemin couvert de pétales de roses. On m'accordera, je l'espère, que ces constats peuvent faire l'objet d'un consensus général.
Et voilà pourquoi les restaurants emploient tant de cuisiniers (excellents) originaires d'Afrique ou d'Extrême-Orient. Voilà pourquoi les entreprises de nettoyage recrute essentiellement du personnel africain ou maghrébin. Voilà pourquoi, comme j'ai pu le constater récemment de visu, des artisans qui perpétuent des traditions séculaires dans les métiers du luxe n'ont que du personnel d'origine indienne ou pakistanaise. J'ignore si ces salariés sont recrutés de manière légale. Supposons que oui. J'ignore également s'ils sont correctement rémunérés, et je préfère imaginer que oui, sans en être tout à fait sûr. Arrêtez-moi si je me trompe : ne sont-ce point là des emplois qui manquent à nos jeunes compatriotes ?
Encore deux choses. Cet ami me reproche de taper à bras raccourcis sur les socialistes. Ce n'est pas parce qu'ils sont socialistes qu'ils font l'objet de mes critiques. C'est pour leur manque de contre-propositions et leur façon oblique et insinuante de démolir les messagers faute de pouvoir critiquer intelligemment leurs messages. Si j'accordais un aveugle crédit à cette doctrine - qui a des côtés que j'approuve - je ferais des propositions. J'encouragerais le partage et la solidarité par des mesures incitatrices (par exemple, et anecdotiquement, des déductions sur la TIPP pour les automobilistes qui font du covoiturage à titre gracieux) plutôt que par des appels au ressentiment, à l'envie, à la jalousie, à la dénonciation incessante des riches, et à la bureaucratie étatique .
Ensuite, non pour me justifier mais par souci de vérité, je dirais que je fais partie des privilégiés, que je le reconnais, que je n'en ressens aucune culpabilité mais une grande responsabilité vis-à-vis de ceux qui n'ont pas eu la chance d'avoir un métier passionnant, bien considéré, et bien rémunéré. Je dirais aussi que j'ai commencé à gagner convenablement ma vie à 32 ans, après des années d'études que j'ai pu payer en occupant (c'était facile à l'époque) des postes correspondant à ma formation (interne en biologie, puisque j'étais biologiste), après des années de préparation à des concours difficiles qui m'ont valu bien des veilles jusqu'à des heures avancées de la nuit, et après de multiples renoncement à des soirées en boîte, à des soirées entre amis, à des soirées de cinéma. En d'autres termes, il me semble avoir fait ce qu'il fallait pour arriver au succès dans une voie qui n'était pas tracée d'avance, au prix d'un effort auquel l'éducation reçue de mes parents m'avait formé. Je leur rends grâce, et pense souvent à eux, pour tout ce qu'ils m'ont donné, et que je me suis efforcé d'honorer par mon activité professionnelle. C'est d'un bourgeois banal, me direz-vous. Mais les contempteurs de cet idéal crèvent de ressentiment pour n'avoir pas su faire un choix de vie qui leur eût assuré d'obtenir ce qu'ils feignent aujourd'hui de mépriser. Le peuple, qui est sain et plein de bon sens, ne tombe pas dans l'amertume que j'ai vu trop souvent déborder des lèvres d'étudiants en sociologie, ethnologie, anthropologie, psychologie, musicologie, etc, inemployés en raison de leur passion pour le principe du plaisir et de leur mépris pour le principe de réalité. "Ils sont trop verts, disent-ils des raisins succulents qu'ils ne peuvent manger, et bons pour des goujats." Sauf qu'ils en ont faim.
PS : j'ajoute qu'avec des amis, nous avons pu créer une société de recherche sur contrat avec quatorze emplois à la clé, de l'animalier au chercheur en passant par le technicien, la secrétaire, le responsable administratif, etc. Nous avons pris des risques en y mettant de notre argent et de notre temps. Notre plus grande joie est de voir que cette société, devenue la propriété d'une compagnie australienne, est toujours bien vivante.
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