Il y a quelques mois, j'avais délivré un billet intitulé : "Il est temps d'éteindre les Lumières". Continuant de lire et de réfléchir à ce qui me semble être la plus grande catastrophe de l'histoire intellectuelle de l'Occident, je veux dire les Lumières (Enlightment, Aufklärung, très différents des Lumières françaises), j'ai accumulé depuis lors une masse impressionnante de réflexions dues à des esprits très divers, y compris à des Philosophes des soi-disant Lumières. Il m'est impossible de vous les présenter toutes. Il me suffira de résumer les motifs d'un cheminement qui a commencé il y a bien longtemps, puis de vous citer quelques contributions très éclairantes.
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Dans mon jeune âge, avec l'enthousiasme du jeune chercheur qui embrasse la carrière, j'ai cru à la puissance de la raison, et à sa capacité à introduire un certain ordre dans la société des hommes. J'ai vite déchanté, et bientôt j'ai compris que la raison, loin d'être une servante au service de la vérité, était en réalité une idole à quoi on sacrifiait des vies humaines, des réputations ou des nations. On s'agenouillait devant elle pour mieux se l'annexer et l'instrumentaliser, en un mot pour satisfaire son appétit de pouvoir.
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Allons, commençons.
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De Jeremy RIFKIN (Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l'empathie. Éditions Les liens qui libèrent, Paris, 2011).
Après avoir exposé le résultat de diverses expériences de psychophysiologie qui démontrent la fausseté des théories de FREUD sur la nature humaine, et de diverses autres qui montrent que naturellement, le bébé est porté à l'empathie et reconnaît la détresse de l'autre, RIFKIN conclut :
"Si notre conception de la nature humaine et nos idées sur le rôle parental ont radicalement changé au cours de ces dernières années, notre pensée philosophique et politique reste désespérément lente à se mettre au niveau. Nous vivons encore selon les préceptes des Lumières du XVIIIe siècle. Mais nous ne pouvons avoir une nouvelle vision de la nature humaine sans repenser le sens même du parcours humain et, avec lui, nos convictions les plus chères sur ce qui nous paraît important, ce à quoi nous aspirons et la façon dont nous avons choisi de vivre."
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Mise en garde Frédéric II de Prusse à VOLTAIRE, ou un petit bonjour aux horreurs futures de la Révolution :
"Nous connaissons les crimes que le fanatisme de la religion a fait commettre ; gardons-nous d'introduire le fanatisme dans la philosophie."
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Opinion de JOUBERT sur les hommes du XVIIIe siècle :
"Le soleil des esprits n'était plus visible pour eux... Dans cette absence de l'extase, cette vacance la contemplation, ne pouvant plus regarder l'Être, ils s'occupaient du monde."
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Naïveté de DIDEROT (dans un article de l'Encyclopédie).
"La raison est à l'égard du philosophe ce que la grâce est à l'égard du chrétien." "Nous avons foi en la raison."
Augustin COCHIN commente (dans Les sociétés de pensée et la démocratie moderne. Plon, Paris, 1921) : "Ainsi, ce qu'on demande aux frères est moins de servir la raison que d'y croire ; il en est de culte-là comme des autres : c'est la bonne volonté qui sauve."
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Manipulation de d'ALEMBERT (Lettre à Frédéric II).
"Nous remplissons comme nous pouvons les places vacantes à l'Académie française, de la même manière que le festin du père de famille de l'Evangile, avec les estropiés et les boiteux de la littérature."
Augustin COCHIN commente ainsi : "Tel esprit boiteux sera donc admis, s'il est bon philosophe, et tel autre exclu, qui est bien d'aplomb, mais indépendant. Le parti-pris est net, et encourage, vous le savez, un quiétisme de la raison encore plus nuisible à l'intelligence que le quiétisme de la foi à la volonté. Rien ne fait plus de tort au progrès de la raison que son culte : on ne sert plus de ce qu'on adore."
Un tel aveu est effrayant pour ceux qui croient à la probité intellectuelle des élites. Hélas, les choses ne semblent guère avoir changé, dans le domaine politique au moins.
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Et de mon cher, mon très cher Gustave THIBON (dans Parodies et mirages ou la décadence d'un monde chrétien. Notes inédites. Editions du Rocher, Monaco, 2011. Plus je le lis, et plus je regrette que le vigneron-philosophe [un vrai, celui-là] nous ait quittés).
"Quand on fait le désert dans l'homme (ce à quoi le rationalisme et le moralisme s'emploient depuis plusieurs siècles), il ne sert à rien de claironner le retour aux sources. Le suicide de la raison et de la morale est un faux suicide - un ressort de théâtre - après lequel elles ressurgissent sous d'autres noms, parées des dépouilles de cette nature et de cette vie qu'elles ont tuées. C'est toujours l'homme seul avec lui-même... Narcisse brisant son miroir, mais retrouvant dans chaque fragment son image éclatée et déformée."
Je conviens qu'adhérer à ce constat peut paraître troublant de la part d'un type qui ne cesse de parler de morale en politique. Mais THIBON ne parle pas de morale (l'art de l'action pour avoir la vie bonne), mais de moralisme cul-bénissant, fait d'interdits ou d'obligations qui n'ont qu'un lointain rapport avec la charité et l'amour de l'autre, et ressemble fort au culte de son nombril.
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Nous ne sommes pas ou plus des hommes, mais des enfants ou plutôt des ombres d'enfants. Et je m'interroge et puis j'entends au fond de mon coeur une petite voix timide qui me dit : "Les enfants, avez-vous éteint les Lumières ?"
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Allons, commençons.
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De Jeremy RIFKIN (Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une civilisation de l'empathie. Éditions Les liens qui libèrent, Paris, 2011).
Après avoir exposé le résultat de diverses expériences de psychophysiologie qui démontrent la fausseté des théories de FREUD sur la nature humaine, et de diverses autres qui montrent que naturellement, le bébé est porté à l'empathie et reconnaît la détresse de l'autre, RIFKIN conclut :
"Si notre conception de la nature humaine et nos idées sur le rôle parental ont radicalement changé au cours de ces dernières années, notre pensée philosophique et politique reste désespérément lente à se mettre au niveau. Nous vivons encore selon les préceptes des Lumières du XVIIIe siècle. Mais nous ne pouvons avoir une nouvelle vision de la nature humaine sans repenser le sens même du parcours humain et, avec lui, nos convictions les plus chères sur ce qui nous paraît important, ce à quoi nous aspirons et la façon dont nous avons choisi de vivre."
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Mise en garde Frédéric II de Prusse à VOLTAIRE, ou un petit bonjour aux horreurs futures de la Révolution :
"Nous connaissons les crimes que le fanatisme de la religion a fait commettre ; gardons-nous d'introduire le fanatisme dans la philosophie."
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Opinion de JOUBERT sur les hommes du XVIIIe siècle :
"Le soleil des esprits n'était plus visible pour eux... Dans cette absence de l'extase, cette vacance la contemplation, ne pouvant plus regarder l'Être, ils s'occupaient du monde."
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Naïveté de DIDEROT (dans un article de l'Encyclopédie).
"La raison est à l'égard du philosophe ce que la grâce est à l'égard du chrétien." "Nous avons foi en la raison."
Augustin COCHIN commente (dans Les sociétés de pensée et la démocratie moderne. Plon, Paris, 1921) : "Ainsi, ce qu'on demande aux frères est moins de servir la raison que d'y croire ; il en est de culte-là comme des autres : c'est la bonne volonté qui sauve."
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Manipulation de d'ALEMBERT (Lettre à Frédéric II).
"Nous remplissons comme nous pouvons les places vacantes à l'Académie française, de la même manière que le festin du père de famille de l'Evangile, avec les estropiés et les boiteux de la littérature."
Augustin COCHIN commente ainsi : "Tel esprit boiteux sera donc admis, s'il est bon philosophe, et tel autre exclu, qui est bien d'aplomb, mais indépendant. Le parti-pris est net, et encourage, vous le savez, un quiétisme de la raison encore plus nuisible à l'intelligence que le quiétisme de la foi à la volonté. Rien ne fait plus de tort au progrès de la raison que son culte : on ne sert plus de ce qu'on adore."
Un tel aveu est effrayant pour ceux qui croient à la probité intellectuelle des élites. Hélas, les choses ne semblent guère avoir changé, dans le domaine politique au moins.
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Et de mon cher, mon très cher Gustave THIBON (dans Parodies et mirages ou la décadence d'un monde chrétien. Notes inédites. Editions du Rocher, Monaco, 2011. Plus je le lis, et plus je regrette que le vigneron-philosophe [un vrai, celui-là] nous ait quittés).
"Quand on fait le désert dans l'homme (ce à quoi le rationalisme et le moralisme s'emploient depuis plusieurs siècles), il ne sert à rien de claironner le retour aux sources. Le suicide de la raison et de la morale est un faux suicide - un ressort de théâtre - après lequel elles ressurgissent sous d'autres noms, parées des dépouilles de cette nature et de cette vie qu'elles ont tuées. C'est toujours l'homme seul avec lui-même... Narcisse brisant son miroir, mais retrouvant dans chaque fragment son image éclatée et déformée."
Je conviens qu'adhérer à ce constat peut paraître troublant de la part d'un type qui ne cesse de parler de morale en politique. Mais THIBON ne parle pas de morale (l'art de l'action pour avoir la vie bonne), mais de moralisme cul-bénissant, fait d'interdits ou d'obligations qui n'ont qu'un lointain rapport avec la charité et l'amour de l'autre, et ressemble fort au culte de son nombril.
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Nous ne sommes pas ou plus des hommes, mais des enfants ou plutôt des ombres d'enfants. Et je m'interroge et puis j'entends au fond de mon coeur une petite voix timide qui me dit : "Les enfants, avez-vous éteint les Lumières ?"
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1 commentaire:
C'est étrange, cher M. Poindron, comme souvent je me sens en harmonie avec le fond de votre propos et néanmoins sur la forme, j'éprouve quelques difficultés.
Je n'argumenterais pas trop sur le rationalisme dont la signification n'a jamais été très claire pour moi, et qui évoque à mes yeux avant tout l'idéalisme. Dans ce cas je vous suis totalement.
Car l'idéalisme fondé sur la raison dogmatique, c'est à dire en définitive sur des principes et une prétention à raisonner sur le champ métaphysique, est pour moi générateur de catastrophes. De ce point de vue, le socialisme qui incarne parfaitement cette utopie, cette forme laïque de religion (dans laquelle la prétendue raison remplace la foi) est vraiment la plus grande catastrophe que l'humanité ait engendrée. Pire que les religions, qui hélas font également du mal lorsqu'elles prétendent imposer la loi de Dieu au peuple.
S'agissant des Lumières et du moralisme, je suis évidemment beaucoup moins sévère que vous, surtout lorsque je considère la conception, à mon sens la plus aboutie qu'on puisse en avoir : celle des penseurs anglo-saxons et celle de Kant !
Cette voie a quand même mené à la démocratie moderne, dont le modèle est outre-atlantique, et qui est la meilleure chose qui nous fut donnée depuis le siècle de Périclès, la plus propice à l'épanouissement de l'être humain. Elle est fragile, pétrie de défauts, et demande à progresser, mais je n'en voudrais changer pour rien au monde...
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