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UN INTELLECTUEL CHINOIS DÉÇU PAR L’OCCIDENT.
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"Après cette guerre [première guerre mondiale], la civilisation occidentale
est profondément corrompue… Autrefois quand j’entendais nos lettrés de la
vieille école affirmer qu’un jour viendrait où les enseignements de CONFUCIUS
seraient mis en pratique par toute l’humanité, je croyais entendre des
absurdités. Aujourd’hui pourtant, je trouve que les hommes les plus éclairés d’Europe
et d’Amérique semblent arriver aux mêmes conclusions que moi…
Il me semble qu’en trois siècles [nous sommes en 1923, date de la publication de ce texte, mais
YAN FU est déjà mort] les Occidentaux soient parvenus à dégager quatre
grands principes : être égoïste, tuer les autres, avoir peu de scrupules
et ressentir peu de honte. […]."
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COMMENTAIRES.
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Ce texte a été publié dans Hiue Heng, N°18 (Shanghai, 1923), Wen Yuan 6-7. Il est dû à un intellectuel chinois répondant au nom
de YEN Fou (YAN Fu ; Yán Fù ; caractères simplifiés 严复 ; caractères traditionnels : 嚴復). YAN Fu est né en 1854 et il est mort en 1921. Le texte cité est donc
un texte posthume. YAN Fu a fait ses études à l’Université d’Edimbourg et il a traduit nombre d’ouvrages anglais en chinois : HUXLEY, John
Stuart MILL (un penseur libéral, partisan de l’utilitarisme à la suite de
BENTHAM dont il a une compréhension toute personnelle), Herbert SPENCER (qui
fut ami et ardent défenseur de DARWIN, et fut lui aussi partisan de l’utilitarisme
comme BENTHAM, mais farouche opposant à la guerre d’agression), Adam
SMITH (et sa main invisible du marché, avec cependant la certitude, selon lui,
qu’il existe des êtres humains capables
de sympathie, ce qui fait de son œuvre un ensemble contradictoire). [sources : H.G. CREEL, La pensée chinoise de Confucius à Mao Tseu-Tong ; Wikipedia ; bibliothèque personnelle].
On observe que les conclusions de YAN Fu sur
les quatre principes de la pensée occidentale pendant les trois siècles de progrès sont très étroitement dépendantes
des auteurs qu’il a traduit. L’utilitarisme n’est que le nom scientifique de l’égoïsme,
le fait de tuer les autres est illustré très tristement par la guerre de l’opium,
puis par la guerre hispano-américaine et ce que les Espagnols appellent le
désastre de 1898, les guerres coloniales, et enfin la première guerre mondiale,
l’absence de scrupules, c’est bien le mercantilisme et l’exploitation des
colonies et des hommes, avec comme corollaire le peu de honte de l’avoir fait.
Il est dommage que YAN Fu n’ait pas traduit d’autres
auteurs anglophones mais chrétiens, comme John-Henry NEWMAN ou CHESTERTON. Mais ce trou, qu’il
soit volontaire ou non dans l’usage des sources, va permettre d’expliquer les
raisons pour lesquelles YAN Fu parle des trois siècles de (prétendus) progrès… Nous
sommes dans les années 1920. Voilà qui nous ramène donc aux années 1620, comme
point de départ du progrès, dénoncé avec tant d’amertume par l’auteur. C’est l’époque
où DESCARTES commence à écrire et à produire ses diverses œuvres. Et c’est le
début de la phase de « Progrès » que dénonce YAN Fu. Car avec son cogito notre bon René ouvre la boîte de PANDORE de l’idéalisme,
du relativisme, et de ce siècle faussement appelé le siècle des Lumières (Enlightment, Aufklärung), célébré comme le siècle du progrès, (quand bien même DESCARTES
ait été dénoncé par ceux qui se drapaient dans la toge du « philosophe »).
On sait ce qui s’en suivit : Révolution française, révolution
industrielle, naissance du capitalisme libéral, guerres coloniales, guerres
européennes, dont la première guerre mondiale, c'est-à-dire le triomphe de la liberté philosophique.
Le grand peuple chinois devrait méditer ces
paroles, lui dont les dirigeants semblent avoir pris à l’Occident son plus
mauvais côté (machinisme, tyrannie de l’État par exemple), et négligé l’originalité
de la pensée chinoise.
Portrait de YAN FU (d'après Wikipedia).
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