Désespérant de pouvoir trouver un sujet intéressant pour le billet de ce jour, j'ai parcouru au hasard le troisième tome d'un ouvrage dont je vous donnerai tout à l'heure la référence. Il est au XVIIIe siècle -avec toutefois moins de génie - ce que les Intuitions préchrétiennes de notre grande Simone WEIL sont au XXe. (L'auteur commente les pensées de Pline. Par pensées, il faut entendre la totalité de l'oeuvre, dont l'auteur analyse la philosophie qui l'inspire). Voici ce que je lis dans la Préface de ce que l'auteur appelle Traité des sources de la Morale qui constitue la dernière partie de l'ouvrage (je respecte scrupuleusement l'orthographe) :
"La morale a du raport (sic) non seulement à la Politique, mais aussi à la Religion parce qu'elle est absolument nécessaire au but de l'une & de l'autre ; & par cette raison, il n'y a point de science dont l'étude soit plus importante. En effet, il n'est pas possible de nous bien conduire ni dans la Société civile que nous avons avec les autres hommes, ni dans la société que nous pouvons avoir avec Dieu par la Religion, si nous n'avons pas une connaissance suffisante de nos devoirs.
Sur ce principe, les Législateurs n'ont pas laissé les hommes dans toute leur liberté, mais ils les ont assujettis à un grand nombre de Loix (sic), selon qu'ils l'ont jugé à-propos (sic) pour le biens des Sociétés qu'ils formaient. Dieu lui-même, le premier, & le souverain Législateur, en a usé d'une manière semblable. [...]
A parler proprement, les instructions que la Parole de Dieu nous donne sur ce sujet, (virgule sic) sont suffisantes pour notre salut. Cependant, comme ces Loix ne sont pas fondées uniquement sur le Commandement (singulier sic) de Dieu, mais qu'elles ont leurs sources dans la Nature, il serait fort utile de découvrir ces sources, car on se soumet plus facilement à la Loi, quand on en connaît la raison. [...]
Il faut faire attention à la Nature de Dieu & à la Nature de l'homme, mais il ne faut y considérer que ce que les hommes sont capables de connaître. Si par cette voye (sic), on peut établir des principes [moraux] faciles, certains, & féconds, qui par un enchaînement aisé & nécessaire, nous fassent trouver les raisons & les fondements de tous nos devoirs dans la Nature de Dieu et la Nature de l'homme, ou ces principes seront la vérité même, ou ils s'en approcheront beaucoup & et pourront aider à la découvrir."
On admirera sans réserve la beauté de cette langue, la sagesse de l'auteur qui nuance à chaque instant son propos ("une connaissance suffisante", "Ces Loix ne sont pas fondées uniquement sur le Commandement de Dieu", des principes "qui s'approchent" de la vérité), et qui par un sain recours à la raison a bien intégré les progrès utiles que la philosophie avaient accumulés depuis PASCAL, DESCARTES et les Philosophes des Lumières. On aimera le pluriel dans "les sociétés qu'ils formaient", car la Société est une notion abstraite et dépourvue de toute réalité ; les sociétés sont les groupes humains, les corps intermédiaires.
Je trouve dans ce texte l'expression exacte de ce que je crois être vrai : une anthropologie juste, qui considère l'homme comme un sujet religieux, la Nature conçue comme une source d'enseignements utiles à la vie politique et religieuse, une morale qui se fonde sur la celle-ci et sur la Parole de Dieu, laquelle ne peut être en contradiction avec elle. La Nature humaine sur laquelle il ne faut pas faire d'erreur d'analyse. Bref, une position équilibrée, et très moderne finalement.
C'est bien parce que la Nature réagit aux influences humaines que le mouvement écologiste est né ; c'est en raison du rejet par l'Occident de la religion dans l'unique sphère privée que naissent des mouvements soi-disant religieux, comme l'Islamisme ou le nationalisme hindouiste, ou les élucubrations sectaires, millénaristes, et new age, qui négligent la sagesse des anciens, y compris celle des philosophes païens, qu'ils soient grecs, latins, indiens, iraniens, arabes ou chinois, ou en font un magma syncrétique inconsommable.
L'homme-individu créateur de sa propre vérité, la tentation de tel ou tel individu d'imposer par la force sa propre conception de la vérité, la politique affranchie des devoirs moraux, le viol permanent de la Nature dont on veut négliger les enseignements (je connais des philosophes, certains très bons qui me touchent de près, qui rient quand je parle des enseignements de la Nature), voilà où nous conduisent ces fourvoiements magistraux de la pensée. Décidément, je ne regrette pas d'avoir ouvert ce livre.
In
Mr FORMEY.
Le philosophe payen (sic) ou Pensées de Pline. Avec un Commentaire littéraire & Moral (majuscule sic).
Tome troisième. Traité des sources de la Morale. Préface. (page 309 ; cette Préface n'est cependant pas paginée).
A Leide, de L'Imp. d'Elie Luzac, Fils, 1759.
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