lundi 31 mars 2008

Anomalie du septième jour ? Vraiment ?

Yves THREARD publie dans le Figaro un éditorial que je conteste avec vigueur. Il l'intitule, avec un brin de provocation : L'anomalie du septième jour. En bref, il estime que le repos dominical, ou, plus exactement, la fermeture dominical des magasins, est une survivance à laquelle il convient de mettre un terme sans tarder. L'argumentation vaut la peine d'être ici présentée : [...] On ne saurait trop encourager le gouvernement, dit-il, à mettre un terme à cette anomalie du septième jour. Et vite. Libérer le travail le dimanche, c'est faciliter la consommation, créer des emplois, donner du pouvoir d'achat. Donc soutenir la croissance. Et de fustiger les syndicats, toujours en embuscade dans notre pays pour dénoncer 'l'exploitation de l'homme par l'homme', qui s'opposent à cette libéralisation. Pour une fois, je leur donne entièrement raison.
En somme, Yves THREARD n'a de l'homme que la vision de l'Homo oeconomicus, cette horreur inventée par les marchands du Temple. Jusqu'ici, et fort justement, seules les professions de la santé, de l'hôtellerie et des transports, échappaient à l'interdiction du travail du dimanche. On voit bien pourquoi : elles satisfont à des besoins impératifs, ceux d'être soigné, nourri, logé, et transporté, qui tous jaillissent de l'exigence de vie et de rencontre chevillée au coeur de chacun de nous.
A qui fera-t-on croire que l'ouverture généralisée des magasins, le dimanche, va sauver la croissance ? La croissance pour quoi faire ? Pour consommer toujours davantage ? Faut-il donc rappeler que l'Homme ne vit pas seulement de pain ?
Il y aurait mieux à faire que d'ouvrir le dimanche. Par exemple supprimer l'idiote mesure des 35 heures (idiote, dans le contexte politico-économique actuel, car travailler moins est en soi une chose qui pourrait être bonne, si le temps libéré servait à la culture et non point au travail au noir, à la rencontre et non point à l'avachissement devant la télévision, à la famille et aux amis et non point aux "grandes foires" affublées du qualificatif de "populaires", qui sont surtout populeuses, et laissent chacun de nous encore plus seul dans la foule).
Aucune raison économique, aucune raison politique, rien, ne doit faire renoncer les pouvoirs publics à l'obligation de la fermeture dominicale. Dernier repère, dernière attache avec un passé plus respectueux de la nature humaine, le repos dominical est tout simplement le respect que l'on doit à l'humanité de l'Homme. Non, l'Homme ne vit pas seulement de pain.

jeudi 27 mars 2008

Relâche

Je m'absente quelques jours. Reprise des billets le lundi 31 mars.

La solidarité, encore

La scène se passe dans le métro, ligne 9, hier, peu avant midi, du côté de la station Nation-Place des Antilles. Un homme, enveloppé d'un drap blanc comme on le serait d'un grand châle, - un drap qui lui tombe aux pieds et lui donne l'allure d'un spectre, - manifestement étranger, sans doute originaire d'Asie Centrale ou du Caucase, monte comme une flèche dans la rame. Une jeune fille, assise, mange un sandwich. L'homme la regarde, les yeux exorbités, lui fait un signe. Croyant qu'il veut un morceau de papier, la jeune fille déchire l'enveloppe de son sandwich et lui donne ce qu'elle croit être l'objet de sa demande. Il crie alors, montrant sa bouche ouverte : "Manger !". Elle lui donne le reste de son sandwich. Il s'en saisit avec une avidité, une violence qui ne peuvent venir que de l'extrême nécessité dans laquelle il se trouve, et sans dire merci, quitte le wagon, en gagne un autre où il peut déguster ce que la jeune fille lui a donné, comme l'aurait fait un chien qui, se saisissant d'un os, va se cacher derrière sa niche pour le ronger. Sauf que la jeune fille a vu en lui son semblable, et ne s'en est pas tenue aux apparences. Assise en face de moi, une dame d'un certain âge s'offusque de cette absence de merci. La jeune fille sourit et entame paisiblement la viennoiserie qui lui sert de dessert. J'en ai le coeur serré.
En rentrant chez moi, je me replonge dans l'ouvrage capital de LANZA del VASTO Les quatre fléaux, livre qui parle entre autre de ces questions. Et je tombe sur ce texte que je vous livre en tremblant, avec l'espoir extrême qu'il vous transpercera jusqu'aux moelles :
"Solidarité est un mot commode, en grand honneur aujourd'hui auprès des prêcheurs de morale. Et si par morale ils entendent utilité sociale, ils ont raison de tenir pour excellent le mot et son contenu, car c'est le moellon dont les cités humaines sont bâties, et l'équivoque qu'il contient doit être reconnue d'utilité publique.
En fait, dès qu'on appuie dessus le regard de l'esprit, on voit son amalgame se décomposer en deux éléments d'inégale valeur et de sens contraire : l'un c'est la Charité, l'autre c'est l'Esprit de Corps. L'un ou l'autre peuvent constituer la solidarité : l'un et l'autre y contribuent à quelque degré. Mais par leur essence et leurs effets ils se distinguent, ils s'opposent, ils doivent s'opposer. [...] Il va de soi que celui qui aime n'a qu'à faire ce qu'il veut pour bien faire ; qu'on n'a besoin d'user ni de contrainte pour l'écarter de l'injustice, ni de menaces pour le rappeler à ses devoirs ; que là où la charité règne, il ne peut subsister ni dol, ni vol, ni violence, ni division, ni oppression, ni révolte."
Cette jeune fille, diront les uns, a fait preuve de solidarité ; les autres prétendront qu'en faisant ce qu'elle a fait, elle encourage la mendicité des immigrants. Ceux qui ont des yeux pour voir, y reconnaîtront tout simplement la charité. Et ceux qui ont l'esprit de corps, s'appuyant sur de nombreux faits de ce type venus à leur connaissance, prendront des dispositions législatives contraignantes, soit pour "redistribuer" à ces pauvres gens, soit pour les "expulser", les repousser loin de nos regards qui risqueraient d'être blessés par ces bêtes traquées. Aucun ne reconnaîtrait le fruit d'une action véritablement libre dans le geste de cette jeune fille. (Bien entendu, cela n'exonère pas les pouvoirs publics de l'obligation d'assurer une vie matérielle convenable à leurs administrés, mais pas à la façon des rengaines qu'on nous sert sur la solidarité de tel côté, sur l'immigration de tel autre.)
Alors que la justice voudrait de nous que nous n 'entretenions pas notre niveau de vie par une injuste rétribution des matières premières et des produits venus dans les pays d'où affluent les miséreux. Avis à tous les bien-pensants de gauche. Avis à tous les fanatiques de la prétendue liberté à droite.

mercredi 26 mars 2008

L'exemple des Romains, ou comment en prendre de la graine

Quand les Romains eurent été battus à trois reprises par Hannibal qui s'était rendu maître de presque toute l'Italie, ils n'avaient plus d'armée, les caisses de l'état étaient vides, les consuls chargés de conduire les troupes avaient été tués. La situation était désespérée.
La France, toute proportion gardée, est dans cet état là. Du reste, le Journal Marianne titre : Un Président impuissant, et sous-titre (notamment) sur la crise économique mondiale, et le lâchage des media pour expliquer la chute de popularité du chef de l'Etat.
Or voici ce que dit un auteur du XVIIIe S. (qui n'était pas un Philosophe) à propos des moyens mis en oeuvre par Rome pour redresser une situation désespérée. "Le Consul représenta que les Magistrats devaient donner l'exemple au Sénat, & le Sénat au Peuple, d'aider la République dans l'extrémité où elle se trouvait : Que le moyen d'engager les inférieurs à contribuer de leurs biens au soutien de l'Etat était de commencer par le faire soi-même : Qu'ainsi, ils devaient tous porter au trésor public leur or & leur argent. Cela fut exécuté sur le champ, & avec un tel zêle (sic), qu'à peine les Receveurs et les Greffiers pouvaient-ils suffire à l'empressement public, chacun ambitionnant l'honneur de se faire incrire des premiers. L'Ordre des Chevaliers, & ensuite le Peuple, en firent autant, sans qu'il fût besoin pour cela d'aucun Edit public".
In
De la manière d'enseigner et d'étudier les Belles Lettres, par rapport à l'esprit et au coeur. Tome quatrième. Nouvelle édition.
par M. ROLLIN.
A Paris, chez les Frères Estienne, Rue saint Jacques, A la vertu (re-sic).
1755.(Je possède les quatre tomes de cet ouvrage dans ma bibliothèque)


Et monsieur ROLLIN dit un peu avant ceci, commentant le point de vue de CICERON :
"On ne peut bien gouverner un état sans garder en tout une exacte justice".

Voilà pourquoi le paquet fiscal dans certaines de ses dispositions ne peut être reçu par l'esprit public.
Voilà pourquoi les mesures que les députés de l'ancienne législature ont prises à l'unanimité, concernant leur retraite et les indemnités qu'ils recevraient pendant des années au cas où ils seraient battus, sont tout simplement scandaleuses.
Voilà pourquoi les traitements, parachutes dorés et autres indemnités des grands patrons d'industrie ne peuvent être comprises.
Quand la nation va mal, tous et surtout les élites, doivent contribuer à son redressement. On en est hélas très loin, car "la souveraineté du Libre Arbitre", et l'individualisme lié à l'absence de références morales objectives ont triomphé de tous les scrupules. Nous n'avons pas pris exemple sur les Romains, hélas !
On a beaucoup glosé sur l'augmentation du traitement du Président de la République, alors même qu'il est avéré que cette augmentation ne coûte rien au Trésor Public, puisqu'il s'agit simplement d'un transfert dans l'affectation des fonds attribués au fonctionnement de l'Elysée. Il est clair toutefois que cette mesure était inopportune, quand bien même elle permet une plus grande transparence. Mais on a assez peu commenté les augmentations que messieurs les deputés se sont octroyées avant de partir en campagne électorale.

mardi 25 mars 2008

Euthanasie, Révolution, Lamartine. Que de coïncidences

Je vous jure que je ne connaissais aucun des détails que je vais vous dire, avant que je ne délivre mes quatre ou cinq derniers billets.

1. Un correspondant me signale la publication du livre dont voici la référence (Vous noterez la date de parution, janvier 2008. Y-aurait-il une prise de conscience tardive de la part de nos historiens ?)
Le livre noir de la Révolution française.
Renaud Escande, Pierre Chaunu, Isabelle Storez- Brancourt, Collectif, J-P Brancourt
Paru le 31/01/2008
Éditions du CERF, Paris.
2. Tout à fait par hasard, j'ai eu hier entre les mains le Figaro du jour. Dans sa chronique intitulée Euthanasie : un débat suicidaire, Alain-Gérard SLAMA reprend l'argumentation que j'avais exposée il y a peu, après le décès de Chantal SEBIRE. Il va même jusqu'à citer (exactement) BERNANOS :"L'homme a le coeur dur et la tripe sensible" qui figure au début des Grands Cimetières sous la lune. Coïncidence ? Non je ne le crois pas. Le chroniqueur conclut son article - je vous en recommande absolument la lecture - comme ceci : "Prétendre légiférer en matière éthique autrement que pour rappeler les principes, aboutit à relativiser ces principes, sous prétextes de les mettre en accord avec les moeurs, et à asseoir ainsi l'arbitraire d'une morale d'Etat, dont la logique est totalitaire".
3.Figurez-vous que j'ai une passion, la reliure. J'ai trouvé il y a quelques années à Salins-les-Bains les "Méditations poétiques" de Lamartine, en édition originale. Une association caritative vendait des livres au poids ! Ces livres valent la peine d'être reliés. Je m'y suis mis. Et hier, en vérifiant l'ordre des cahiers que j'avais débrochés je tombe sur une poésie intitulée... Les Révolutions. Permettez que je vous en livre une strophe. Elle est prophétique :
Mais vous peuples assis de l'Occident stupide,
Hommes pétrifiés dans votre orgueil timide,
Partout où le hasard sème vos tourbillons,
Vous germez comme un gland sur vos sombres collines,
Vous poussez dans le roc vos stériles racines,
Vous végétez sur vos sillons.

Bonne journée quand même !

lundi 24 mars 2008

Souffrances et mort : à propos de l'euthanasie

Les journaux, toujours à l'affût de sensationnel, ont fait un grand tapage autour de la mort de madame Chantal SEBIRE. Ils ont été d'une rare obscénité, au point que les enfants de cette femme qui souffrait horriblement, ont demandé aux médias de la discrétion pour pouvoir faire leur deuil, et n'approuvent aucunement les déclarations qui sont faites par les journaux sur ce drame.
Madame SEBIRE souffrait affreusement ; elle était défigurée. Etait-il nécessaire et juste de passer en boucle, à la télévision, son visage supplicié par la maladie ? Et s'il ne nous avait pas été montré, aurions-nous eu ces réactions passionnelles, à chaud, motivées en partie par l'horreur que nous éprouvions à voir cette face qui n'avait presque plus rien d'humain ? Nous devons nous poser ces questions, en conscience, et en particulier, nous demander s'il n'existe pas de par le monde d'autres patients, tout aussi déformés par la maladie, des lépreux, par exemple, ou des sujets souffrant de parasitoses déformantes (il y en a), que nous ne connaissons pas, bien sûr, et dont nous ne nous demandons pas s'il serait bon pour eux de les aider activement à mourir.
Madame SEBIRE souffrait, et nous ne pouvions avoir que de la compassion pour elle. Quelle que soit la cause de sa mort, nous savons que son long calvaire a pris fin. Mais si nous sommes en vérité avec nous-même, nous pouvons aussi penser que c'est nous qui sommes libérés de cette souffrance que nous ne pouvions plus regarder en face. BERNANOS disait en substance (je cite de mémoire) : "Ce siècle a des tripes mais il n'a pas de coeur". Et je me demande si tout ce tapage médiatique ne repose pas sur ce constat. Le cardinal de PARIS, monseigneur VEUILLOT sur la fin de sa vie, consumée par un terrible cancer, disait aux prêtres de son proche entourage : "Ne parlez jamais de la souffrance ; vous ne savez pas ce que c'est". Nous aurions dû nous en tenir à cette discrétion.
Il est réconfortant d'avoir lu ou entendu trois personnalités, aux croyances, aux origines, aux fonctions très différentes avoir exactement la même opinion. Il faut saluer les belles réponses d'Axel KAHN, un généticien remarquable, sur FR3, l'intervention radiophonique de monseigneur MINRATH, archevêque de DIJON et l'interview du docteur Sadek BELOUCIF, membre du Comité Consultatif National d'Ethique, publiée dans Metro. Tous trois ont la même opinion. Le premier dit que l'actuelle loi LEONETTI suffit et qu'il y avait moyen de calmer les souffrances de madame SEBIRE, quitte à abréger le cours de sa vie en raison des effets secondaires des médicaments analgésiques, et il ajoute que seule la guerre donne le droit de tuer, et qu'il n'y a aucune raison d'ajouter à ce droit (dont il laisse entendre qu'il est abominable) ; le second dit qu'il est possible de ne pas pratiquer l'acharnement thérapeutique et de calmer les souffrances dans des conditions qui peuvent effectivement raccourcir la vie, car l'homme n'est pas fait pour la souffrance, et le dernier, à la question "Qu'est-ce qui vous fait refuser toute évolution de cette loi ?" répond : "C'est que le devoir du médecin est de soigner et de prendre soin de son patient, de l'accompagner vers la mort grâce aux soins palliatifs, de faire face avec lui à l'inéluctable. Et, surtout, les deux grands ennemis de l'éthique étant le temps et l'argent, il faut prendre son temps pour réfléchir à la question. Et dépassionner le débat sur la fin de vie". On ne saurait mieux dire. Merci au docteur Sadek BELOUCIF de nous rappeler ces principes d'humanité élémentaires. Oui merci à vous docteur BELOUCIF, pour le regard que vous portez sur vos patients, sur la vie et sur la mort. Vous êtes l'honneur de la médecine.

dimanche 23 mars 2008

Pâques

A tous ceux qui liront aujourd'hui ce billet, je souhaite de belles et saintes Pâques, s'ils sont chrétiens, une journée de paix, d'espérance et de liesse, s'ils ne le sont pas. Car les Disciples savent bien que tous les hommes sont les fils d'une même Père. Et c'est pourquoi ils disent, comme ils l'ont appris de Jésus, NOTRE Père et non pas MON Père.
A ceux qui ont été baptisés dans la mort et la Résurrection de Jésus, ces Paroles que l'Ange de l'Apocalypse adresse aux Eglises d'Asie : à celle d'Ephèse, "J'ai contre toi que tu as perdu ton amour d'antan", à celle de Smyrne, "Reste fidèle jusqu'à la mort", à celle de Sardes, "Je connais ta conduite ; tu passes pour vivant, mais tu es mort", à celle de Philadelphie, "Disposant de peu de puissance, tu as gardé ma Parole", à celle de Laodicée, "Tu n'es ni froid ni chaud - que n'es-tu l'un ou l'autre - ainsi, puisque te voilà tiède, ni chaud, ni froid, je vais te vomir de ma bouche", et enfin cette belle promesse faite à l'Eglise de Thiatyre : "Le vainqueur, celui qui restera fidèle à mon service jusqu'à la fin, je lui donnerai pouvoir sur les nations, [...], et je lui donnerai l'Etoile du matin".
A ceux qui cherchent la vérité, cette parole du poète TAGORE : "A l'homme qui espère, toute chose se révèle, pourvu qu'il ne renie pas dans les ténèbres ce qu'il vu dans la lumière".
A tous les hommes de bonne volonté, croyants ou non : "N'ayez pas peur !"
Oui bonnes Pâques à tous.

samedi 22 mars 2008

Le détail et la structure, ou l'esprit de monsieur Le Pen

Un de mes collègues, un ami dont j'admire et la culture et la finesse, le professeur Michel TARDY, me donna un jour la définition suivante d'une structure : c'est, me dit-il, un ensemble de relations non quelconques entre des objets quelconques. Il me paraît important de vous donner cette définition, car j'ai souvent fait appel dans ce Blog, au point de vue structuraliste, et aux structures. J'ajoute que cette définition, pour un biologiste et un enseignant en cette discipline, aide puissamment à clarifier ses idées.
Pourquoi vous dis-je cela ? Vous allez comprendre rapidement, et même si vous trouvez que j'insiste lourdement sur la Révolution, vous verrez qu'il y a du vrai dans l'analyse trop rapide que je vous en fais depuis trois billets.
Il vous souvient sans aucun doute de l'ignoble réflexion de monsieur LE PEN qui traitait les chambres à gaz et les fours crématoires de "détail de l'histoire". C'était ignoble en effet, non seulement parce que c'était attentatoire à la mémoire des victimes, mais encore et aussi parce que ça dénotait une absence totale de compréhension du temps historique et du déroulement de l'histoire dans ses ruptures. Nous avons dans cette affaire la structure suivante : un homme (monsieur LE PEN), des faits monstrueux (les camps de concentration), un jugement contestable sur ces faits (cela n'a pas eu d'incidence sur la conduite de la guerre).
Il convient d'examiner le jugement que l'histoire officielle porte sur la Révolution. Un groupe d'hommes (les AULARD, MATTHIEZ, SOBOUL et consorts, et leurs relais politiques au ministère de l'éducation nationale), des faits monstrueux (les guerres de Vendée et ses 182.000 morts, les 70.000 guillotiné, fusillés, déportés de la Convention, les spoliations, les destructions notamment des édifices religieux, Cluny n'étant qu'un petit exemple), un jugement contestable sur ces faits (ils ne sont pas si importants que cela, ce qui compte c'est le résultat globalement positif de la Révolution). Autrement dit, la relation que l'on fait entretenir à notre mémoire collective à ces horreurs est, d'un point de vue de la structure, absolument identique à l'opinion de monsieur LE PEN sur les chambres à gaz. D'où vient que l'on s'offusque de l'une et pas de l'autre ? A mon avis, c'est assez clair. HITLER a perdu. Les ENRAGES de la Révolution ont fini par gagner à l'usure. Voilà l'exemple type du penser faux !
Et elle n'est pas si loin que cela la Révolution. L'arrière-grand-père de ma grand-mère, née en 1892, était né lui sous LOUIS XVI ! Elle était à même de me transmettre de mémoire d'homme des faits de cette époque. Elle ne l'a pas fait parce que l'on ne lui en avait pas parlé. Mais je possède le gilet de soie brodé de cet ancêtre.
Il n'y a pas d'autres solutions pour avancer dans la concorde civile que de reconnaître ces monstruosités et de faire repentance. Laver notre mémoire et demander pardon pour ces iniquités. Les Allemands ont su le faire avec un courage et une dignité exemplaires. Pourquoi ne le pourrions-nous pas nous aussi ? Il n'y a pas d'exemples direz-vous ? Si, il y en a. C'est celui du mur des fédérés et de la Commune de Paris. Chaque année, on commémore ce drame qui a vu des Français fusiller d'autres Français, au motif qu'ils ne pensaient pas comme monsieur THIERS. Mais les Communards étaient classés à gauche ; c'est bon, ça, la gauche. Que des nobles, des prêtres, des religieuses, des artisans, des gens de rien, très nombreux, aient été guillotinés, ma foi, ce n'est pas bien grave : il n'y a pas de fumée sans feu ; ils avaient sans doute bien des choses à se reprocher.
Désolé, je ne marche pas dans ce mensonge.

vendredi 21 mars 2008

Précisions sur la Révolution

Ce matin, j'ai évoqué petites écoles de l'Ancien Régime, dont bien entendu on ne parle jamais dans l'enseignement de l'histoire. Voici la référence d'un petit livre remarquable sur le sujet. J'ai le bonheur de le posséder. Il est difficile à trouver :
Bernard GROSPERRIN.
Les petites écoles sous l'ancien Régime. (Collection "De mémoire d'homme" [dirigée par Lucien BÉLY].)Ouest-France, Rennes, 1984.
On pourrait croire que j'exagère la caractère sanglant, bachique, carnavalesque de la Révolution. On pourrait imaginer qu'en annexant H. TAINE à mes propos, je cite un fieffé réactionnaire. Pour me laver de ce soupçon, je vais vous citer un petit passage de l'histoire de la Révolution à Lyon, écrit par un homme au-dessus de tout soupçon quant à son attachement à la République et aux principes républicains, tels que l'une et les autres règnent dans l'imaginaire collectif. Je vous donnerai son nom tout à l'heure.
"Cependant, le Tribunal PAREIN continue à se montrer impitoyable. Le 14 pluviôse [de l'an II], il prononce 41 condamnations à mort. Le même jour, montent à l'échafaud, ou sont fusillés, les deux frères PERUSSEL, heureux [...] d'avoir vu acquitter leur père ; le chartreux Dom MOLLIERE, réfractaire ; l'épicier de la place Saint-Paul, PAILLASSON et son fils âgé de dix-neuf ans ; DERVIEU de GOIFFIEUX, ex-conseillers à la cour des Monnaies ; -plusieurs prêtres, et en particulier, le vieil abbé Pierre GOYET, le plus ancien chanoine de VILLEFRANCHE, âgé de soixante-dix ans, connu comme numismate, archéologue et bibliophile ; Anne PUPIER, de MONTBRISON, femme de LESGALLERY-DUTAILLON. [...]
Le 16, la Commission révolutionnaire prononce 38 condamnations à mort. Le commis marchand Melchior PAUFIN, âgé de vingt ans a combattu comme grenadier, mais que reproche-t-on au prêtre Pierre TRUNEL, âgé de soixante-et-onze ans. [...] Le prêtre Pierre RASCLE a soixante-huit ans ; condamné comme réfractaire, on prétend que sur l'échafaud, il baisa la main du bourreau. Nous sommes en pleine passion antireligieuse. GRIMAUD se rend Sainte-Consorce ; il visite l'église et fait brûler tout ce qu'elle contient, sauf quelques ornements dont se revêtent les dragons pour rentrer à Commune-Affranchie [le nouveau nom de LYON après sa prise par les révolutionnaire jacobins parisiens ; note du transcripteur], poussant devant eux le curé.[...]
Le 18, 12 nouvelles condamnations. [...].
Plus que jamais, on guillotine, on fusille. Le 19 pluviôse, 17 condamnations à mort."
La figure la plus ignoble dans la punition d'un LYON qui s'est rebellé est celle d'un certain JAVOGUES, Représentant en mission. Voici ce qu'en dit mon auteur : "En dépit des protestations qu'il soulève, JAVOGUES multiplie les violences, recommandant aux mères de prostituer leurs filles, prêchant aux jeunes gens le libertinage, criant dans ses beuveries : 'Du sang ! du sang !' ou 'Tout pour le pot', excitant à la dureté la Commission militaire où il siège lui-même. Il fait exécuter par des prisonniers piémontais 28 condamnés en une seule fois dans l'allée du château du ROSIER."
Le 23 pluviôse, "la Commission révolutionnaire prononce 35 condamnations à mort. L'ouvrier Jean CLAVELLE n'a que dix-huit ans comme le tonnelier André BERTRAND ; Abraham PLASSON de LACOMBE est encore plus jeune. Par contre Louis TROLLIER de CHAZELLES est un vieillard. [...] Le jésuite Charles-Dominique FERRY, grand-oncle de Jules FERRY, âgé de quatre-vingt quatre ans, a été envoyé au tribunal, à raison de sa sainteté et son amour pour son Dieu."
On n'en finirait pas d'énoncer la liste des turpitudes de ces monstres, des horreurs perpétrées par ces hommes avinés, de basse extraction, et qui se vengeaient sans doute de leur médiocrité par l'étalage d'un abominable pouvoir.
Plusieurs conclusions. (a) Les Lyonnais ne sont pas rancuniers qui ont oublié le traitement que Paris et sa populace déléguée lui ont infligé il y a deux siècles, et ont réélu comme maire un héritier de l'idéologie révolutionnaire incarnée dans le socialisme (au demeurant, monsieur COLLOMB n'est pour rien responsable de ces atrocités, bien sûr, et de plus c'est un homme ouvert et sympathique ; ce n'est pas le cas de l'idéologie à laquelle il fait [prudente] allégeance) ; (b) On peut se demander si Jules FERRY n'était pas amnésique, à moins qu'il ait détesté un grand-oncle que pourtant il n'a pas connu.
JE NE PEUX PAS ADHERER A UN REGIME NE DANS L'INJUSTICE, LA VIOLENCE, LA PERSECUTION, ET LE SANG. Cela m'est impossible. Sauf si ce régime ne cache pas cette origine, et ne cherche pas à la légitimer en occultant ce qui est gênant et en exaltant ce qui n'est que fumée.
Ah, j'oubliais. Ces citations sont tirées d'un admirable livre d'Edouard HERRIOT, intitulé Lyon n'est plus. Tome III. La répression. Librairie Hachette, Paris, 1939. Il ne vous échappera pas que monsieur HERRIOT a été maire de LYON, et qu'il a été enterré religieusement, au grand scandale de ses amis politiques, de gauche bien entendu. Peut-être s'est-il souvenu du martyr de ces dizaines de prêtres et de religieuses exécutées pour la raison qu'ils croyaient au Dieu de Jésus-Christ, en demandant expressément au cardinal GERLIER ces obsèques chrétiennes. Je regrette d'avoir été trop long, mais... je ne pouvais pas me taire.

Enseignement, mensonge d'Etat et Révolution française

Dernier billet consacré aux conséquences désastreuses de la Révolution, un billet qui a trait aux mensonges que nous distillent les professeurs d'histoire quand ils nous enseignent la Révolution. Vous remarquerez tout d'abord la manière dont on périodise l'histoire de France. On découpe arbitrairement le XVIIIe siècle lequel est censé prendre fin en 1789, et l'on fait émerger la France des brumes de l'enfance à cette date. Pour que la chose soit crédible, il faut bien expliquer la périodisation, et justifier la folie collective révolutionnaire par un préalable état des lieux, honteusement noirci, et un inventaire des nouveautés remarquables qu'ont introduit dans la vie publique les prétendues "grandes figures" que sont les Robespierre, Marat, Danton, Hébert, et autres Carnot (oui, oui, Carnot, qui signait en blanc des décrets d'accusation et qui faillit perdre ainsi un de ses fidèles secrétaires).
Ainsi, on parlera de l'ignorance dans laquelle on maintient le peuple, mais l'on passera sous silence l'existence de près de 20.000 petites écoles paroissiales où l'on dispensait aux enfants, garçons et filles, un enseignement primaire élémentaire tout au long du XVIIIe siècle. On insistera sur l'exploitation des paysans par les nobles, mais on passera sous silence deux faits de première importance : la première est que les aristocrates ne pouvaient pas exercer de professions dites serviles sans déroger, ce qui leur interdisait de rentrer dans le processus industriel, le capitalisme sauvage et l'exploitation d'une classe ouvrière qui n'existait pas (pas encore) et que des bourgeois opportunistes et sans scrupules ont opprimée au cours du XIXe siècle ; la seconde est qu'ils se sentaient obligés de porter les armes pour défendre leur pays, et qu'ils n'obligeaient pas les paysans ou les artisans à la conscription, laquelle a fait le nombre de morts que vous savez, aussi bien pendant les guerres révolutionnaires, ou napoléoniennes, qu'en 1914-1918. La conscription est une invention révolutionnaire. Enfin, on oublie de mentionner que nombre d'aristocrates résidaient effectivement en province, dirigeaient avec sagesse leur exploitation agricole (le seul "métier" qui leur fut autorisé), et ont souvent dépensé jusqu'à leur dernier sous pour secourir la misère des pauvres. On fait donc semblant de confondre la noblesse fréquentant la cour (une minorité de nobles, souvent libertins, anticléricaux, areligieux, et pour tout dire scandaleux) avec les nobles administrant leurs domaines. Dans un précédent billet, je vous ai aussi décrit le zèle de nombreux évêques, et leur inventivité dans le domaine social avant la Révolution. Avez-vous aussi remarqué que nombres d'artistes ou de savants de premier plan n'ont point de particules et qu'il a bien fallu qu'un système d'enseignement supérieur existât pour les amener à cette perfection.
Bref, on noircit à loisir le tableau, pour justifier le sang versé. Et l'on installe dans l'esprit des enfants une sorte de flou sur la naissance de la république DANS LE SANG.
Comme le mécanisme victimaire ne fonctionne plus, et que malgré tout la violence doit se résoudre dans le sacré, comme l'on n'a pas pu inventer une nouvelle religion, alors on va lui fabriquer un substitut, qui n'est qu'une violence supplémentaire faite à la nature humaine ; on va inventer la religion de la laïcité. Mais d'un point de vue structural, l'imposer dans l'espace public, c'est strictement la même chose qu'imposer une religion particulière. (D'ailleurs il faut noter que Louis XVI, fort sagement, avait pris des mesures très importantes pour réintroduire dans la vie publique les Protestants, et qu'il s'apprêtait à faire de même pour les Français de confession juive.) Il faut bien comprendre que l'occultation des crimes révolutionnaires va de pair avec l'instauration de la laïcité à la française. Celle-ci justifie ceux-là.
En essayant de dégager les grands traits qui sous-tendent la pensée publique actuelle, fondée sur une abstraction qui n'a jamais existé, celle d'une France régénérée par la Révolution, je n'entends pas justifier les injustices ou les disparités de conditions qui existaient réellement avant qu'elle n'éclate : je dis qu'il y avait en France suffisamment d'esprits sages et compatissants, en ce fatal XVIIIe siècle, pour introduire dans la vie publique une régulation sociale pacifiante, au lieu que depuis ce temps, et parce que l'on nous ment, en vain, sur le sort des innocents exécutés, massacrés, exilés, ou déportés (mais oui : cherchez du côté des Pontons de Rochefort, et vous trouverez), les Français ne peuvent pas trouver la concorde civile qui leur permettraient de faire face aux problèmes du temps.
Qui aura le courage de faire repentance pour tant d'injustice ? Voilà ce qui serait un nouveau départ pour une République réconciliée.

jeudi 20 mars 2008

Egalité réelle, égalité idéologique, équité

Je ne suis pas certain de m'être fait comprendre parfaitement dans le billet d'hier. Quelques précisions sur la rivalité mimétique paraissent utiles.
Soit un avocat et un charcutier. Le charcutier tient boutique sur une avenue huppée de Paris. Un avocat vient s'installer dans l'immeuble qui jouxte son établissement. Ni l'un ni l'autre ne sont inquiets de cette proximité et c'est tout juste s'ils se connaissent, se saluent ou se parlent. Hélas, un autre avocat vient planter ses choux dans l'immeuble d'en face, et le charcutier apprend qu'une nouvelle boutique de charcuterie va s'ouvrir à cinquante mètres de chez lui (Ah ! c'était donc ça, la raison des échafaudages, de ces tas bien rangés de plaques de marbres, de tout cet affairement de multiples corps de métiers autour de ce vieux magasin qui ne valait pas tripette d'apparence). Le charcutier installé fait un petit tour chez le voisin, admire la devanture tout encadrée de marbre moucheté, les spots lumineux qui vont éclabousser la vitrine de leur feux (halogénés), se dit qu'il ferait bien d'en faire autant s'il ne veut pas perdre la clientèle qu'il a eu tant de mal à se constituer, maudit ce fâcheux concurrent tout en admirant sa créativité et son goût, et regrette de ne pas être "l'autre". Il croise l'avocat qui fait une petite tournée inspectatoire dans l'immeuble ou Maître de la Tartempoire va ouvrir ses bureaux. (Tiens, tiens il semble qu'il a installé un secrétariat avec de la moquette prune ; c'est joli, le prune ! Il a un vidéophone ; c'est moderne ça ! Pourquoi n'en ai-je pas eu l'idée ?) et il se met à détester ce confrère, plus malin que lui et qui a de si bonnes idées. Hostilité, admiration conjointe, et désir de réduire en bouillie ces importuns agitent les pensées du charcutier et de l'avocat. Ils se croisent disais-je, se reconnaissent, se saluent, puis SE PARLENT, car leur coeur contristé n'en peut plus d'envie, de jalousie, de ressentiment, de haine recuite. Ils sont dans le même bateau, celui de la rivalité mimétique, charcutier contre charcutier, avocat contre avocat, et c'est dans la conjonction de leur rancoeur que vont se créer un climat, une division, un conflit. Ainsi fonctionne la rivalité mimétique. Un palier est franchi dans l'instauration d'une violence contrainte jusqu'au jour où l'on passe à la violence en acte. Tout le concept d'égalité exploité par le courant progressiste consiste à faire fond sur ces rancoeurs accumulées en feignant de croire qu'elles sont légitimes.
S'il y a égalité de conditions entre les charcutiers d'une part, et les avocats, de l'autre, qui , sans être égaux, se ressemblent, il n'y en a pas entre les avocats et les charcutiers. Toute l'astuce politique et le penser faux consiste à croire (même de bonne foi) que leur situation est identique, au nom d'un concept, mais au détriment du réel. Mais qui peut douter que l'avocat n'ait pas envie d'être charcutier ? Qui peut croire un seul instant que le charcutier veuille devenir avocat ? La question de l'égalité ne se pose que dans le cas de personnes placées dans des situations ressemblantes (jamais identiques, cela n'existe pas) : il y a là nécessité d'une égalité réelle. Cependant, feindre de croire en parole que les conditions des deux professions sont identiques au nom de l'égalité idéologique, et légiférer en favorisant une profession plutôt qu'une autre au nom de ce principe est un exercice de haute voltige, parfaitement abstrait, et qui ne peut pas apporter la paix. Mais les idées sur lesquelles se fondent cette idéologie de l'égalité font leur chemin dans l'espace public, et le charcutier en viendra à jalouser les beaux locaux de l'avocat quand l'avocat lorgnera sur la Mercédès du charcutier. Aristote le disait (je cite de mémoire), "rien n'est plus injuste que de traiter également des gens inégaux".
C'est pourquoi à l'abstrait concept d'égalité, je préfère celui d'équité qu'il conviendrait (pour les plus saints d'entre nous) d'imprégner de compassion et de charité. On en revient toujours à cette question du genre et de l'espèce, de la mêmeté et de l'ipséité. Respecter les deux est un exercice difficile, certes, mais ce n'est pas une raison pour ne pas réfléchir sur le fond à cette question qui touche la nature même de sujet social qu'est un être humain. A cet égard, il serait intéressant de rechercher dans la négation du principe d'ipséité (personnelle, ou groupale) l'origine du communautarisme. Tout être humain est en effet à la recherche de son identité.
Nous ne cessons de crier tout bas : Qui suis-je ? Le progressisme répond : tu es un citoyen, rouage de la collectivité. Le conservatisme murmure : tu es membre d'un groupe ; n'oublie jamais ton appartenance. Et celui qui veut tenir les deux bouts de la chaîne répond : tu es un sujet social ; mets au service des autres tous tes dons naturels ; on ne se sauve pas tout seul.

mercredi 19 mars 2008

La Révolution française, une crise mimétique sans solution

Le concept d'égalité tel que l'ont conçu dans leur cerveau les grands guillotineurs de la Révolution (Robespierre, Danton, Marat) est un concept totalitaire, générateur de violence et de sacrifice victimaire, le produit d'un conflit mimétique qui restera à tout jamais sans solution.
Je dois m'expliquer, car voilà qui peut paraître un peu trop asséné. Il se peut que cela me demande plusieurs billets
1-Tout d'abord, il convient ici de rappeler la thèse qu'a exposée René GIRARD et que chaque progrès en ethnologie, en critique littéraire, en anthropologie, ne fait que confirmer. On ne désire que le désir de l'autre, et ce désir est d'autant plus fort que cet autre nous ressemble. Dans une société indifférenciée, cette rivalité mimétique exacerbée conduit à la violence généralisé, et le calme ne revient qu'après le lynchage collectif d'un innocent, d'un bouc émissaire, choisi arbitrairement et perçu comme coupable. Son sacrifice ramenant le calme dans la communauté, la victime est déifié. Il en résulte (a) la création d'une religion, dans laquelle la réitération du sacrifice est censée ramené la paix toute les fois que la crise mimétique menace et (b) l'élaboration de mythes qui dissimulent l'origine sanglante de la religion. Ce processus est appelé mécanisme victimaire. Il ne fonctionne que dans la mesure où l'on est persuadé de la culpabilité de l'innocent. L'irruption dans l'histoire de Jésus de Nazareth vient briser à tout jamais l'efficacité du processus victimaire, car la Passion de Jésus est racontée du point de vue de l'innocent, et à la prophétie de Caïphe "Il est bon qu'un seul homme meurt pour plusieurs", vient répondre la terrible parole de Jésus : "Vous êtes nés tout entier dans le sang. Vos pères ont tué les prophètes", et plus tard tard, sur la croix : "Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font".
2-Quelques menus faits pris dans l'histoire (la grande et la petite) montrent comment fermente au XVIIIe siècle la crise mimétique, et comment croît et s'établit l'indifférenciation, préalable à toute explosion de violence collective. A RIVAROL qui déclare à un aristocrate "Nous, les Nobles", le seigneur ainsi apostrophé répond : "Voilà un pluriel qui me paraît bien singulier". Dans les cahiers de doléances qui précèdent les États Généraux, H. TAINE (In Les origines de la France contemporaine) relève la plainte d'un collège de la noblesse établie dans un bailliage de l'Ouest : les nobles se plaignent de n'être plus distingués des membres des autres ordres, et réclament le droit d'ajouter un signe distinctif à leurs vêtements. Le duc d'Orléans, cousin de Louis XVI se fait appelé Philippe-Egalité, et vote la mort du Roi (il sera quand même décapité, comme quoi l'ambition malveillante n'est pas forcément le moyen du succès). On ne s'appelle plus monsieur ou madame, pendant la Révolution, mais Citoyen. La cathédrale de Strasbourg ne doit d'avoir conservé sa flèche qui heurtait le sens de l'égalité qu'au sang froid d'un citoyen qui "républicanise" la dite flèche en la coiffant d'un bonnet phrygien. La Révolution est un grand carnaval sanglant, une sorte de crise bacchique, si bien analysée par René GIRARD dans La Violence et le Sacré. La paix civile revient avec le Grand Tyran, qui a détesté la France avant de la soumettre, BONAPARTE. Et l'un des premiers gestes de ce catastrophique empereur est de rétablir la différenciation sociale par la création de la noblesse d'empire, et d'instaurer une sorte de conscription pour externaliser la violence par la guerre, conduire à la mort deux millions de jeunes Français, et laisser notre patrie plus petite qu'il ne l'avait trouvée. A ce point du raisonnement, il est intéressant de noter (a) que ROBESPIERRE a bien tenté, peu avant Thermidor, d'instaurer une nouvelle religion, celle de la déesse Raison, au cours d'un culte qui scella sa perte ; (b) que le conventionnel BAUDOT suggéra de remplacer la religion catholique par la religion réformée ; (c) qu'Edgard QUINET dans son remarquable ouvrage sur la Révolution indique que faute d'avoir pu instaurer un nouvel ordre religieux, au prix d'une violence qui va jusque au bout, le nouveau régime ne pouvait durer. Sa cruauté était non seulement inutile, mais inefficace. Et il observe que cette "faiblesse" n'est pas due à un manque de volonté mais à un manque de "clairvoyance" de la part des révolutionnaires.
Tout se passe comme si la mort injuste du juste Louis XVI (on l'a ridiculisé après son exécution par le même mécanisme que celui du mythe fondateur de toute religion qui voile le meurtre originel) n'avait pas pu rétablir la paix parce que le mécanisme victimaire ne fonctionne plus depuis le dévoilement christique, et que la crise mimétique a été durablement installée en France, aujourd'hui encore, sans autre solution possible que la lutte violente entre des clans absolument identiques (du point de vue de leur structure) ou le retour à une paix authentique et non violente, par la reconnaissance de la ressemblance (mêmeté) et de la dissemblance (ipséité) réelles des personnes. A la ressemblance-dissemblance réelle se heurte violemment l'égalité rêvée, idéale, idéologique, qui ne peut que déboucher sur la violence.
La suite demain.

lundi 17 mars 2008

Après les élections

Nombre de maires sortants, de ""droite" surtout, mais aussi de "gauche" en moindre nombre, n'ont pas été réélus. La première de nos pensées doit être de gratitude. Ils se sont dévoués au bien commun, et, selon Thomas d'Aquin, c'est là la forme suprême de la charité. Nous leur devons bien ces remerciements. Ils ne nous empêchent pas de critiquer telle ou telle décision, certes, mais, je le maintiens, nous leur devons, nous le devons à leur personne. Quant à leur doctrine, c'est une autre affaire.
Une fois encore les commentaires des journaux donnent de la situation un reflet caricatural. "Vague rose" dit Le Monde. Mais quand on voit que nombre de mairies se sont jouées à moins de 0,7 ou 0,8 % des voix en faveur du candidat socialiste, (et beaucoup plus rarement, comme à Marseille, en faveur du candidat de la majorité) on est amené à penser, selon les media, que la France est divisée en deux camps de force égale, deux camps en état de guerre civile permanente. Or un sondage daté des 15 et 16 mars indique clairement le désir des Français d'accélérer le rythme des réformes, et de poursuivre l'ouverture politique (68 % des sondés !). Si j'étais politologue, je concluerais que ce qui a été sanctionné c'est le comportement, la façon d'être du Président de la République, non point dans ses aspects politiques, mais dans ses aspects privés. C'est là une interprétation, certes, mais elle est très vraisemblable. En tout cas, un fait est certain, ce que les media appellent bêtement "la gauche" a remporté une réelle victoire en termes de mairies "conquises" (ah ! ce mot guerrier!), et il va lui falloir expliquer, elle qui a demandé un vote sanction, comment elle entend s'y prendre pour "augmenter le pouvoir d'achat", en utilisant le seul levier politique qu'elle connaît : l'impôt.
Je prends aujourd'hui les paris : les impôts des villes passées à gauche vont augmenter dans des proportions faramineuses, et les citoyens n'auront plus que leurs yeux pour pleurer à cet activisme fiscal. Les "associations", courroies de transmission classiques de l'agit prop socialiste vont être copieusement arrosées, sans qu'il y ait le moindre contrôle de l'usage des subventions attribuées. Et aux prochaines élections, il y aura un très joli changement de cap. Ainsi va en France une démocratie dévoyée par l'absence de réflexion politique.
J'essaierai de vous démontrer demain, comment le concept dit "d'égalité", tel qu'il est perçu et mis en pratique par le socialisme, conduit à l'indifférenciation sociale, préambule à toute les violences, à toutes les crises mimétiques. J'utiliserai pour cela les analyses de mon cher René GIRARD.

dimanche 16 mars 2008

Le progressisme, hélas ! Et sa victoire annoncée

J'ai déjà eu l'occasion de discuter avec vous de quelques propositions présentées par Henri HUDE dans son livre remarquable "Éthique et politique" [Éditions Universitaires, Paris, 1992]. En ce jour qui nous promet la très vraisemblable victoire de "la goooche", je voudrais vous explique mon opposition fondamentale au progressisme, dont le socialisme est un avatar historiquement incarné. Et pour cela, je vais reprendre l'argumentation de ce philosophe.

"Mais voici, dit-il, l'argumentation du progressiste : 'Chaque liberté individuelle est en effet souveraine dans ses évaluations. Mais elle doit admettre que les autres libertés individuelles le sont aussi. C'est pourquoi nous n'aboutissons nullement à une société de force, mais à une société de droit, où chacun a la possibilité d'affirmer ses propres valeurs dans le respect de celles des autres. Quant à l'Etat et aux lois, ils sont là pour assurer à chacun l'usage de son droit d'évaluation souveraine, dans le respect de celui d'autrui'.

Je réponds. Quelle raison y-a-t-il (en dehors du bon sens et de l'équité naturelle, que j'admets mais qu'il n'admet pas) pour soutenir qu'il faudrait universellement respecter l'arbitraire de l'un à se modérer, et à respecter l'arbitraire de l'autre ?

Il m'est parfaitement possible de reconnaître que l'autre est aussi souverain que moi en matière d'évaluation, et de constater en même temps que la réalisation de ses valeurs empêche ou limite celle des miennes. Par suite, je puis décider de lutter contre lui et de le comprimer énergiquement, afin de me réserver une possibilité maximale d'expression de mes propres évaluations. Et je puis même admettre une règle de réciprocité puisque je ne prétends nullement empêcher l'autre de tenter de me réprimer comme je m'efforce moi-même de bloquer son expression par tous les moyens.

Si par contre j'admets comme DES VALEURS EN SOI (c'est moi qui souligne), le principe de modération et de réciprocité, j'en fais des parties intégrantes d'une valeur, la JUSTICE (idem), que j'ai à reconnaître et non à décréter. Si donc je prétends que ma règle d'évaluation arbitraire aboutit à un état de droit, c'est parce que je reconnais à mon insu, et de manière tout-à-fait illogique, certaines valeurs objectives, universellement normatives, et indépendantes de mon arbitraire individuel. C'est donc ce qui en moi n'est pas rationaliste qui m'empêche de devenir le fasciste que je devrais être."

Ce texte remarquable décrit la contradiction dans laquelle se débat le socialisme. Ses chantres récusent l'ordre moral, mais comme il leur faut pour gouverner une régulation juridique, il faut des normes (qui fluctuent, j'en conviens) perçues comme universelles, en fonction desquelles se déterminent ses juristes. Il en résulte, ce que nous vivons à un paroxysme insoutenable dans notre pays, un individualisme forcené (la souveraineté du libre arbitre), et une accumulation de normes juridiques, contraignantes, arqueboutées sur des valeurs reconnues universelles, et qui n'est jamais à l'heure actuelle "qu'une valeur posée par plusieurs individualités". Ainsi le combat actuel pour le pouvoir est la lutte d'un clan contre un autre, qui a pour seul but et seul effet d'imposer par la force un système de valeurs qui n'est fondé que sur l'arbitraire individuel.

Strasbourg, Toulouse, Marseille peut-être, vont sans doute être gérés par des équipes qui se réclament de cette philosophie progressiste. Ce ne sera jamais que la revanche d'une violence sur une autre violence. Tant que nous n'aurons pas admis qu'il existe des normes morales, non transcendantes certes, mais universelles, trans-historiques et trans-spatiales, nous n'aurons pas beaucoup fait avancer les choses. Les progressistes en cette matière ont une longueur d'avance sur les conservateurs en matière d'arbitraire politique et de non droit, car "la seule valeur reconnue dans ce système, c'est l'arbitraire individuel". Je vous invite, ce soir, à réfléchir, et à pleurer sur l'avenir de notre patrie.

vendredi 14 mars 2008

Strasbourg : des précisions d'un conseiller municipal

PS-Verts : les termes cachés du contrat.
Au lendemain du premier tour, M. Ries a choisi de privilégier une alliance exclusive avec les Verts à Strasbourg. Il conviendrait de faire apparaître l'ensemble des termes du contrat PS-Verts et notamment les lignes les plus évidentes. Et cela d'autant plus que ceux qui ont conduit la liste verte à Strasbourg représentent l'aile la plus à gauche de ce parti, dont de nombreux membres sont issus des formations trotskystes. Permettez-moi de citer déjà trois exemples de ces termes cachés :
(1) l'augmentation forte de la fiscalité pesant sur les ménages (Taxe d'Habitation, Taxes Foncières) et les entreprises (Taxe Professionnelle), car au fond l'audit promis par M. Ries n'a d'autre but que de justifier une telle hausse massive à laquelle M. Ries et ses amis ont d'ailleurs déjà procédé en 1989 et en 1995. Les Verts en sont encore plus convaincus que les socialistes.
(2) un coup d'arrêt au développement des transports collectifs : les Verts ont contribué à paralyser les chantiers du tram. Ils sont contre tout développement des aéroports autour de Strasbourg. Ils sont aussi contre la réalisation de la deuxième phase de la Ligne à Grande Vitesse [LGV] entre Baudrecourt et Vendenheim. Ils se sont, avec les élus socialistes de Strasbourg opposés à la première phase du tram-train comme à l'engagement du projet de bateaux bus Illéo.
(3) la fin de tout projet de création de places de stationnement, puisque selon la philosophie maintes fois développée par le Professeur Ries, il faut contraindre plutôt que convaincre. Son dogmatisme rejoint là aussi celui de ses amis Verts.
Frédéric Le Jehan, Conseiller municipal et communautaire de Strasbourg.
J'ajouterai un commentaire personnel. Président de l'Association Alsace BioValley, j'ai pu travailler pendant trois ans avec madame Fabienne KELLER. C'est une femme lumineusement intelligente, très à l'écoute (contrairement à ce que disent ses adversaires), énergique (ce qui lui vaut d'être qualifiée d'autoritaire). Sa capacité d'analyse fait qu'elle voit plus vite que la moyenne de ses adversaires politiques. Il se peut qu'elle ne soit pas réélue, ce que personnellement je regretterais pour Strasbourg. Mais l'avenir lui donnera raison sur bien des points. Quant à monsieur RIES, certainement ouvert et sympathique, il sera ligoté par l'idéologie de son parti, et sans son aval, il n'ira pas bien loin. N'a-t-il pas encore compris que la seule chance du socialisme d'être crédible, c'est la social-démocratie et non la sauce rouge-verte qu'il s'apprête à nous servir pour le seul plaisir de prendre le pouvoir et de favoriser un des lointains et parisiens leaders de la rue de Solférino, qui "parlent du coeur comme d'autres parlent du nez"..

jeudi 13 mars 2008

Les légendes ont la vie dure

Dans l'édition de C'est dans l'air d'hier soir, un petit reportage filmé et un commentaire tendancieux donne de l'aristocratie du XIXe S. une bien curieuse et fausse idée. (D'entrée de jeu, je dirais que j'aime énormément cette émission qui me semble honnête, très informée, équilibrée.) A entendre le commentateur, ce sont exclusivement des familles d'aristocrates qui ont crée le Comité des Forges et qui (sous-entendu), par leur manière de conduire leurs affaires ont exploité les ouvriers. Il faut tout d'abord rappeler que dans les années 1820-1830, début d'une industrie métallurgique évoluée, l'Ancien Régime était encore un passé relativement récent ; il fallait ne remonter le temps que de 40 à 50 ans pour le faire revivre dans les mémoires des anciens. (Le général de GAULLE pour nous aujourd'hui). Il faut ensuite rappeler que l'aristocratie française ne pouvait s'adonner à des métiers industriels ou manufacturiers sans déroger (avec une petite exception pour les nobles du Languedoc). Et à cette époque encore, cette interdiction, que beaucoup appellent aujourd'hui un préjugé, mais que j'appelle une belle coutume, avait cours dans les familles aristocratiques, rescapées de la Révolution. Peut être y avait-il parmi les Maîtres de Forges quelques noms à particules ; quant à savoir si la particule était authentique... c'est une autre affaire. Disons qu'en cette circonstance, la partie tête l'emportait sur la particule.
C'est ainsi que le vicomte Alban de VILLENEUVE-BARGEMONT, dès 1829 dans un rapport qu'il envoie, comme Préfet du Nord au ministre de l'intérieur, définit une doctrine "d'intervention de l'état pour garantir la vie et la dignité des ouvriers". Le même posera le problème ouvrier dans toute son ampleur dans une intervention qu'il fait à la chambre le 22 décembre 1840. C'est lui qui avec le baron de GERANDO et le comte de MONTALEMBERT faut voter la première loi sociale en France, celle qui réglemente le travail des enfants. Le vicomte Armand de MELUN consacre sa vie, quarante ans, à la défense du peuple. Il dira : "L'Etat peut seul atteindre l'ensemble des misères et améliorer d'une façon permanente et générale le sort de ceux qui souffrent". Très à gauche pour son temps, il fait voter sous la Seconde République, en 1850 et 1851 un ensemble de Lois sociales, sur les logements insalubres, sur les caisses de retraite vieillesse, sur les sociétés de secours mutuels, sur le mariage des indigents, sur le délit d'usure, sur l'assistance judiciaire, sur les bains et lavoirs gratuits, sur les contrats d'apprentissage, sur les caisses d'épargne, sur les hospices et les hôpitaux. Ce ne sont pas messieurs FOURIER, SANT-SIMON, ENFANTIN, Victor HUGO (qui l'aurait pu), les promoteurs de ces lois. C'est un aristocrate, profondément catholique ; des chefs de la gauche (ARAGO notamment) lui marquent estime et amitié.
Même phénomène dans les pays germaniques, Autriche, Suisse, et états allemand, avec le baron von KETTELER, le baron von SCHORLEMER (états allemands), le prince de LICHTENSTEIN, le baron von VOGELSANG, le comte von BLOME, le comte von KÜFSTEIN (Autriche), le baron von MYER (Suisse). Si ces hommes n'avaient pas pris la défense des ouvriers dans leurs pays respectifs, ceux-ci eussent été impitoyablement exploités par toute une classe de nouveaux riches enfortunés sortis tout droit de la Révolution et de l'accaparement des Biens dits Nationaux, dans ces trafics en tous genres qui prolifèrent comme des chancres empoisonnés en temps de guerre. Ces nobles étaient profondément catholiques. Après 1870, on verra rentrer dans le cercle de ces généreux engagés pour les pauvres le comte von GALEN (un ancêtre du Lion de Munster, très probablement), le baron von HERTLING, le prince de LÖWENSTEIN. Aujourd'hui encore, la famille des TOURS et TAXIS (THURN und TAXIS) nourrit tous les jours à sa table des dizaines de nécessiteux dans la région de REGENSBURG.
Hélas, il y a eu aussi des aristocrates qui ont fleurté, concubiné, forniqué, avec l'ignominie : ils sont peu nombreux, et je tairai leurs noms par respect pour leur hypothétique descendance.
Je dois ces précisions à Jean DUMONT, dont je recommande de nouveau l'ouvrage inestimable qui tord le cou à l'histoire officielle des MICHELET, et autres chantres d'une France idéelle, idéale, irréelle. Ce livre a pour titre La Révolution Française ou les prodiges du sacrilège. Editions Criterion, Paris, 1984. A vrai dire, si j'en avais les moyens j'en achèterais des milliers que j'offrirais aux journalistes et aux hommes politiques. Je ne les ai pas. Mais ils ont toujours le droit de l'acheter.

mercredi 12 mars 2008

Souvenons-nous

Le dernier poilu encore vivant en ce siècle est mort aujourd'hui. Lazare PONTICELLI avait cent-dix ans. Souvenons-nous, avec cette disparition, du million quatre-cent mille jeunes français qui ont perdu la vie au cours de cette guerre imbécile, fratricide, et inutile (dont 22.000 pour le seul 24 août 1914 !). Souvenons-nous que cette guerre fut la première guerre totale, celle dont René GIRARD dit : "Osons donc dire que nous, Allemands et Français, sommes responsables de la dévastation en cours, car nos extrêmes sont devenus le monde entier. C'est nous qui avons mis le feu aux poudres. Si l'on nous avait dit il y a trente ans que l'islamisme prendrait le relais de la Guerre froide, cela aurait fait rire. Si nous avions dit il y a trente ans, que les événements militaires et environnementaux étaient, dans les Évangiles, un phénomène lié, ou que l'apocalypse avait commencé à Verdun, on nous aurait pris pour des témoins de Jéhovah. La guerre aura pourtant été le seul moteur des progrès technologiques. Sa disparition [sous-entendue, sa disparition actuelle dans sa forme classique] en tant qu'institution, qui ne fait qu'un avec la conscription puis avec la mobilisation totale, a mis le monde à feu et à sang. A continuer de ne pas vouloir voir, nous encourageons cet élan vers le pire" (In Achever Clausewitz, Carnets Nord, Paris, 2007, pages 13-14).
Je voudrais donner ici le témoignage de ma grand-mère. Son mari était notaire dans un petit village de l'Aisne. Il avait été mobilisé comme tous les hommes en âge de porter les armes. Lorsque en août 1914, les armées allemandes et ses uhlans ont commencé d'envahir la France, ma grand-mère dut quitter sa maison, atteler une carriole à cheval et fuir. Mais où ? Il n'était pas question d'aller sur Paris ; les routes qui en venaient étaient encombrées de convois militaires. Elle se résolut donc à prendre un autre chemin, une route qui longeait grossièrement un front assez mobile. Elle nous disait avoir vu la cathédrale de Reims brûler, et surtout, ce dont personne ne parle, elle avait vu, horrifiée, des gendarmes fusiller sur place des soldats harassés, qui ne pouvaient plus et ne voulaient plus avancer et avaient jetté leur fusil dans les pattes des chevaux des gendarmes. Finalement, elle atterrit à Villeneuve-l'Archevêque dans l'Yonne d'où elle put regagner Paris, où elle avait de la famille proche. Comme beaucoup de jeunes femmes, elle perdit son mari, gravement brûlé aux poumons après avoir été gazé à Verdun. Elle nous racontait avoir été une des rares femmes à pouvoir prendre le train des troupes et elle avait pu rendre visite à mon grand-père à la citadelle, où des péripatéticiennes, sachant qu'elle venait pour cette raison l'avaient fait passer devant elles au guichet qui visait les laisser-passer. Ma pauvre maman perdit son papa le 25 décembre 1919. Il était mort des suites de ses blessures au poumon.
Lazare PONTICELLI aura un hommage national et ses frères d'armes avec lui. C'est bien le moins que l'on puisse faire pour ces jeunes vies fauchées par la mitraille, hachées par les obus, défigurées à jamais par les balles et les lance-flammes.
Souvenons-nous : plus jamais cela ! Plus jamais cela ! Je ne veux pas voir des enfants se demander pourquoi leur maman a des larmes dans les yeux à Noël, parce que c'est l'anniversaire de la mort d'un père qu'elle a à peine connu. Plus jamais cela !

lundi 10 mars 2008

Elections

Les Français sont vraiment très contradictoires. Ils ont sanctionné (disent les représentants de l'opposition) la politique du gouvernement, mais 11 ministres ont été réélus dès le premier tour, sur la vingtaine qui se présentait, dont deux ont ravi des mairies à la gauche (CHAUMONT et LE-PUY-EN-VELAY), et la cote de monsieur FILLON augmente dans les sondages. D'un autre côté, la gauche enregistre de notables progrès. Que tirer de ces informations contradictoires ? Ces messieurs peuvent parler de la stagnation du pouvoir d'achat et dire que c'est là la cause majeure du recul de la majorité. Mais je n'entends de leur part aucune proposition pour l'améliorer, aucune solution à ce problème lancinant. Les socialistes ont du reste une très curieuse façon d'augmenter le pouvoir d'achat : ils augmentent les impôts (dans les 20 régions qu'ils contrôlent, l'augmentation est au minimum de 20 % contre 4 % pour la Région Alsace, la seule qui soit présidée par un homme politique de la majorité, monsieur Adrien, ZELLER). La vérité, hélas, est qu'il n'y a pas de solution miracle : un baril de pétrole à 108 $, une crise des liquidités sans précédent aux Etats-Unis, des géants comme la Chine et l'Inde qui aspirent à eux toutes les matières premières sans considération de prix, voilà des éléments qu'il convient de prendre en considération pour apprécier la situation. En outre, grâce au Traité de Maastricht, les finances des Etats ayant adopté l'Euro comme monnaire unique ne doivent pas accuser un déficit public supérieur à 3 %. Il est donc impossible de faire jouer la planche à billets. Mais monsieur HOLLANDE, madame ROYAL, monsieur FABIUS ont, qui une ligne directe avec le Président chinois, qui de très bonnes relations avec les banques américaines, qui, encore, envoie un SMS (si, si) aux présidents de l'OPEP et crac, le baril tombe à 10 $. Si celui-ci ne le fait pas, c'est pour éviter les encombrements à Paris, et la pollution à Lyon, Marseille, Lille, etc. Que de démagogie, alors que dans les couloirs et les commissions, tous sont d'accord ! En entendant ces refrains rancis de l'opposition à la télévision (vote sanction, pouvoir d'achat, autoritarisme), il m'en vient en tête un autre que l'on doit à Ange PITOU :
"Pour nous tirer de la mélasse,
Plût au ciel que je scrutinasse
Tous les dimanches que Dieu fait,
Tous les dimanches que Dieu fait."
Nous aurions ainsi un flot de "paroles verbales" préalables qui permettraient à nombre de caciques de tous bords de trouver ou retrouver à l'usure un fauteuil, à force de scrutins, car comme le disait un autre humoriste dont j'ai oublié le nom : "on a toujours de quoi s'asseoir, mais on ne sait pas toujours où le mettre".
Plus sérieusement, si les responsables politiques aimaient autant leur pays qu'ils le disent, ils se mettraient d'abord d'accord SUR UN DIAGNOSTIC, et ils élaboreraient ENSEMBLE des solutions dont certaines sont d'une évidence criante. Nous n'en sommes pas encore là. Ces élections me rappellent la célèbre apostrophe : "Nous étions au bord du gouffre. Nous avons fait un grand pas en avant." Je ris pour ne pas avoir à pleurer de l'état dans lequel se trouve ma patrie, qui fut un grand pays et n'est plus que l'ombre d'elle-même.

dimanche 9 mars 2008

La moutarde me monte au nez

Je dois dire qu'à entendre les déclarations de monsieur Airy ROUTIER sur RTL, la moutarde me monte au nez. J'ai rarement entendu un discours d'aussi mauvaise foi, des déclarations aussi venimeuses, malveillantes, insinuantes et infondées que ces déclarations-là.
Madame Cécilia CIGANER-ALBENIZ affirme ne pas avoir reçu le SMS qu'a publié monsieur ROUTIER. C'est pour lui (voir en-dessous) une vérité officielle. Lui, il a LA VÉRITÉ, celle que lui a révélée (le mot n'est pas inapproprié) un contact, au moyen, tenez-vous bien, "d'informations verbales fiables". Pourquoi, comment ? Nul ne le sait. Il n'a pas vu le SMS en question, le bon monsieur ROUTIER. Non ! Il a des informations verbales fiables, infiniment plus fiables que celles de la principale intéressée, qu'il soupçonne, notez-le bien, de mensonge. Il n'en démord pas. Il n'a rien vu, certes, mais il y croit. Toute autre version qui va à l'encontre de sa croyance est une vérité controuvée, une vérité fabriquée, une vérité OFFICIELLE: "J’ai confiance en mes sources, dit-il, à mon avis, ce n’est pas parce que c’est une vérité officielle que c’est la vraie vérité mais je me garderais bien maintenant d’aller à l’encontre d’une telle vérité officielle". Il sait qu'il ne risque rien, qu'on ne peut le convaincre de quoi que ce soit ; il a le droit de ne pas révéler le nom de sa ou de ses sources, et personne ne peut matériellement prouver que ce SMS n'a pas été envoyé. Il joue sur du velours, cet homme, à moins que ce ne soit ramper comme un serpent sur un sol fangeux. Comment qualifier une telle attitude ? Et il a le culot d'ajouter à propos de l'affirmation de madame CIGANER, que "la précision est un peu tardive, ça fait juste un mois". Mais madame CIGANER-ALBENIZ a été entendue par le justice la semaine dernière, et elle n'avait aucune raison particulière d'infirmer ou de confirmer avant cette convocation, l'information de monsieur ROUTIER. Et, culot supplémentaire, il ajoute "c’était quand même une affaire extrêmement mineure à laquelle on a donné une importance considérable et qui ne valait pas tout cela". Mais si c'était mineure, pourquoi en avoir parlé ? Monsieur ROUTIER abreuverait-il ses lecteurs d'informations mineures ? Et enfin, culot définitif, monumental, incroyable, il assène au journaliste qui lui demande s'il a l'intention de faire des excuses : "Vous voulez rire et pourquoi je ferais des excuses ?" Voilà à quoi mène la haine, l'aveuglement, le désir de briller et de se concilier à peu de frais les bonnes grâces de tous ceux qui "pensent" (c'est un bien grand mot pour désigner ces choses basses) comme lui.
A vrai dire, il faut tourner la page, ignorer le personnage et affirmer avec force : "Il faut laisser les choses basses mourir de leur propre poison". Cet homme déshonore sa profession.

vendredi 7 mars 2008

Questions avant les élections

Madame ROYAL a appelé les Français à émettre un vote sanction à l'occasion des élections municipales et cantonales, bien que celles-ci n'aient absolument rien à voir avec la politique nationale. Soit. Alors je vous invite à bien réfléchir et à répondre en toute honnêteté aux questions suivantes
1-Monsieur SARKOZY a-t-il machiné un faux attentat contre lui de façon à prendre une place éminente dans la vie politique française ?
2-Monsieur SARKOZY a-t-il mis sur écoute téléphonique 3.000 de ses concitoyens de façon à protéger sa vie privée ?
3-Monsieur SARKOZY a-t-il bénéficié des largesses d'une société écran du nom d'URBA pour soutenir sa campagne électorale ?
4-Monsieur SARKOZY a-il- eu un premier ministre qui s'est suicidé parce qu'il l'aurait lâché ?
5-Monsieur SARKOZY a-t-il eu un ami proche qui s'est suicidé au Palais de l'Elysée ?
6-Monsieur SARKOZY a-t-il eu un ami proche gravement soupçonné de délit d'initié ?
7-Monsieur SARKOZY ne dissimule-t-il pas un quelconque cancer ?
8-Monsieur SARKOZY ne dissimule-t-il pas à l'opinion publique l'existence d'une fille naturelle ?
9-Monsieur SARKOZY loge-t-il celle-ci et sa maman dans des appartements nationaux ?
10-Monsieur SARKOZY a-t-il eu des amitiés pour le moins questionnables avec un personnage douteux, collaborateur notoire ?
11-Monsieur SARKOZY a-t-il trempé dans les affaires d'emplois fictifs à la ville de Paris ?
12-Monsieur SARKOZY a-t-il tripatouillé les marchés publics et redistribué à la majorité de droite comme à l'opposition de gauche les retombées financières occultes de ces tractations très souterraines ?
13-Monsieur SARKOZY a-t-il des frais de bouche extravagants, payés par les contribuables ?
Quand vous aurez répondu à ces questions, il me semble que vous pourrez mesurer combien les reproches (quelquefois fondés, il faut en convenir) faits au Président sont absolument mineurs par rapport à ce qui a été reproché à ses prédécesseurs. Il ne semble pas que la presse ait tout particulièrement parlé de la vie privé de l'un d'eux, bien qu'il y eût matière. Je préfère un Président qui se marie, à un Président qui a deux compagnes, une officielle et une autre officieuse. Il en avait le droit, certes, et je dirais que ça ne me gêne pas. J'ai simplement exprimé ici ma préférence à titre d'opinion personnelle.
La vérité est qu'en France on préfère les apparences de la dignité, quand bien même elle est secrètement offensée, aux petites ou grandes faiblesses apparentes qui choquent l'image que les Français peuvent avoir d'un monarque élu.
En conséquence, vous vous déterminerez sur la politique conduite et non pas sur des arguments ignobles pour former votre jugement et déterminer votre vote. Et vous ne tiendrez aucun compte des arguments des roquets.

jeudi 6 mars 2008

Un bel article de Michel Rocard

Le Monde a publié dans son numéro d'hier, un très bel article de Michel ROCARD. Intitulé "Tous derrière Laurence PARISOT", il dit des choses essentielles sur le rapport de la morale, de la politique et de l'économique. (L'article m'a été envoyé par ce proche, fidèle et attentif lecteur de mes billets.) Le voici dans son intégralité :
"Point de vue
Tous derrière Laurence Parisot !

Le 28 mai 1890, Jean Jaurès publiait dans La Dépêche du Midi un superbe éditorial qu'il titrait "Patrons français, soyez fiers de l'être". Dans cet hymne à tous ceux qui exercent la difficile fonction de direction dans l'art de produire, il dit à la fois son admiration et son intelligence profonde de leurs risques, de leurs difficultés et de leurs peines. Il fixait en même temps, on l'a trop oublié, la ligne générale de la social-démocratie internationale dès lors que celle-ci a abandonné l'idée de remplacer le capitalisme et sa brutalité mais aussi l'économie de marché par l'administration centralisée de l'économie plus ou moins appuyée sur l'appropriation collective des moyens de production et d'échange.

Assurant la liberté d'entreprendre, de produire et de commercer, l'économie de marché est à la fois le point d'ancrage et la garantie de la liberté tout court dans notre civilisation. Elle est vieille de plus de trois mille ans. Vieux, lui, d'à peine plus de deux cents ans, le capitalisme y a ajouté – par la machine et l'épargne collectivement utilisée – un système de production de masse inouï dont on n'a jamais inventé ni l'équivalent ni le substitut.

Dès la fondation du capitalisme, nombreux furent ceux qui remarquèrent qu'il avait d'autant plus besoin d'éthique qu'il avait moins besoin de règles. Les créateurs de la théorie économique qui l'encadrait étaient presque tous des moralistes : Adam Smith, David Ricardo, François Quesnay… Et l'un des plus rudes patrons industriels de la première moitié du XXe siècle, Henry Ford, estimait que la capacité du capitalisme à éviter les règles étatiques paralysantes était directement liée à sa capacité de s'imposer une éthique exigeante. Notamment, par exemple, le principe qu'un patron ne saurait se payer plus de quarante fois le salaire moyen de ses salariés. Cette règle fut respectée jusque vers les années 1990.

Il est utile de se souvenir de tout cela quand explose en France le scandale de l'UIMM, aggravé du scandale de l'indemnité de départ de Denis Gautier-Sauvagnac – vingt-six fois le salaire annuel d'un agrégé de l'université – et compliqué du refus de la fédération patronale de la métallurgie d'accepter la remise en ordre exigée par la présidente du Medef, Laurence Parisot. Cette très efficace et droite présidente de PME a bien compris que l'affaire était essentielle. A l'évidence, il y a du souci à se faire si le système devient illégitime et inacceptable. Mais il y a beaucoup plus. Cet incident survient à un moment où tous les pronostics de croissance économique sont révisés à la baisse, où une crise bancaire et financière fait rage, bref où il semble que nous entrions dans une récession mondiale.

L'ouverture de la crise se fait dans le secteur des prêts hypothécaires américains. Elle est le résultat d'une technique bancaire nouvelle consistant à prêter massivement de quoi devenir propriétaire de son logement à toute une population aux revenus moyens ou faibles, sans se soucier des possibilités de remboursement. L'espoir du gain pour les prêteurs n'est plus fondé sur le paiement des loyers, mais sur la valeur des maisons que l'on expropriera et revendra autant que nécessaire. Un million trois cent mille Américains ont été ainsi expropriés ces deux dernières années et trois millions d'autres sont menacés. L'effondrement du système traduit la résistance sociale à cette situation. La rapacité bancaire s'est là débarrassée de tout scrupule découlant du fait que ses victimes étaient des êtres humains. La cause majeure de la crise est clairement l'immoralité.

Deuxième élément. Les détenteurs de ces créances douteuses savaient fort bien que les titres dont ils s'étaient ainsi rendus propriétaires étaient frelatés. Plutôt que d'analyser, de provisionner et de soumettre le tout aux régulateurs nationaux ou aux agences de notation, ils ont préféré mélanger ces titres avec d'autres, moins incertains, pour revendre dans le monde entier de tels paquets de crédits, dont le mélange avec des crédits dérivés assurait l'opacité totale. C'est une deuxième immoralité massive, également liée à l'esprit de lucre. Et c'est ainsi que toutes les grandes banques de la planète ont vu leurs bilans infestés de créances incertaines dont le montant est imprévisible : on parle de centaines de milliards de dollars. Les banques se sont mises à se méfier les unes des autres, et donc ne se prêtent plus, ce qui est le mécanisme même de l'aggravation de la crise financière en même temps que de sa transmission à l'économie physique, réelle. Ainsi nous acheminons-nous vers une récession aux proportions incalculables.

Troisième élément. Tout cela n'aurait peut-être qu'une gravité limitée à la seule sphère financière si au même moment nous ne rencontrions pas les prodromes d'une crise économique. De 1945 à 1975, le capitalisme reconstruit d'après-guerre, parce que sérieusement régulé, a connu dans le monde développé une croissance régulière et rapide (5% par an), une absence complète de crises financières internationales et surtout le plein-emploi partout.
Depuis les années 1990, la croissance est molle, inférieure de plus de moitié aux scores de l'ère précédente, les crises financières régionales ou mondiales se multiplient, et le quart de toutes nos populations sont soit au chômage, soit en travail précaire, soit encore exclues du marché du travail et tout simplement pauvres.
La principale cause de ce drame planétaire est le réveil de l'actionnariat. Celui-ci, plutôt maltraité de 1945 à 1975, s'est réveillé et puissamment organisé en fonds de pension, fonds d'investissements et fonds d'arbitrage ou hedge funds. Il a pris souvent le pouvoir et toujours de fortes minorités dans toutes les grandes entreprises de la planète. Il a partout pressuré les revenus du travail pour assurer de meilleurs dividendes. En trente ans, la part des revenus directs et indirects du travail a perdu près de 10% dans le partage du PIB dans tous les pays développés au bénéfice du profit et non de l'impôt.
La stagnation des salaires réels, l'externalisation des tâches vers des PME sans syndicats et soumises à l'aléa des renouvellements de contrats, la multiplication des contrats précaires et bien sûr la multiplication des OPA, moyens de soumettre les directions à l'obligation de mettre en œuvre ces pratiques, sont les diverses formes de diffusion de ces politiques. La baisse des revenus salariaux dans le PIB est celle des revenus les plus disponibles pour la consommation, qui, faute de moteur, devient faible. C'est l'essentiel de nos classes moyennes supérieures, qui, via les placements boursiers, a mis ses espoirs dans le gain en capital et non plus dans le résultat du travail. Nouvelle immoralité.

Quatrième élément. Les générations d'aujourd'hui deviennent âpres au gain. On a appris il y a deux ans comment les grandes banques ne peuvent actuellement éviter de surpayer leurs traders : ils s'en vont en Asie. Jérôme Kerviel a même démontré comment on pouvait être désintéressé pour soi-même en servant, jusque dans la démesure, un système fou d'accaparement. Les indignités cumulées d'un Antoine Zacharias [ancien PDG de Vinci qui a perçu 13 millions d'indemnités] ou d'un Noël Forgeard [ex-président d'EADS parti avec une prime de 8,5 millions d'euros], ou celles de l'UIMM sont presque peu de chose comparées à ce qui se passe ailleurs. Siemens, Volkswagen et la Bundespost sont confondues de corruption ou de fraude fiscale. Le nombre de sociétés en délicatesse avec la justice pour cause de trucages comptables, de délits d'initiés ou d'abus variés devient inquiétant. Nombre d'entre elles sont poussées à ces délits par leurs propres cadres.

Pour moi, la cause est entendue : le capitalisme sombre sous l'immoralité. Nous sommes en train de découvrir qu'il risque techniquement d'y succomber. Tel est le contexte de l'affaire de l'UIMM. Ne sourions pas de ce combat sans merci interne à une catégorie de gens à laquelle nous n'appartenons pas : les riches. Le problème est que leur voracité menace le système lui-même dans lequel nous vivons. Le combat de Mme Parisot nous concerne donc tous : il ne s'agit pas seulement de redonner sa dignité à un système qui en a bien besoin, mais surtout de lui permettre de revenir à un fonctionnement efficace et régulier. Nous avons choisi la libre entreprise. Elle exige de bons patrons, respectables et intègres. Sans éthique forte, il n'y a plus de capitalisme. Il va probablement devenir nécessaire que la règle publique y pourvoie."

Vous noterez que Michel ROCARD est un des rares hommes politiques à parler de morale, et d'éthique. C'est un de mes dada. Il cite JAURES. C'est un des rares socialistes qui soient aussi un humaniste et accorde à la Parole autant de poids qu'aux chiffres. J'en ai déjà parlé dans les billets. Il condamne le goût du lucre. N'ai-je pas dit et redit combien cet appétit de l'argent caractérise notre siècle ? Je me demande comment MM MESSIER avant-hier, FORGEARD hier, et GAUTIER-SAUVAGNAC aujourd'hui peuvent se regarder dans une glace sans rougir. Quel est le service rendu à la Société qui mérite de telles indemnités ? En vérité, nous sommes dans une démesure telle que nous en avons le vertige. Et si la loi est obligée de suppléer au manque de morale, c'est parce que, dans notre pays tout particulièrement, on en abandonné l'enseignement sous la pression des contempteurs de "l'ordre moral", et de la liberté à tout crin. Mais il faut un peu de cohérence à ces messieurs-dames. Si en matière de moeurs et de comportement, tout est permis, pourquoi tout ne serait-il pas permis en matière d'économie ?

mercredi 5 mars 2008

Lecteurs cherchent journal

Le journal Libération titrait hier en gros caractères "Français cherchent Président". Moi j'aurais eu tendance à titrer "Lecteurs cherchent Journal". Tout va de travers dans le monde journalistique. Ainsi Aujourd'hui en France a titré récemment "Sarkozy : Je n'aurais jamais dû dire ça". Il apparaît que cette parole n'a pas été dite en ces termes, mais rajoutée après lecture du papier du journaliste par les services de la présidence. Et le journal de publier le lendemain in integrum le verbatim de la rencontre entre le Président et des lecteurs du journal, de façon à bien enfoncer encore celui qu'il déteste, alors que ses journalistes et rédacteurs sont entièrement responsables de ce pataquès. Il y avait bien des solutions alternatives à cette façon alambiquée de présenter la rencontre, et de jeter le soupçon sur tout ce qui s'y est dit. Par exemple, refuser de donner à relire le texte au service de presse de la présidence, ce qui était le mieux, et de publier précisément et seulement le verbatim. Par exemple et alternativement, indiquer en fin d'article ou en sous-titre "Article revu les services du Président". Où a-t-on jamais vu titrer en première page du quotidien un texte avec une phrase qui n'a pas été dite ? L'ont-ils simplement relu avant de publier, le contenu de cette rencontre, les responsables du journal ? Ne parlons pas du faux SMS, des ragots, des interprétations sorties toute faites de la tête des plumitifs en mal de copie. La nécessité dans laquelle mon métier d'enseignant-chercheur m'a plongée, m'a donné l'habitude de séparer dans un article la section "Results", de la section "Conclusion". Les censeurs des articles font très attention à ce que la section "Results" soit vierge de toutes interprétations, connotations, ou opinions : les faits, tous les faits, rien que les faits. Pourquoi n'en seraient-ils pas ainsi dans un journal.
Je ne critique pas le titre de Libération, un des journaux finalement les plus honnêtes, parce qu'il sépare assez clairement la narration des faits, de leur interprétation, et des articles d'opinion, comme j'ai pu à plusieurs reprises le vérifier en lisant fortuitement l'une de ses livraisons. Mais je rêve d'un journal où il y aurait en titre de tous les articles et systématiquement : "Les faits" ; "L'interprétation de la Rédaction" ; "Les opinions contradictoires des hommes politiques et des observateurs" ; "les opinions de nos lecteurs", de façon que le lecteur ne soit pas pris pour un imbécile, et qu'on lui donne matière à se former un jugement éclairé.
Hélas ! Lecteurs cherchent désespérément Journal.
PS. Il y a un fait certain, le Président de la République a traité un quidam qui l'insultait de "connard", et c'est parfaitement indigne de la fonction, je dois le dire avec regret. Mais j'exprime là une opinion, ou un jugement, en partant du fait. Et je n'en tire pas des insinuations, des conclusions, des anathèmes et des bannissements. Et quand on subit tous les jours le feux des critiques de monsieur Jean-François KAHN, qui me semble être le chef des chefs d'orchestre de la campagne de dénigrement conduite par une opposition inepte, et par presque tous les média réunis, alors que l'on croit à ce que l'on fait et que l'on fait beaucoup, on peut comprendre (sans excuser) ces dérapages. C'est une interprétation. Mais n'est-ce pas là un conclusion sage et de bon sens ? Je vous le demande ? Qui aimerait qu'on le traite de "nain" ? Qui aimerait qu'on dise de lui "l'homme qui fait pschitt" ? Pour ne citer que deux des épithètes dont on affuble monsieur SARKOZY.

mardi 4 mars 2008

René Girard, toujours

Hier, j'ai tenté d'expliquer pourquoi il n'y a pas d'autres solutions que de renoncer définitivement à la violence quelle qu'elle soit (entre nations, entre partis, entre personnes) si l'on veut éviter les catastrophes clairement annoncées par Jésus. René GIRARD, par une analyse absolument époustouflante, démontre que ce Jésus est venu dénoncer la mort des innocents, à l'origine de toutes les religions archaïques, et a adopté le point de vue de la victime, et non celui des bourreaux qui martyrisent l'innocent PARCE QU'ILS LE CROIENT COUPABLES.
Cette croyance en la culpabilité des innocents explique les abominables atrocités qui traversent l'humanité depuis les origines. Et cette croyance est encore partagée de nos jours par tout ceux que les hommes politiques chargent de faire la guerre. "[...] La guerre moderne, la guerre totale, travaille pour l'Etat totalitaire, elle lui fournit son matériel humain. Elle forme une nouvelle espèce d'hommes, assouplis et brisés par l'épreuve, résignés à ne pas comprendre, 'ne pas chercher à comprendre' selon leur mot fameux, raisonneurs et sceptiques en apparence, mais terriblement mal à l'aise dans les libertés de la vie civile..." dira BERNANOS dans La France contre les Robots.
Mais..., mais il y a eu Jésus. Ses disciples savent ce que veut dire la victime innocente. Ainsi le Bienheureux Clemens August von Galen (vous noterez que c'est un aristocrate), le 3 août 1941 en la chaire de la cathédrale de Münster dit des malades et des handicapés que les nazis ont commencé de supprimer : "il s'agit d'hommes et de femmes, nos prochains, nos frères ! De pauvres êtres humains, des êtres humains malades. Ils sont improductifs si vous voulez... Mais cela signifie-t-il qu'ils ont perdu le droit de vivre". A l'été 1941, il prononce trois sermons qui seront recopiés et retransmis secrètement par les chrétiens de Münster, dont l'un dit ceci : "Des personnes d'une race différente, d'une provenance différente sont supprimées. Nous sommes devant une folie homicide sans précédent". Les nazis furieux diffèrent l'arrestation du Lion de Münster pour ne pas s'aliéner définitivement les catholiques de Westphalie.
Ainsi l'abbé FLORY curé à MONTAUBAN, à la messe de minuit du 24 décembre 1942. Une brochette d'officiers allemands en grand uniforme assiste à la messe. On apporte la crèche à l'abbé vers minuit, cachée dans une housse. Quand on l'ôte, tous peuvent voir sur la poitrine de Jésus, de Marie et de Joseph, une étoile jaune.
Ainsi cette polonaise, catholique discrète, mais ancrée dans la foi, aujourd'hui âgée de près de 97 ans qui a sauvé du ghetto de Varsovie 2500 enfants, en prenant soin de noter leurs noms, et celui de leurs parents. Les notes sont placées dans des bouteilles enterrées dans un jardin. Les nazis l'arrêtent, la torturent, lui brisent les jambes (elle est aujourd'hui en fauteuil roulant, en raison des séquelles de ces tortures), l'envoient à la mort. Un garde qui la convoyait au poteau d'exécution, soudoyé, la laisse partir. Elle continuera de sauver des enfants. Son nom ? Irena Sendler
Mais nous avons pu avec une excellente bonne conscience envoyer à la mort des millions de jeunes gens lors de la guerre 1914-1918, faire périr dans les flammes des bombes au phosphore, lâchées par les Anglais sur Dresde et Leipzig, des centaines de milliers d'Allemands, et des centaines de milliers de Japonais sous la bombe atomique, voir gazer des millions de juifs, des centaines de milliers de tsiganes, et d'autres encore, dans des conditions de barbarie encore jamais atteintes, cela n'a pas ému les peuples européens en guerre, les anglais en guerre, les allemands en guerre, les américains en guerre. Leurs ennemis étaient coupables. Et ces sacrifices étaient nécessaires. Il y a eu simplement quelques prophètes qui, au nom de Jésus, ont protesté et ont défendu l'honneur de l'humanité comme ils ont pu. De telles réactions étaient et eussent été impossibles sans la Révélation, et sans la Passion.
Allez, encore une citation. Pour le philosophe italien Benedetto CROCE, la principale révolution introduite par le christianisme c'est "d'avoir agi au centre de l'âme, dans la conscience morale [...], en mettant l'accent sur l'intimité et la particularité de la conscience, elle semble presque avoir donné à celle-ci une nouvelle vertu, une nouvelle qualité spirituelle qui jusque là avait fait défaut à l'humanité". Et selon moi, cette nouvelle qualité, c'est la capacité à refuser le mécanisme de la violence mimétique, et l'adoption du point de vue de la victime innocente. C'est le refus de régler les conflits mimétiques attisés par le désir du désir de l'autre, par le moyen de la violence. C'est le refus de la volonté de pouvoir. Et c'est exactement tout le contraire de ce que nous propose tous les hommes politiques, de tous les bords et de les pays en ces jours annonciateurs de catastrophes.

René Girard, encore

René GIRARD vient de faire paraître un livre qui, curieusement, n'a pas eu le retentissement qu'il aurait dû avoir. Je n'ai pas encore achevé sa lecture, mais je voudrais vous donner un extrait de l'Introduction de ce livre essentiel. Il explique en partie l'énervement qui m'a saisi devant la réaction de monsieur DRAY aux propos de Nicolas SARKOZY sur la religion. Mais, à la décharge de monsieur DRAY, il faut dire que les religions qu'il déteste sont les religions qui ont gardé le statut de religions sacrificielles archaïques, et qu'il lui manque (en tout cas je l'espère) la connaissance du message christique.
"Le christianisme est un meurtre fondateur à l'envers, qui illumine ce qui doit rester cacher pour produire les religions rituelles sacrificielles. C'est lui que Paul compare à une nourriture pour les adultes, par contraste avec la nourriture pour les enfants qu'étaient encore les religions archaïques. Nietzsche lui-même a parfois des intuitions de ce genre à propos du 'caractère enfantin' des Grecs. Mais pour rendre la situation encore plus démente, la révélation chrétienne est la victime du savoir paradoxal qu'elle apporte. ON LA CONFOND DE MANIÈRE ABSURDE AVEC LE MYTHE, que visiblement elle n'est pas, doublement méconnue ET PAR SES ENNEMIS ET PAR SES PARTISANS, qui tendent à la confondre avec une de ces religions archaïques qu'elle démystifie. Or TOUTE DÉMYSTIFICATION vient du christianisme. Mieux encore : le seul religieux vrai est celui qui démystifie les religions archaïques."
C'est pourquoi dans l'un de mes billets j'avais dit que Jésus est venu démolir toutes les religions et non point en créer une nouvelle.
René GIRARD dira un peu plus loin : "Il y avait déjà quelque chose de chrétien dans tous les mythes. Mais en révélant l'innocence des victimes, la PASSION rend positif ce qui était encore négatif : on sait dorénavant que les victimes ne sont JAMAIS COUPABLES." Voilà pourquoi ceux qui condamnent l'initiative du "faire mémoire" des enfants juifs persécutés, massacrés, anéantis par les nazis, sont exactement dans la situation de ne pas vouloir rendre visible cet inimaginable meurtre fondateur d'une impossible nouvelle religion, mais sont dans une contradiction dont ils ne peuvent sortir, car c'est l'innocence des victimes révélées par Jésus qui leur font repousser avec horreur les nazis et leur (au singulier) abominable crime. Si CETTE RÉVÉLATION FONDAMENTALE n'avait pas fait irruption dans l'histoire des hommes, jamais la shoah n'aurait suscité en nous l'effroi qui nous saisit quand on en voit les traces et les effets. (Les Assyriens n'ont jamais protesté contre les atrocités que leurs rois commettaient contre les habitants des cités vaincues ; et les compagnons de Gengis Khan ou de Tamerlan ont pu édifier sans s'émouvoir de sanglantes pyramides avec les dizaines de milliers de têtes de leurs ennemis qu'ils décapitaient bien que le souverain leur eût promis la vie sauve s'ils se rendaient !). En somme, monsieur DRAY ne voit pas que le message de JÉSUS, vécu, voulu, aimé, propagé, est le seul message susceptible de nous faire échapper au cycle de la violence infinie, et de nous soustraire aux terribles futurs que nous sommes en train de nous prépare nous-mêmes par notre aveuglement. Je n'ai malheureusement pas la place d'être plus explicite ; je voudrais simplement être compris : la solution de monsieur DRAY est une fausse solution, et elle précipite notre mouvement à l'abîme. Je maintiens ma sympathie pour sa personne, mais mon aversion pour ses analyses.
Lisez ce livre ! Exceptionnel.
René GIRARD.
Achever Clausewitz.
Carnets Nord, Paris, 2007.

dimanche 2 mars 2008

De la tradition à la mode

Quand on s'interroge sur l'histoire de notre pays, notamment sur l'histoire des idées et sur le tournant qu'a marqué l'aurore du XVIIIe siècle, on constate que le grand changement a été le passage de la tradition à la mode, et que le siècle des lumières a vu se développer à l'envi, mais progressivement, ce trait du caractère national : mode vestimentaire (les coiffures féminines appelées du nom d'explorateurs ou de leurs bateaux, les habits des Incroyables et des Merveilleuses, par exemple), mode sociale (la frénétique fréquentation des cafés et des cercles de pensée, la prononciation précieuse des Incroyables qui se refusaient à prononcer les R, par exemple, l'engouement pour les billets de banque et le système de LAW, par exemple), mode intellectuelle (avec l'idolâtrie des Philosophes et le rejet dans les ténèbres extérieures, hors du petit monde de l'establishment culturel, d'excellents écrivains, dont Jacques CAZOTTE est le prototype). La crise avait émergé dans l'espace public avec la Querelle des anciens et des modernes, mais elle couvait depuis DESCARTES et son "Je pense donc je suis". Ce philosophe national est à la fois le père de l'idéalisme, du matérialisme, et de l'institution du Sujet comme auteur et source de sa vie morale. Et son influence s'est d'autant plus aggravée de nos jours que les interprétations de sa pensée se font à l'aune de la dialectique de HEGEL : thèse, antithèse, synthèse. Le cartésianisme a vu son triomphe avec le positivisme, le culte de la science, et l'adoration de tout ce qui est nouveau, considéré comme progrès, au milieu du XIXe siècle.
Le simple bon sens aurait exigé que l'on s'interrogeât sur le statut moral des nouveautés : sont-elles vraiment un progrès ? Notre siècle, en notre pays, ne se pose pas la question : tout ce qui est nouveau est un progrès. Le bons sens aurait voulu de même que l'on se demandât d'où venaient les idées. Sont-elles vraiment les "semences des vraies et immuables natures ?". Je préfère ce que dit Thomas d'Aquin : "Rien n'est dans l'intelligence qui ne passe d'abord par les sens", d'où il résulte selon moi, qu'il n'y aurait pas de pensée si notre intelligence n'était pas informée par les sens de ce qu'est le monde.
Quel est le rapport avec le politique, rapport dont je vous avais parlé hier ? Il est simple et évident. (a) Si tout progrès est nécessairement une rupture, il en résulte que la politique ne peut passer que par le conflit. (b) Nul part, il n'est écrit ce que l'homme doit faire, tant comme personne que comme comme membre d'une société ; c'est à lui d'élaborer son propre système de sens ; le consensus est donc impossible. (c) La nature n'a rien à nous apprendre ; c'est une matière inerte (DESCARTES disait déjà que l'homme par le bon usage de la raison et de la volonté est capable "de se rendre maître et possesseur de la nature") dont nous pouvons faire ce que nous voulons, à partir de nos idées. Tant pis si elles ne correspondent pas au bien commun (cf. la compagnie TOTAL, et la manière dont cette société fait construire ses pipe-lines en Birmanie). Le plus fort, le mieux informé, le plus riche gagnera. En d'autres termes, la morale est devenue autonome, propre au sujet, ou plus exactement à l'individu ou à un groupe d'individus ayant des intérêts communs, alors qu'elle est fondamentalement hétéronome, et dépendante d'autrui, quand bien même elle n'est pas transcendante. Mon opposition viscérale à l'idéologie socialiste est fondée non pas sur le refus du partage des biens, avec lequel je suis ABSOLUMENT D'ACCORD, mais sur la conception qu'elle se fait de la vie morale, conception montée en épingle par ses adeptes à la seule fin de prendre le pouvoir et de s'y maintenir. C'est justement cela l'idéologie.
J'espère que j'ai été clair !
PS : mon raisonnement explique pourquoi PARIS est devenue la CAPITALE DE LA MODE, après avoir été au XVIIe S., la capitale de la PENSÉE en Europe, et pourquoi les Français sont perçus comme arrogants. Ils vivent sur un système de pensée conçu comme parfait. Le système étant déclaré parfait, les étrangers constatent qu'un Français (a) s'imagine qu'un projet étant clair dans sa tête, c'est comme s'il était réalisé ; et (b) qu'il ne tient aucunement compte de l'homme concret, de l'homme réel, de l'homme actuel, et des réalités (rappelez-vous ce que disent les Anglais : "Le mot chien n'a jamais mordu personne !"). J'ai souvent fait l'expérience douloureuse des regards ironiques, helvétiques, germaniques ou britanniques, vis-à-vis de certains collègues, très brillants, qui présentaient de grandes et belles théories scientifiques interprétatives, au lieu de se satisfaire des magnifiques résultats concrets engrangés par eux.