Il ne vous a pas échappé que j'essaye depuis fort longtemps, mais très imparfaitement, d'exposer le plus objectivement possible les raisons pour lesquelles je crois que la civilisation moderne en général, occidentale en particulier, me semblent aller droit dans le mur. Très récemment, il m'est venu à l'esprit comme deux évidences. Je vous les livre.
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(a) La civilisation moderne est devenue folle de la technique et dédaigneuse de la connaissance. Qui dit technique dit investissements en recherche et développement très coûteux, et investissements non moins coûteux en matériel, machines, usines, et par conséquent une disjonction de plus en plus grande entre ceux qui conçoivent, et dont le nombre va nécessairement se réduire en raison de la complexité des connaissances et des aptitudes intellectuelles requises par cette activité, et ceux qui exécutent. Il n'est pas dit, du reste, qu'avec la mécanisation, la robotisation, l'informatisation, le nombre des exécutants lui-même ne se réduise pas comme peau de chagrin. On peut donc imaginer une situation où les très peu nombreuses personnes, détentrices d'un très grand savoir, exercent sur leurs congénères un pouvoir sans partage, et que ces derniers ne puissent vivre d'autre manière que de subventions diverses, octroyées selon le bon vouloir des puissants. Quant à ceux qui exécutent, s'il en reste, il leur faudra toujours dégager une plus-value sur leur travail pour assurer les investissements requis par les progrès techniques et par l'amortissement d'un très dispendieux matériel. Ainsi, même si les capitaux viennent de l'état, la question de la plus-value, et donc de l'exploitation selon MARX, ne peut être éludée. Elle ne le pourrait que si la course au progrès technique était stoppée, et que l'on accepte de rentrer dans un cycle de décroissance des moyens de production. J'attends de pied ferme mes contradicteurs sur ce point crucial.
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(b) Le deuxième élément de la modernité me semble venir de la corruption du sens moral et de son corollaire, la recherche à tout prix de responsables en cas de dysfonctionnement d'un ou plusieurs rouages de la société. D'où cette manie de la transparence, de la traçabilité et de la réglementation. Celle-ci n'a d'intérêt que parce qu'elle permet de remonter les étapes d'un processus de production (matérielle ou non) et ainsi d'identifier le(s) responsable(s) qui a (ont) supervisé, exécuté, ou contrôlé l'étape éventuellement litigieuse. Pendant longtemps, on a produit des yaourts, des fruits, des médicaments, que sais-je encore, avec la plus grande conscience professionnelle, et il ne semble pas que les accidents et incidents survenus à l'usage de ces produits, pendant ces époques bénies, aient été plus fréquents ou plus graves que ceux qui surgissent aujourd'hui ici et là. La conscience professionnelle suppléait à l'absence (relative) de l'exigence de traçabilité. Cette tendance à vouloir tout maîtriser nous vient tout droit des Etats Unis, pays dans lequel les avocats sont à la recherche de tout ce qui peut être exploité par de possibles justiciables pour engranger de l'argent, et qui contraint les industriels à prendre un maximum de précautions pour se prémunir de ces prédateurs juridiques.
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Une fois que j'ai dit cela, je n'ai sans doute pas fait beaucoup avancer les choses, mais il est possible que mes réflexions incitent tel ou tel de mes lecteurs à différer l'achat d'un téléphone portable ultraperfectionné qui ne sert à rien qu'à des activités oiseuses, ou à faire preuve de plus d'attention dans l'exécution de ses tâches professionnelles.
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Ainsi, s'il m'a manqué quelques billets pendant ce mois de janvier, j'aurai quand même donné pour son dernier jour un avis qui me tient à coeur.
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