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LES TROIS PREMIERS PARAGRAPHES DE LA THESE DE BLONDEL.
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"Oui ou non, la vie humaine
a-t-elle un sens, et l’homme a-t-il une destinée ? J’agis, mais sans même
savoir ce qu’est l’action, sans avoir souhaité de vivre, sans connaître au
juste ni qui je suis ni même si je suis. Cette apparence d’être qui s’agite en
moi, ces actions légères et fugitives d’une ombre, j’entends dire qu’elles
portent en elles une responsabilité éternellement lourde, et que, même au prix
du sang, je ne puis acheter le néant parce que pour moi il n’est plus : je
serais donc condamné à la vie, condamné à la mort, condamné à l’éternité !
Comment et de quel droit, si je ne l’ai ni su ni voulu ?
J’en aurai le cœur net. S’il y a
quelque chose à voir, j’ai besoin de le voir. J’apprendrai peut-être si, oui ou
non, ce fantôme que je suis à moi-même, avec cet univers que je porte dans mon
regard, avec la science et sa magie, avec l’étrange rêve de la conscience, a
quelque solidité. Je découvrirai sans doute ce qui se cache dans mes actes, en ce
dernier fond où, sans moi, malgré moi, je subis l’être et je m’y attache. Je
saurai si du présent et de l’avenir j’ai une connaissance et une volonté
suffisantes pour n’y jamais sentir de tyrannie, quels qu’ils soient.
Le problème est inévitable ; l’homme
le résout inévitablement ; et cette solution, juste ou fausse, mais volontaire
en même temps que nécessaire, chacun la porte dans ses actions. Voilà pourquoi
il faut étudier l’action : la
signification même du mot et la richesse de son contenu se déploieront peu à
peu. Il est bon de proposer à l’homme toutes les exigences de la vie, toute la
plénitude cachée de ses œuvres, pour raffermir en lui, avec la force d’affirmer
et de croire, le courage d’agir."
In
Maurice BLONDEL.
L’action (1893). Essai d’une critique
de la vie et d’une science de la pratique.
Thèse de doctorat en philosophie.
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COMMENTAIRES.
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Ces trois premiers paragraphes de la thèse de BLONDEL sonnent comme un coup de clairon, comme une sonnerie de charge de cavalerie, dans le grand Landerneau de la philosophie positiviste, athée, relativiste de la fin du XIXe siècle. BLONDEL s'y affiche comme chrétien, et il démontre dans sa thèse que le propre de l'homme est bien d'aller vers le surnaturel.
C'est très exactement cela le sens. Et c'est pourquoi cette analyse de l'action est essentielle. Quand notre philosophe (il a été élève de l'Ecole Normale Supérieure) va voir le Pr LIARD, après sa soutenance, pour demander l'octroi d'une chaire, l'autre le renvoie, sans même l'avoir fait asseoir, en l'accusant de détruire la philosophie. Quelques mois plus tard, après avoir réitéré sa demande, il se verra offrir un poste de professeur d'histoire au Collège d'Avallon, poste dont il dit avec humour qu'il est indigne de l'occuper. Il lui faudra attendre encore deux ans avoir d'être nommé professeur à l'Université de Lille, puis à Aix-en-Provence. Cette réflexion sur le sens de la vie est essentielle. Le lier à l'action l'est aussi, car, qu'on le veuille ou non, notre vie est action, définitivement action, subie, consentie ou voulu, mais toujours tournée vers un bien, car il est impossible d'agir sans chercher un bien. Je me demande si, dans la confusion actuelle des esprits, nos hommes politiques ont la moindre idée de ce qu'est le Bien, qu'ils ont un peu trop tendance à confondre avec la poursuite de leur carrière.