dimanche 31 mai 2009

Un petit monde

Tant pis si je vous bassine avec mon cher Marcel LEGAUT. Mais je continue à me délecter, non, à me nourrir, d'une pensée forte, et de l'exemple d'un homme qui a été au bout des exigences que lui imposait sa conscience d'homme libre et donné à Celui qui fut le tout de sa vie, en profonde relation avec son vécu de père et d'époux.
Or donc, je lis cet extrait d'une lettre (elle faisait partie des Lettres des Granges, non publiées, diffusées seulement sous forme de feuillet ronéoté à ses proches et à ses amis) sur l'Université ; quand vous l'aurez lu, vous comprendrez mieux tout ce que je m'efforce de vous raconter, souvent maladroitement, mais en tout cas authentiquement :
Notre monde universitaire et intellectuel est un univers aux frontières très précises ; c'est un univers fermé et relativement petit. On ne le sait pas quand on n'en est jamais sorti. On le découvre avec étonnement lorsque les événements forcent, au moins pour un temps, à vivre en dehors. C'est une révélation d'autant plus inattendue que dans notre milieu, on se flatte d'atteindre l'universel par l'intelligence et que, sans pousser trop loin notre pensée, nous pourrions être tentés de croire que notre monde universitaire et lettré flotte un peu sur les autres classes sociales, comme le faisait jadis l'Esprit sur les eaux. Notre temps d'ailleurs est déjà caractérisé par l'importance universelle que doctes et ignorants accordent à l'instruction que nous donnons dans nos écoles ; aussi par la place éminente que tiennent les professeurs dans le gouvernement et l'administration publique ainsi que tous les intellectuels capables de s'exprimer – je pense en particulier aux avocats et peut-être aux médecins. Et cependant, il faut le dire, ce monde intellectuel est un monde petit et peu compétent sur beaucoup de questions qu'il ne touche que par l'abstraction de ses pensées et de ses imaginations. (Lettre des Granges N°3.)
Et bien je crois bien m'être débarrassé de ce préjugé de vanité. Je l'ai dit, je ne renie rien du nécessaire travail de la pensée et de l'intelligence qui a été le lot de ma vie professionnelle, des années durant. Mais je ne crois pas à la dissymétrie dans la relation : celui qui donne et celui qui reçoit. Non point ! Je vous raconterai demain une histoire qui m'est arrivé ce matin alors que j'allais chercher ma baguette matutinale chez un boulanger comme on n'en fait presque plus. Je me suis surpris moi-même de mon audace, et j'en ai reçu une très grande joie. Soyez patient, vous saurez tout demain.

samedi 30 mai 2009

Le devoir de dire

Diverses réactions envoyées par courriel ou par téléphone, quelques commentaires aussi, m'incitent aujourd'hui à vous livrer ces réflexions. J'espère simplement qu'elles ne susciteront ni ennui ni bâillements chez mes lecteurs.
Pour moi, tenir un Blog est un moyen non seulement de communiquer, (car beaucoup communiquent, c'est-à-dire envoient des messages sans se soucier de leur réception) ; c'est un moyen d'être relié à des lecteurs inconnus dont je ne connais pas la vie, mais dont je peux partager l'existence et qui peuvent partager la mienne, grâce à la parole.
Une parole a de l'effet. Je m'explique : elle provoque une réaction au plus profond de celui qui la reçoit, et elle l'invite en retour à répondre. Pour qu'une parole soit authentique, celui qui la profère doit accepter de ne point cacher sa vulnérabilité, et de dire d'où il parle - sinon c'est un manipulateur. Je ne vous ai point caché que je m'efforçais d'être un disciple de Jésus, pas un croyant idéologique ; je ne vous ai point caché davantage que j'étais, de par ma formation et mon métier, ce qu'il est convenu d'appeler un "intellectuel" ; enfin, et quoi qu'on puisse en penser, mes opinions politiques ne sont ni conservatrices, ni réactionnaires : elles peuvent ne pas être partagées, et je conviens que quelquefois, je manque totalement d'objectivité vis-à-vis de l'opposition de gauche, les socialistes surtout, mais c'est plus parce qu'ils ont laïcisé l'amour, banalisé le don, humilié la fraternité qui est due à tout homme, même au riche, que je m'en prends à eux : ils sont obstrué leur source par la boue immonde de la jalousie et du ressentiment.
Marcel LEGAUT, dont décidément je ne me lasse pas de lire les oeuvres, de décrypter la vie, de comprendre les intuitions profondes et géniales du disciple qu'il a été, dit ceci à propos de ceux qui écrivent pour témoigner, et qu'aujourd'hui (je veux dire : ici et maintenant, à cet instant précis), je fais mien :
Quel que soit l'accueil que l'on fera à leur témoignage, qui n'a pas la prétention d'être un enseignement comme leur genre de vie ne peut pas être un modèle, ils seront appels plus encore que jalons, maillons de la tradition vivante et inspirée qui depuis les origines travaille l'humanité pour qu'elle s'accomplisse en Dieu (Dans : Introduction à l'intelligence du passé et de l'avenir du christianisme, page 398).
Ainsi, malgré la conscience claire de mes limites, et après - pour des raisons qui me sont personnelles - avoir réfléchi longuement tout au long de la soirée, je peux dire vraiment : j'ai le devoir de dire, non pour me faire remarquer, mais pour être fidèle à moi-même.

vendredi 29 mai 2009

Des chiffres et des lettres

Voici l'avis de monsieur Edward C. GREEN, Directeur du Projet de Recherche sur la prévention du SIDA à l'Université de HARVARD :
"Le pape a raison. Ou pour répondre plus précisément : les meilleures données dont nous disposons confirment les propos du pape. Il existe une relation systématique, mise en évidence par nos meilleures enquêtes, y compris celles menées par les Demographic Health Surveys, financées par les Etats-Unis, entre l'accès facilité aux préservatifs et leur usage plus fréquent et les taux d'infection par le virus du SIDA plus élevés, et non plus faibles. Cela pourrait être dû en partie au phénomène bien connu sous le nom de "compensation du risque", ce qui veut dire que lorsque l'on a recours à une "technologie" de réduction du risque comme le préservatif, l'on perd souvent le bénéfice lié à la réduction du risque par une "compensation" qui consiste à prendre davantage de risques qu'on ne le ferait en absence de technologie de réduction du risque." (National Review Online)
HARVARD est une des meilleures, sinon la meilleure Université(s) du monde. Le Professeur GREEN ne parle pas à la légère ; il risquerait d'y perdre et sa réputation et ses fonctions universitaires. Il ne m'apparaît pas qu'il soit un papiste convaincu ; il serait plutôt un wasp (white anglo-saxo protestant).
Je vous rappelle que dans plusieurs billets, j'ai dit et redit, moins bien sans aucun doute, mais j'ai dit exactement la même chose.
Il ne s'agit pas là d'opinions, mais de faits scientifiquement avérés.
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Du Cardinal SARR, Président de la Conférence Episcopale Régionale de l'Afrique de l'Ouest, à propos de la réaction des médias français aux propos de Benoît XVI sur le préservatif :
Nous déplorons et dénonçons le crime, venant du fond des âges, où l'on traitait nos frères et soeurs en marchandises et en biens meubles (Le Code Noir, art. 44), et qui aujourd'hui consiste à s'acharner à penser pour nous, à parler pour nous, à faire à notre place sans doute parce qu'on ne nous croit pas en mesure de le faire par nous-mêmes.
Je vous rappelle que, dans un billet, je vous avais fait part de la réaction d'indignation d'une journaliste camerounaise laïque aux critiques de la presse française sur les propos de Benoît XVI.
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Prévalence du virus du SIDA (chiffre de l'ONUSIDA).
En Afrique australe (année 2001) :
Zambie : 21,5 %.
Swaziland : 33,4 %
Lesotho : 31 %
Zimbabwe : 33,7 %
Bostwana : 38,8 %
En Afrique où les chrétiens sont nombreux et leurs propos pris en compte par les pouvoirs publics, qui les relaient dans leurs décisions politiques, chiffres comparatifs 2003 - 2008 :
Burkina-Faso : diminution de 6,5 % à 1,8 %
Bénin : de 3,6 % à 1,8 %
Burundi : de 8,3 % à 3,3 % (pays où les politiques se sont impliqués très considérablement)
Cameroun : de 11,8 % à 5,4 %
Guinée : de 2,8 % à 1,5 %
En Afrique Occidentale Française à majorité musulmane, où la fidélité de la femme est une valeur de grande portée sociale, maintien à des taux très bas :
Mali : 1,7 %
Niger 1,1
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En 2006, il y avait dans les CECOS (Centres d'Etudes et de Conservation du Sperme) :
157.523 embryons congelés, concernant 49.618 couples.
93.116 faisaient l'objet d'un "projet parental" ; il y avait eu 7.350 accouchements et près de 86.000 embryons détruits avant ou après implantation.
83.407 embryons étaient abandonnés :
37.435 l'avaient été délibérément par les parents dont
9.317 proposés à la recherche ;
10.239 donnés à d'autres couples stériles ;
17.877 détruits.
et
45.972 conservés dans les CECOS pour une période indéterminée.
Je vous rappelle que des embryons conservés à -196°C dans l'azote liquide peuvent être gardés viables pendant des siècles. Il faut 4.000 ans de conservation pour qu'un tiers environ des cellules ainsi conservées aient vu leur génôme irréversiblement lésé par les rayons cosmiques, les seuls qui à cette température peuvent avoir un effet délétère sur l'ADN. Sur ce point, l'ayant enseigné pendant des années à mes étudiants, je suis absolument formel. Il est donc possible que des êtres humains puissent voir le jour des siècles après avoir été conçus par leurs parents.

jeudi 28 mai 2009

Le courage de la vérité

Un rapport rédigé par le Juge irlandais Sean RYAN, un énorme rapport, met dans une atroce lumière les sévices et les violences sexuelles subis par des centaines et des milliers de jeunes garçons dans des institutions placées sous la responsabilité de l'Église d'Irlande et de l'Etat dans les années 1940-1950. Pire, et presque plus insupportable encore, m'apparaissent les tentative de ces autorités pour étouffer ces scandales, voire se retourner contre les victimes.
Il est indispensable que les chrétiens condamnent avec la plus extrême clarté ces abus et ces crimes, que l'Église d'Irlande demande pardon à ces victimes et les dédommage en toute justice des souffrances qu'elles ont supportées. Il n'y a rien à retrancher de cela.
Comment en est-on arrivé là ?
Mes récentes lectures de Marcel LEGAUT et d'un livre que j'ai providentiellement trouvé aujourd'hui même, Le Christ philosophe de Frédéric LENOIR, m'ouvrent des perspectives exigeantes, mais vivifiantes, pour éclairer un peu, très peu, ce sombre tableau.
LEGAUT distingue la croyance idéologique ou adhésion intellectuelle à un ensemble de dogmes, avec une pratique sociologique des sacrements (messe, confession communion), qui n'engagent pas vraiment la personne au plus profond de son existence, et la foi du disciple qui ne cesse de se poser deux questions : "Qui es-tu, homme unique et solitaire ? - Qui donc as-tu été, Jésus, toi que tant d'hommes ont aimé que tant d'autres ont haï." Une telle recherche suppose une très grande exigence personnelle, le refus absolu du mensonge, une très grande rigueur intellectuelle et morale, une recherche constante de ce qu'est sa mission spécifique, une fidélité sans faille à soi-même.
LENOIR, et c'est là une rencontre providentielle pour moi, s'interroge sur les dysfonctionnements de l'Église et se demande comment l'Inquisition a été possible ; je ne discuterai pas de l'aspect historique ici - car il a été fort malmené par l'histoire officielle - je m'intéresserai à la répercussion terrible qu'a eu cette institution dans la mémoire des peuples, et je reprendrai donc mots pour mots les propos de F. Lenoir : L'exemple de l'Inquisition oppose deux points de vue radicalement antinomiques : le message révolutionnaire du Christ qui cherche à émanciper l'individu du poids du groupe et de la tradition en faisant de sa liberté un choix absolu, et la pratique de l'institution ecclésiale qui en arrive à nier cette liberté intérieure pour sauvegarder les intérêts du groupe et de la tradition.
Il me semble que l'attitude de l'Eglise d'Irlande a été justifiée par le désir de maintenir son pouvoir sur la société. Or Jésus n'est pas venu pour que des institutions prennent le pouvoir. Il demande à ses disciples de se faire serviteur de tous, et d'être uns - signe auquel on reconnaîtra qu'ils lui appartiennent. Il n'y a donc pas à temporiser, à faire de la diplomatie, à ruser avec les faits et avec la vérité. Nous avons le devoir, comme disciples, de proclamer la bonne nouvelle, et nul au monde ne peut nous empêcher de le faire ; nous avons le devoir de suivre l'enseignement de notre Maître, et non de faire le contraire de ce qu'il a dit. Nous avons le devoir de dénoncer le tort fait à l'homme, et aux petits, surtout quand ce sont des enfants, et même si nous devons en pâtir, voir y perdre la vie. Un point c'est tout.
J'ai eu l'occasion de dire dans un billet intitulé "Profession de foi" que mon plus profond désir est d'être un disciple de Jésus. Hélas, j'ai encore bien du chemin à parcourir, mais je ne peux pas excuser l'inexcusable d'où qu'il vienne et encore plus quand ce sont des frères qui l'ont commis. Il appartient aux victimes de leur accorder leur pardon s'ils ont le courage de faire cette démarche. Au nom de Jésus, qu'ils la fassent !
Ayons le courage de la vérité

mercredi 27 mai 2009

Analyse d'un slogan

Les panneaux électoraux commencent à se couvrir de professions de foi, rédigées par les candidats à la députation européenne. Dans notre région, plus de vingt listes se disputent nos suffrages. L'une d'elle a attiré mon regard : celle que présente le Parti Socialiste sous la direction d'Harlem DESIR. Le slogan qui figure au-dessus des noms des candidats est "Changeons l'Europe". Fort bien. Je prends le slogan au pied de la lettre.
Essayons donc ensemble de voir ce que cela veut dire.
Changer l'Europe ? C'est qu'elle ne va pas bien. En quoi ? Rien n'est dit là-dessus, en tout cas je n'ai rien vu de concret sur les changements souhaitables.
Comment la changer ? Quand on voit la difficulté qu'il y a à mettre d'accord 27 pays sur des mesures concrètes, et les difficultés non moins grandes à faire accoucher l'Europe du Traité de Lisbonne, on peut conclure que changer l'Europe ne sera pas une mince affaire. Mais supposons que l'entreprise soit tentée. Comment faire ?
Première modalité possible : le Parti Socialiste Français se met d'accord avec les autres Partis Socialistes européens pour présenter un programme commun de changement aux électeurs. Il espère obtenir la majorité au Parlement, et par ses propositions infléchir les mesures soumises au vote des députés dans un sens favorable à leur thèse. (a) Il n'y a pas de programme commun ; les leaders socialistes européens ne se sont pas rencontrés ; et on peut douter que le socialisme de monsieur ZAPATERO ou de monsieur G. BROWN soit soluble dans celui des responsables socialistes français tiraillés entre social-démocratie et socialisme marxisant. (b) Les traités donnent au Parlement Européen des pouvoirs de contrôle, mais assez peu de pouvoir de proposition. Le voeux est donc pieux.
Deuxième modalité possible : le Parti Socialiste Français estime qu'il a les forces suffisantes pour imposer à lui tout seul son point de vue à tous les partenaires européens, surtout et y compris les chefs d'Etat et de Gouvernement qui ont et eux seuls le pouvoir de proposition. La chose est fort peu probable, si - ce qui est le cas - le PS joue le jeu de la démocratie et accepte la règle de la majorité.
Troisième modalité possible le Parti Socialiste Français joue l'opinion publique, la rue, les désordres, sur cette question des changements à apporter à l'Europe, et pense entraîner dans son sillage les militants socialistes des autres pays. Le pari est risqué, dangereux, et peu démocratique. Il est en outre fort difficile à mettre en oeuvre tant les intérêts nationaux des responsables politiques socialistes varient d'un état à l'autre.
Quel que soit le sens dans lequel on l'examine, ce slogan est parfaitement vide de contenu et de sens. Il repose sur du vent, ou du rêve, ou de l'utopie. Il est donc mauvais, et impropre à susciter l'adhésion des électeurs.
Ceci étant dit, et contrairement aux voix qui s'élèvent pour condamner la proposition de madame AUBRY, il ne me paraitraît pas inintéressant d'harmoniser les systèmes de protection sociale européens, en une période aussi difficile pour nombre de salariés. Pour cela, point n'est besoin d'un impôt nouveau, mais de négociations intergouvernementales, du type gagnant-gagnant. Il faudrait donc que les pouvoirs publics français, les responsables politiques français, et l'opinion publique française acceptassent de faire des concessions sur certains points pour obtenir des avantages sur d'autres points. Le système de flexisécurité danois, par exemple, protégerait certainement les plus menacés dans leur emploi, mais exigerait en retour un investissement personnel plus important de la part des chômeurs, notamment sur le plan de la mobilité. Le suivi personnalisé des chômeurs qui est en place en Grande-Bretagne est également transposable avec bonheur chez nous, moyennant, là-encore, l'engagement des chômeurs à ne pas tout attendre de l'Etat.
Par-dessus tout, il faudrait que les pouvoirs publics, les médias, les enseignants surtout, insufflassent aux citoyens et aux jeunes d'autres valeurs que celles de la jouissance individuelle, de la facilité, et leur donnassent le goût du risque, car vivre c'est accepter de risquer, ce n'est pas mettre les pieds dans des charentaises en attendant de prendre sa retraite.

Déception et espérance

Je suis un peu déçu, pourquoi ne pas le dire, d'avoir si peu de réactions et de commentaires à certains de mes billets (je pense notamment au billet sur le bonheur). Mais l'une de mes fidèles lectrices me disait qu'il n'y a rien à dire. C'est terrifiant !
Olibrius dit que j'ai trop d'assurance. Et bien j'en ai de moins en moins, et ses réflexions judicieuses m'ont permis de prendre la mesure de ce qui pourrait passer pour une parole fermée. Et justement, je me demande si, malgré mes précautions, ce que je dis dans ces billets n'est pas trop fermé. Mais il me fait réfléchir, lire, peser les mots, vérifier l'orthographe et les accords, la concordance des temps. C'est un travail exigeant. Alors, c'est vrai, j'éprouve une petite déception devant cet apparent vide de réactions, et je vis dans l'espérance que bientôt elles abonderont.
Ceci est un court billet, que je compléterai ce soir, par une réflexion plus approfondie sur un sujet d'actualité.

mardi 26 mai 2009

Un poème déchirant

Il y a plusieurs semaines, je vous parlais de Pierre-André GUASTALLA, dont la probité intellectuelle fut célébrée par Gabriel MARCEL dans la Préface qu'il écrivit pour le Journal (1940-1944) laissé par cet écrivain, mort trop jeune, tué à l'ennemi peu après la Libération de Paris. Ceux qui me lisent régulièrement savent le prix que j'attache à la probité intellectuelle et à la pensée. Je suis donc en train de parcourir (d'abord) ce journal que je lirai à tête reposée après avoir achevé la lecture passionnante, exigeante, étonnante, des principaux livres de Marcel LEGAUT.
Tout de même, je trouve, dans ce Journal, ce petit poème en prose, jeté au papier, comme on jette un cri dans la solitude d'une montagne déserte. Je ne peux résister à la nécessité de vous le livrer :
Ils passent leur temps à ne pas penser,
et en sont très occupés.
Il est tellement plus facile de rire et de dire
tout ce qui passe et disparaît
que d'être dur avec soi-même.
Il est tellement plus facile de pencher par le vent
que de souffler soi-même.
C'est facile de sourire et d'avoir l'air...
Il est dur d'arriver à ne pas avoir l'air.
Je pleure sur eux et ils essuient mes larmes,
avec des rires de femmes qui méritent des baffres [sic],
et des coups de pied,
et des écorchures,
parce que ce sont elles
avec leurs cajoleries et leur rouge,
leurs ongles et leur bêtise,
qui tuent en tous ce qu'ils auraient pu apporter au monde.
Je pleure sur eux,
Comme le Christ pleurait déjà.
Ce poème a été écrit en mai 1940, au moment où se profilait pour notre patrie le spectre d'une honteuse défaite et celui, pire encore du déshonneur. Il faut comprendre les allusions aux femmes fardées, comme une évocation des grandes prostituées, et non point des femmes en général. Le contexte le prouve à l'évidence.
Mais j'aime ce ton : oui penser, ne pas réagir aux faits comme le chien de PAVLOV, ne pas se satisfaire de la médiocrité ni pour soi ni pour les autres, prendre la vie au sérieux, ne pas se contenter de dire "tout ce qui passe et disparaît", comme tant de journalistes.
Pierre-André GUASTALLA est mort avant d'avoir pu donner toute la mesure de sa réflexion. Ce qu'il en subsiste est trop beau pour ne pas susciter en nous le regret de sa disparition.

lundi 25 mai 2009

Axel Kahn, la crise et l'université

Je vous le disais il y a peu : je vais vous en parler ! Un très proche, en effet, m'envoie la copie d'une interview d'Axel KAHN, actuel Président de l'Université René Descartes.
Tout d'abord, je dois dire que j'ai une très grande admiration pour Axel KAHN. C'est un très grand chercheur, un homme d'une rare intégrité intellectuelle. Il manie la langue française avec un bonheur que pourraient lui envier bien des immortels. J'ai eu l'occasion de le connaître, car l'un de mes élèves a publié avec lui dans la très prestigieuse revue Nature lors d'un stage post-doctoral.
Dans ce commentaire, qui risque d'être un peu long, fidèle désormais à une décision que je vous ai annoncée, je m'abstiendrai de souligner les côtés polémiques de l'entretien, côtés que l'on doit surtout au journaliste qui l'a conduit.
Axel KAHN remarque tout d'abord que son Université est relativement calme. Elle est composée essentiellement de Facultés consacrées aux sciences médicales, odontologiques et pharmaceutiques. Je note que ces Facultés, comme du reste les Facultés de Droit et de Sciences économiques, forment des étudiants qui auront à prendre en charge des patients ou des justiciables, dans des situations concrètes, et qu'ils sont en prise nécessaire avec la réalité. Il en va de la bonne santé et de la bonne administration de la justice dans notre pays. Je suis très étonné qu'Axel KAHN ne mentionne pas ce point, alors que désignant deux foyers de grèves dans son université, l'Institut de Psychologie, et la Faculté des Sciences humaines, il indique que les étudiants de ces disciplines ont toujours eu une réflexion critique sur le fonctionnement de la société. Il dit du reste que dans la plupart des Universités touchées par la grève, ce sont les Facultés relevant des Sciences sociales et humaines qui sont les foyers de résistance à la Loi d'autonomie des Universités. Or ces étudiants, les psychologues mis à part et encore, ont peu de contacts avec la réalité. Ils se frottent aux idées, aux systèmes, aux philosophies. Tout cela est très bon. Mais déconnectés de la réalité et des conséquences concrètes de leur action sur les étudiants qui ne partagent pas leurs analyses, et qu'ils contraignent par la violence de leurs actions, ils relèvent strictement de réactions idéologiques. Je vous ai déjà dit que le propre de l'idéologie est d'être parfaitement insensible à l'homme concret.
Axel KAHN, fort justement, souligne que nombre d'étudiants choisissent ces filières par défaut, car leurs résultats au baccalauréat ne leur permettent pas de choisir des filières sélectives (curieusement, il inclut le Droit dans les filières choisies par défaut, alors qu'il y a certains cursus - celui d'avocat par exemple - qui sont extrêmement sélectifs). Il indique que le niveau moyen de ces étudiants est très inférieur à celui des étudiants en filière d'excellence. Ils sont souvent, dit-il - je cite - "en difficulté culturelle, sociale, économique. Ils sont plus fragiles, leur taux d'échec en licence est de loin le plus important."
Ce constat amène à une interrogation : comment se fait-il que les moins brillants des étudiants (en apparence, je n'attache aucun jugement de valeur ici) soient précisément ceux qui réagissent avec le plus de violence et le moins de réflexion ?
Très franchement, je ne comprends pas pourquoi il est insupportable de recruter des enseignants au niveau du Master, c'est à dire à Bac + 5. C'est en tout cas l'une des raisons du refus des étudiants d'accepter les réformes gouvernementales. Mais je ne vois là aucun raisonnement, aucune comparaison d'avec le statut antérieur du recrutement, aucune analyse des avantages et des inconvénients des deux systèmes. Et je reste donc sur ma faim.
Axel KAHN constate que toutes les Facultés dont le principal débouché est l'éducation se sont enflammées. Si nos futurs éducateurs sont ces étudiants qui cassent les tables, ou les vitres, taggent les murs, barrent les entrées des facultés avec des palettes, exercent des violences à l'encontre de ceux qui ne pensent pas comme eux, au lieu de dialoguer, d'expliquer les raisons de leur opposition, je ne m'étonne plus de l'état de l'Education Nationale ! Quel exemple ! Quel manque de civisme ! Quel peu de respect pour la démocratie ! Quelle intolérance !
Mais Axel KAHN réaffirme son soutien au statut autonome des Universités. Comme je le comprends. J'ai été, je vous l'ai dit, Vice-Président de l'Université Louis Pasteur. J'avais en charge, entre autre, les locaux. Il pleuvait dans l'Institut de Mécanique des Fluides et dans l'Institut d'Histologie (retapé à grands frais sur initiative de l'Etat, avant d'être démoli pour faire place au Nouvel Hôpital Civil), la Faculté d'Odontologie tombait en ruines, l'amphithéâtre préfabriqué de Médecine tenait debout par miracle, les locaux wilhelminien de la rue Goethe étaient de grands nids à vents. Mais tout cela avait une surface. Et c'est très commode une surface, ça vous permet d'attribuer une dotation au mètre carré pour l'entretien des locaux. Peu importe qu'ici, il y ait 4 mètres sous plafonds, là des escaliers monumentaux impossibles à chauffer, et là encore, des servitudes impossibles à respecter. La Direction centrale avait décidé. Ainsi, ces gens, qui ne connaissaient rien à la situation locale, attribuait des moyens inappropriés, au seul motif qu'ils étaient le pouvoir central. Comment voulez-vous qu'ils puissent vraiment connaître la situation des dizaines d'Universités Françaises, alors que nous-mêmes, sur le terrain, nous avions du mal à avoir une vu d'ensemble ?
Toujours dans le registre du Père Ubu, une Université n'avait pas le droit d'acheter une machine offset sans l'aval de Paris ; elle pouvait "proposer" des candidats au titre de Docteur Honoris Causa, mais c'est le ministre qui décidait du bien fondé des propositions, comme s'il connaissait mieux que nous les collègues que nous entendions distinguer. Et encore ceci ; après que Jean-Marie LEHN ait eu le Prix Nobel de Chimie, une grande entreprise américaine avait proposé de créer une chaire de Chimie portant son nom, dans notre Université. Eh bien nous n'avons pas pu donner suite à cette proposition ; il nous était impossible de recruter des Professeurs étrangers qui seraient volontiers venus des Etats-Unis, d'Allemagne, de Grande-Bretagne, de Suisse, si l'on avait pu leur offrir un traitement équivalent à celui de leur Université d'origine. Que d'occasions perdues ! Ne parlons pas des dons et legs qui ne pouvaient être acceptés sans une complexe procédure locale. Tout cela es fini. Et c'est tant mieux.
Qu'on ne vienne pas nous seriner avec la modulation des services. Monsieur JOSPIN, fort judicieusement, en instituant les primes d'encadrement doctoral, les primes pédagogiques, ou les primes pour engagement administratif, avait tenu compte de la réalité. Des collègues étaient complètement dans la gestion de la Faculté et de l'Université. Pour chacune de ces situations, je puis donner des noms de collègues. Tout cela se faisait en catimini. Certains se voyaient refuser une prime d'encadrement doctoral, d'autres non, sans que nous ayons la possibilité de connaître les motifs de refus, ni le nom de ceux qui avaient décidé. Tout cela est fini. Et je doute qu'un Président puisse moduler autoritairement les services des enseignants. Il a un conseil, des représentants syndicaux, des collègues, des doyens. Il recueillera leur avis.
Et Axel KAHN d'ajouter avec malice : "Regardez autour de vous : Polytechnique, le CNRS, l'Inserm, tous dirigés par des directeurs ou des présidents nommés par l'Etat ! Le seul dirigeant élu pour une durée limitée, quatre ans, par des conseils d'administration eux-mêmes élus, c'est le président d'université. Dans la totalité de l'édifice de la recherche et de l'enseignement supérieur, il est celui dont la légitimité démocratique est indiscutable. De plus, il a très peu de pouvoir s'il n'est pas suivi par son conseil d'administration. Le voilà, notre potentat local !"
Puis Axel KAHN explique les raisons de son opposition à la première mouture du décret PECRESSE. Il a obtenu gain de cause. Le décret a été entièrement réécrit.
Je voudrais faire ici une remarque. Nous nous trouvons dans le cas de figure si bien analysé et critiqué (au sens philosophique) par Simone WEIL dans son ouvrage Réflexion sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale. La complexité des rouages sociaux fait que personne ne peut plus en saisir les détails, que les politique croyant pouvoir le faire, dès qu'ils sont au pouvoir, tendent à renforcer le rôle de l'Etat qui devient de plus en plus centralisateur, décérébré, impotent. Toute mesure de respiration est donc la bienvenue.
Je vous livre enfin la conclusion d'Axel KAHN dans son intégrité :

Un enseignant-chercheur, à bac + 9, commence à 1 800 euros par mois.”
Alors, pourquoi la poursuite du mouvement ? La contestation contre Sarkozy, la contestation contre la société bourgeoise ! Ça fait des siècles que l'université est hyper réactive aux mouvements de la société. Or, la société n'est pas de bonne humeur aujourd'hui, la crise est cruelle, profonde, et il serait inimaginable que l'université reste à l'écart de cela. Et puis un enseignant-chercheur, à bac + 9, commence à 1 800 euros par mois. Derrière la revendication vertueuse de l'autonomie, il y a aussi la demande du maintien de ce compromis historique : vous nous payez mal, on est mal considérés, mais vous nous fichiez la paix ; vous allez continuer à mal nous payer, alors laissez-nous tranquilles.

Question du journaliste : Le 23 avril, vous avez signé un texte collectif dans Le Monde qui dénonce des agressions physiques et verbales, le harcèlement, les comportements antidémocratiques...
Moi, je ne suis pas vraiment concerné. A Descartes, nous avons un vrai débat d'idées. Je viens d'avoir un échange épistolaire avec le groupe le plus virulent, les enseignants-chercheurs en psychologie. Ils ont commis un texte qui était pour moi pain bénit : « Nous sommes l'Université, disaient-ils, vous n'êtes pas l'Université. Notre liberté, notre autonomie à chacun sont la condition sine qua non de notre épanouissement. Cet épanouissement est la condition de la qualité de notre rapport pédagogique avec nos étudiants. Vous ne pouvez pas vous passer de nous, nous pouvons nous passer de vous. Nous pourrions vous remplacer par un honnête gestionnaire... » C'est donc un beau texte, exprimant une vision d'un individualisme absolu, niant totalement la dimension d'un projet collectif. Il n'y a pas de discours plus ultralibéral que celui-là. Je leur ai répondu que moi, homme de gauche, je considérais que le lieu normal de l'épanouissement de l'autonomie individuelle était l'adhésion à un projet élaboré collectivement et qu'on cherchait à mettre en oeuvre ensemble. Le débat est de ce niveau chez nous, on n'est pas dans l'agression physique ! Mais il y a des endroits, c'est vrai, où, pour les raisons sociologiques évoquées plus haut, des étudiants sont engagés dans des mouvements anarcho-bourdieusiens, assimilant l'enseignant au patron et le président de l'université au superpatron. Ce qui met des gens comme les présidents de Montpellier III, Grenoble III ou Bordeaux III, universitaires Snes sup, élus avec les voix de syndicalistes, en porte-à- faux : quoi qu'ils disent, ce sont des traîtres au mouvement et à la révolution...
“Face aux étudiants, les enseignants-chercheurs devraient agir comme les hospitaliers en grève avec leurs malades : ne rien faire à leur détriment.”

Le journaliste : Georges Molinié, président de Paris IV, est très actif dans le mouvement, non ?
Georges Molinié, éminent collègue, a choisi une position assez confortable qui est de ne pas être menacé par le mouvement en le précédant toujours, en étant un des plus radicaux. Quel que soit le jugement sur les réformes, il y a une réalité que personne ne peut nier, c'est qu'il y a plus malheureux et plus fragiles que les enseignants-chercheurs, ce sont les étudiants. Face à eux, les enseignants-chercheurs devraient agir comme les hospitaliers en grève avec leurs malades : ne rien faire à leur détriment. Je ne comprends pas qu'un enseignant-chercheur puisse imaginer faire perdre une année d'études, alors que c'est si précieux, surtout lorsqu'on connaît la situation sociale de beaucoup. C'est pour moi un vrai clivage moral.

Enfin, Axel KAHN rend hommage à Valérie PECRESSE. Les critiques qu'il porte sur la brutalité des mesures du decret modulant les services des enseignants-chercheurs me paraissent justifiées, pas pour les mêmes raisons sans doute ; sa critique des propos présidentiels sur les mauvais chercheurs me semble également justifiée. Tout compte fait, Axel KAHN a réfléchi, a pensé, avant de s'exprimer. On peut lui dire merci.

dimanche 24 mai 2009

Synthèse

Mes lecteurs réguliers auront noté ma prédilection pour des auteurs comme Gustave THIBON, LANZA del VASTO, MArcel LEGAUT ou Simone WEIL. Je viens seulement de prendre conscience claire des raisons qui me les font aimer et les prendre comme inspirateurs de ma propre vie. Tous se sont mesurés au réel, les trois premiers en travaillant la terre, la dernière en faisant une expérience de travail ouvrier dans une usine. Aucun d'eux n'a pas passé sa vie à élaborer des théories, des systèmes d'idées. Ils ont d'abord pensé avant d'écrire ; leurs pensées, ou plus exactement leur penser, (c'est à raison que j'utilise ici un infinitif), est le fruit d'un long mûrissement intérieur, développé au contact de la nature ou la matière : la vigne, les brebis, le travail manuel. L'action a nourri le verbe. Aucun de ces très chers amis ne s'est payé de mots. Au contact de la nature, par le travail manuel, il a pris contact avec ce qu'il est vraiment lui-même, il a expérimenté ce que LEGAUT appelle la foi en soi qui n'est pas la confiance en soi, liée à la carence d'être. De sorte que tous, sans illusion aucune sur leurs limites et sur la misère humaine, ont échappé à la grande tentation du désespoir : celui de n'être pas ce qu'ils auraient voulu être. Humble acceptation de leurs limites, conscience de leur unicité, confiance dans un devenir insondable due à leur permanente fidélité à eux-mêmes. On est loin de KIERKEGAARD et son traité du désespoir...
Et dire que je vous bassine avec Ségolène, Nicolas, François, Martine, et les autres ! Que tout cela est dérisoire. Aucun d'eux n'a la clé qui ouvre la porte du sens de la vie. Notre civilisation est ivre, ne vit que dans la demesure, cette hubris si bien décrite dans ses effets par SOPHOCLE, ESCHYLE ou EURIPIDE : XERXES a eu beau faire fouetter la mer avec des chaînes, il n'en a pas moins perdu sa maîtrise.
Depuis quelque temps, vous le noterez, je m'efforce de développer une pensée plus cohérente, moins émotionnelle, moins réactive à l'actualité immédiate. Il m'arrivera encore de commenter tel ou tel événement (et je vais le faire à propos d'un article d'Axel KAHN sur la crise de l'université, article à moi transmis par un proche qui me fait l'amitié de me lire), mais je m'efforcerai désormais d'être moins polémique. C'est tout pour ce billet

samedi 23 mai 2009

Un grand livre, une philosophe prophétique

Je vous ai déjà parlé de ce livre de Simone WEIL, Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale. C'est, de mon point de vue, un très grand livre que tout homme politique qui pense, au lieu de chercher à conquérir le pouvoir, doit lire, relire et méditer.
Le chapitre intitulé Esquisse de la vie sociale contemporaine est une analyse éblouissante, et prophétique. Le livre a été écrit en 1934, et déjà Simone WEIL voyait où nous mènerait la complication extraordinaire de notre organisation sociale, son opacité, son incapacité à penser, et à organiser quoi que ce soit, son côté arbitraire et aveugle, son caractère oppressif progressivement et inéluctablement croissant. Je vous invite, toute affaire cessante, à acheter ce livre que vous trouverez pour un prix modique à la Librairie La Procure, Rue de Mézières, près de Saint-Sulpice.
Pour aujourd'hui - car je reviendrai sur cette oeuvre achevée que je ne cesse de lire et relire - voici un petit extrait du premier paragraphe de l'Esquisse.
Jamais l'individu n'a été aussi complètement livré à une collectivité aveugle, et jamais les hommes n'ont été plus incapables non seulement de soumettre leurs actions à leurs pensées, mais même de penser. Les termes d'oppresseurs et d'opprimés, la notion de classe, tout cela est bien près de perdre toute signification, tant sont évidentes l'impuissance et l'angoisse de tous les hommes devant la machine sociale, devenue une machine à briser les coeurs, à écraser les esprits, une machine à fabriquer de l'inconscience, de la sottise, de la corruption, de la veulerie, et surtout du vertige. La cause de ce douloureux état de choses est bien claire. Nous vivons dans un monde où rien n'est à la mesure de l'homme ; il y a une disproportion monstrueuse entre le corps de l'homme, l'esprit de l'homme et les choses qui constituent actuellement les éléments de la vie humaine ; tout est déséquilibre. Il n'existe pas de catégorie, de groupe ou de classe d'homme qui échappe tout à fait à ce déséquilibre dévorant, à l'exception peut-être de quelques îlots de vie plus primitive ; et les jeunes qui y ont grandi, qui y grandissent, reflètent plus que les autres à l'intérieur d'eux-mêmes le chaos qui les entoure.
Quand on pense que ce texte a été écrit en 1934, on demeure subjugué par la prescience de Simone WEIL. Et notamment pour ce qui concerne les jeunes. On est stupéfait d'entendre ses propos sur la sottise, que l'on voit proliférer dans les médias, spécialement à la télévision, sur la corruption qui ronge nos sociétés, aussi bien prétendument démocratiques et policées, que tyranniques ou autocratiques, sur la veulerie, nous qui laissons des centaines de milliers d'êtres humains, des millions, aux mains des tyrans ou des bandits, les abandonnant à un sort que nous ne voulons pas connaître.
Je reviendrai là-dessus. Je ne veux pas laisser Eugénie sur l'impression que l'avenir est bouché. Il ne l'est pas. Mais, et Simone WEIL le dit, il nous faut attendre l'écroulement d'un système aveugle pour réinventer un nouvel art de vivre ensemble. Pour cela il nous faut penser, et il nous faut partir du réel.

Sur la vie...

Lorsque j'enseignais, j'apprenais à mes étudiants comment il est possible de caractériser la vie d'une cellule ou d'un organisme. Je leur disais ceci : la vie est caractérisée par une propriété toute particulière, la croissance. Et la croissance comporte deux aspects : la possibilité d'augmenter par soi-même sa masse de matière vivante, la possibilité de se reproduire (cette dernière propriété pouvant être quelque fois absente).
Le temps et la réflexion aidant, j'ai essayé de voir ce qui caractérisait la vie humaine. Manifestement et déjà, au moins les deux propriétés que je viens de dire : il est aisé de voir qu'un bébé qui grandit augmente par son activité propre sa masse de matière vivante, et qu'un adulte qui a soin de son corps peut se muscler ; il est non moins aisé de constater qu'ordinairement l'être humain, par son activité sexuelle propre, est fécond, engendre (pour l'homme) ou enfante (pour la femme).
Mais l'homme ne peut se réduire à cela, qui caractérise la vie animale. Il est doté de parole et de pensée, et il est logique et imparable de conclure que ces caractéristiques spécifiquement humaines contribuent aussi à le rendre vivant. Comment est-il possible à l'homme, par son activité propre, d'accroître l'efficacité de sa parole, la pertinence de sa pensée, la capacité relationnelle, que l'on peut analogiquement assimiler à la vie organique ? Il me semble que l'étude, la culture, le dialogue avec l'autre sont des activités qui peu à peu, nous rendant plus maître de nous-même et plus proche des autres contribuent à nous faire grandir. De même, la fécondité peut être de nature spirituelle. De grands auteurs, de grands philosophes, de grands explorateurs, peuvent avoir des émules, ou plus sûrement des disciples qui leur reconnaissent une paternité spirituelle.
Voilà où m'amène ce matin l'état de ma réflexion. Elle est certes imparfaite, mériterait d'être creusée. Mais j'ai tellement eu l'occasion de vérifier pour moi-même la pertinence de ces constatations que je ne peux m'empêcher de vous les faire connaître : l'étude, le dialogue sublimés en connaissance et en amour (l'une étant l'antichambre de l'autre) me semble être des conditions indispensables au développement humain.

vendredi 22 mai 2009

Sur le bonheur

La mort désormais se lève à l'horizon de ma vie "comme un grand astre solennel". Cette belle expression est de Marcel LEGAUT.
Voici venue l'heure du bilan : qu'ai-je fait de ma vie ? Comme tant d'hommes, j'ai cherché le bonheur que je n'ai jamais pu séparer de la quête de la vérité, tant les deux me paraissent liés.
Le bonheur ? Cet état de paix intérieure qui fait goûter intensément le présent, ne pas habiter de nostalgie un passé révolu, avoir confiance dans les temps qui viennent ; cet état de douce tension vers une action qui remplit et creuse à la fois le désir d'être, qui fait sens en quelque sorte. Des années de recherche et d'études austères, de réflexions et de rencontres diverses m'ont conduit à une conclusion définitive : la raison seule est incapable de conduire au bonheur ; il y faut une autre faculté, que j'ai du mal à identifier ou à nommer, qui n'est pas irrationnelle mais à la limite de la conscience, comme un appel à la vie et à l'être, et non pas à la possession. Peut-être la connaissance de soi en vérité, sans complaisance, la certitude que ma vie a été voulue, que malgré mes limites, mes faiblesses, cet appel à la vie m'établit dans la dignité d'homme, de créature, et de fils. Je n'oblige personne à partager les deux derniers point de vue sur le statut de créature et sur celui de la filiation. En revanche, il me paraît peu sage de ne pas accepter l'idée que le bonheur suppose une reconnaissance de sa dignité d'homme.
Toute anthropologie qui néglige la dimension unique et originale de la personne est condamnée à périr, car ce sentiment d'unicité est présent, plus ou moins intense en chacun de nous. Toute anthropologie qui néglige la dimension de la personne "faite pour l'autre" est condamnée à périr, car l'homme est un être de relation.
La vérité ? Qu'il est difficile à un esprit moderne d'admettre cette notion. Mais si nous acceptons sans difficulté qu'il y ait des jugements ou des opinions qui soient erronés, il nous faut nécessairement admettre qu'il en est de vrais. Je vois là plusieurs éléments à prendre en compte, si je me place exclusivement sur le plan de l'intellection : impossible d'aller à la vérité sans tenir compte du réel et de l'expérience, accepter l'idée que les choses et les autres peuvent être sans que je les perçoive ou les connaisse. Mais une réflexion soutenue, continuelle (elle occupe ma pensée presque constamment) m'a amené à conclure que la vérité pleine ne peut venir que d'une source extérieure à l'esprit humain. Chaque fois que je crois avoir trouvé un raisonnement imparable, une objection, en général de nature subjective, m'interrompt dans le développement de mon argumentation, car je constate que les points de départ des pensées, et les références de mes interlocuteurs sont différents, et je suis trop impatient ou trop occupé pour refaire avec eux le développement d'une pensée qui a muri pendant des années.
J'en suis donc venu, par de longs détours, parfois difficiles, à croire absolument à la parole de Jésus : "Je suis le chemin, la vérité et la vie". Il m'a fallu des années pour échapper à la force d'évidence de cette parole. Mais c'est maintenant pour moi une certitude.

jeudi 21 mai 2009

Rencontre toujours

Je poursuis, subjugué, la lecture du livre de Marie-Thérèse DE SCOTT sur l'oeuvre de Marcel LEGAUT.
Je cite ici, en une réponse beaucoup plus vraie aux remarques d'Olibrius que celle que je lui ai faite en commentaire, ce texte que je fais tout à fait mien. Pour rester fidèle à l'inspiration de l'auteur, je ne dirai rien de plus qu'un aveu ; ce texte est un texte de lumière :
A la fin de leur existence, quand il n'est plus l'heure d'agir mais de réfléchir à ce qu'on a vécu, à ce qu'on a voulu vivre, à ce qu'on n'a pas pu réaliser ou à ce qu'on fait seulement de façon médiocre à cause de ses limites et de ses fautes ainsi que de celles de ses proches, certains seront appelés à témoigner de leur vie. Sans rien y rajouter ni en retrancher, sans s'abandonner à l'émotion ni au lyrisme, sans se laisser aller à dire seulement ce qui devrait être ou ce qui peut être reçu avec faveur, sans céder aux facilités du conformisme ou du concordisme, sans être inspirés par le moindre dessein de polémique ou de propagande, qu'ils disent à haute voie comment ils conçoivent la voie qui leur semble aujourd'hui conduire à Dieu et qu'ils sont suivie comme ils ont pu. Quel que soit l'accueil que l'on fera à leur témoignage, qui n'a pas la prétention d'être un enseignement comme leur genre de vie ne veut pas être un modèle, ils seront appels plus encore que jalons, maillons de la tradition vivante et inspirée qui depuis les origines travaille l'humanité pour qu'elle s'accomplisse en Dieu (Introduction à l'intelligence du passé et de l'avenir du christianisme).
Ainsi, Olibrius, encore une fois vous avez raison. Je n'entends plus céder à la polémique ou à la propagande ; peu importe en effet le nombre de mes lecteurs. N'y en aurait-il qu'un, si mon témoignage peut l'éclairer de la lumière qui ne vient pas de celui qui le livre, mais de celui qui l'inspire, alors le dur labeur de l'écriture quasi quotidienne n'aura pas été vain.

Rencontre

Il y a des rencontres de penseurs qui marquent pour la vie. J'en avais fait une dans les années 1990, avec René GIRARD, sans doute l'un des esprits les plus pénétrants du XXe siècle. Je suis en train d'en faire une autre avec Marcel LEGAUT, que je découvre mieux à travers l'ouvrage (j'en ai parlé il y a deux jours) que Thérèse DE SCOTT a consacré à l'oeuvre spirituelle de ce scientifique devenu paysan.
Marcel LEGAUT est un intellectuel de haute volée. Normalien, mathématicien, universitaire. Il a été professeur dans diverses universités (Rennes, Nancy, Lyon). Dans les années 1930, il anime à PARIS, une communauté de vie avec plusieurs de ses amis normaliens, une communauté d'étude et de prière particulièrement ascétique. Il se croit appelé à une forme particulière de vie monastique. Pour diverses raisons, il ne poursuit pas ce projet, et en 1940, peu après s'être marié, il achète une ferme dans le pays drômois de DIE, retape une vieille maison, travaille la terre, élève des moutons, tout en continuant d'enseigner à LYON. En 1942, il abandonne totalement la vie universitaire et désormais se consacrera à sa ferme, et à sa famille qui comptera vers la fin des années 1940, six enfants dont des jumeaux. Marcel LEGAUT est un chercheur, aussi bien en matière scientifique que spirituelle et religieuse. Il aura tenté, avec quelques étudiants, de montrer quel fruit l'on peut faire mûrir quand on s'adonne aussi bien à l'étude qu'au travail de la terre.
Je découvre avec bonheur, étonnement, et incrédulité, qu'en 1940, Marcel LEGAUT, a failli apprendre le métier d'ouvrier vigneron chez Gustave THIBON avec qui Gabriel MARCEL l'avait mis (l'aurait mis ?) en relation. C'est l'époque où cet autre grand penseur-paysan héberge chez lui Simone WEIL. Ainsi, je découvre que des auteurs qui me sont très chers, que, depuis des années, je fréquente avec assiduité, avec humilité, sans envie mais admiratif, auraient pu se rencontrer.
Voici la prière que Marcel LEGAUT fait pour son enfant (à l'époque où il l'écrivit, il n'en avait qu'un).
Que mon enfant, Seigneur vous aime comme je vous aime. Je ne peux pas le lui dire. Il ne pourrait pas me comprendre. Approchez-vous de lui, vous qui l'avez créé et m'avez donné de l'aimer de la paternité. Comment puis-je encore être s'il n'est pas, lui aussi, totalement vôtre ? Ne reniez pas vos oeuvres ! Soyez pour lui, mon Dieu, ce que vous êtes pour moi ! (Dans "Travail de la foi", page 36).
Mes propres enfants ignorent que je tiens ce Blog. S'ils viennent un jour à le découvrir, qu'ils sachent que j'ai fait mienne cette prière, avec une émotion indicible. Il m'est impossible d'en dire plus.

mercredi 20 mai 2009

Une pensée forte

Jean-Claude GUILLEBAUD produit très régulièrement un bloc-notes dans l'hebdomadaire La Vie. C'est un homme qui pense, pèse le poids de ses propos, chemine. Son dernier article, intitulé Panne de sens, publié dans le numéro 3324 de l'hebdomadaire (semaine du 14 au 20 mai), est absolument remarquable. (Enfin il l'est pour moi ! Je module pour ne pas donner l'impression d'avancer avec trop d'assurance...). Il commence comme il suit :
Voilà qu'au sujet de la crise resurgissent des questions "morales". Les guillemets s'imposent car on aurait bien tort de les réduire à la seule morale traditionnelle. On pense à cette rapacité, à ce vertige du lucre et du profit immédiats qui ont été à l'origine de la dérive financière du libéralisme. En vérité, c'est plus d'anthropologie que de morale qu'il faut parler. Expliquons-nous. Le capitalisme - à l'instar de la société moderne - ne peut fonctionner que parce qu'il a hérité que quelques types anthropologiques dont il n'était pas lui-même le créateur : des juges irréprochables, des ouvriers consciencieux, des entrepreneurs imaginatifs, des fonctionnaires intègres, etc.
Ces types humains avaient été créés dans des sociétés antérieures, à des époques où ni l'argent ni le cynisme n'étaient tout à fait rois. Ces modèles anthropologiques étaient donc les produits d'une longue alchimie éducative. Leur création - on pourrait dire leur patiente "construction" - se référait à des valeurs encore jugées prioritaires : honnêteté, civisme, désintéressement, goût d'entreprendre. Seules ces valeurs partagées ont pu être le ciment invisible qui permet à une société humaine d'assurer sa cohésion et - surtout- de durer en se reproduisant, d'une génération à l'autre.
L'auteur poursuit son analyse, explique comment le système libéral à déraillé d'une manière tout-à-fait prédictible, en niant les valeurs qui avaient permis son émergence. Et il conclut :
Ce processus, on le voit bien, n'invite nullement à un discours moralisateur. Il nous renvoie à une question bien plus essentielle : quel est donc cet ingrédient qui nous permettait de vivre ensemble et que, manifestement, nous avons perdu ?
Souvent, dans mes billets, je vous ai parlé de "morale", au sens d'un art de vivre et de la réponse qu'il convient de donner à la question du "que dois-je faire ?" La morale en effet n'est pas une accumulation de mesures d'obligations et d'interdiction, mais une orientation délibérée de la vie, en fonction de ses exigences propres. Dans cet article, je retrouve, infiniment mieux dit que je n'aurais pu le faire, un cheminement de pensée que je ne cesse suivre depuis l'ouverture de ce Blog. Combien de fois n'ai-je pas critiqué la fausse anthropologie, l'anthropologie trompeuse de nombre de penseurs modernes (pas plus tard que dans mon dernier billet) ? Combien de fois n'ai pas rageusement dénoncé la cupidité, l'avidité pour les profits immédiats, le mortel égoïsme des puissants, la convoitise dérisoire des moins bien nantis ?
Les deux caractéristiques de la vie sont la croissance et la reproduction. GUILLEBAUD fait tout à fait allusion à ces propriétés qui ont permis à nos sociétés de tenir "cimentées". Et, par sa question finale, il appelle une réponse. Quand on congédie la majesté, la puissance et l'amour divins de l'espace public, on a, du moins il me semble, identifié les raisons de notre autodestruction. Ce que nous avons perdu ? Je vous le laisse deviner.

lundi 18 mai 2009

Ce que je crois...

J'écris aujourd'hui le 495e billet de ce Blog, ouvert en avril 2007. Je ne sais pourquoi, mais le temps me semble venu de donner à mes quelques lecteurs une sorte de profession de foi. Je remercie les fidèles : Adèle, Fourmi, Eugénie, Hiver, Olibrius, Roparzh, Dominique et Françoise, Dominique et Michèle, qui me font l'honneur de leurs commentaires. Et c'est d'abord à eux que je m'adresse.
1-Je désire hautement affirmer que je me situe comme "disciple" de Jésus, pas simplement "croyant", mais "disciple". Exigeante et inconfortable situation, qui m'expose - et je l'assume - à la critique de ne pas mettre en oeuvre les commandements d'amour de Celui à qui je veux remettre ma vie. Il m'arrive donc de regretter les mots un peu durs que j'ai contre tel ou tel homme ou femme politique. Je m'en explique dans le point 3.
2-En tant que scientifique, je ne peux adhérer à aucune idéologie, ni socialiste, ni libérale, ni quoi que ce soit. Il me paraît nécessaire de partir des faits et d'eux seulement, première approche du réel. Ces faits nous pouvons les connaître par l'observation directe, par la lecture d'ouvrages scientifiques ou techniques, par les rapports qu'en font les journaux ou les revues. Dans ce cas, il est bon d'avoir les récits de plusieurs témoins, non parce qu'on soupçonne l'un d'eux de travestir la réalité, mais parce qu'un témoignage unique est insuffisant (testi unus, testis nullus) et que plusieurs témoignages en rendent compte sous différents aspects et qu'ils se complètent donc.
3-En tant qu'être pensant, je ne puis concevoir l'histoire comme lieu de conflits perpétuels à travers lesquels l'Esprit (selon HEGEL) agit ou se révèle, ou la Matière (selon MARX), pétrie par l'homme, affranchit peu à peu celui-ci des exigences de la nature et des contingences de la production de biens. Mon opposition au socialisme ne vient pas du désir affiché de cette idéologie de partager - car le partage est tout-à-fait indispensable - il vient de ce qu'elle est encore informée par la dialectique marxiste, et que son anthropologie est fausse. L'homme est un être de désir et non de nécessité a remarqué BACHELARD dans la Psychanalyse du feu. Cela est vrai. Mais, au plan strictement matérialiste auquel se situe le socialisme, le désir humain ne peut naître que dans la convoitise de ce que possède l'autre, ou même dans la convoitise de ce qu'il désire, alors que le seul désir authentiquement humanisant est celui que Dieu a pour nous : la vie, déjà sur cette terre, bien sûr, et la vie éternelle. Jésus nous dit qu'il est "le chemin, la vérité et la vie", et que "sa vérité nous rendra libre". Est libre celui qui ne convoite rien. C'est du reste ce que dit le 10e commandement, si bien commenté par René GIRARD. Il ne s'ensuit pas que l'on doit laisser les pauvres dans le besoin, car les exigences de la nature doivent être satisfaites et les richesses terrestres ont une destination universelle.
4-Je crois que toute parole exprime une certaine vérité. Olibrius me traite avec gentillesse de naïf. J'assume là encore ce qualificatif. Si être naïf consiste a faire crédit de la bonne foi à son interlocuteur, y compris quand il ment sciemment, alors je le suis. Mon expérience de vie m'a montré que tout propos d'autrui pris avec sérieux contraint l'esprit mensonger à se déclarer tel. Mensonge n'est pas erreur. Et le mensonge est à la sincérité, ce que l'erreur est à la vérité.
5-La vérité, pour moi, est une adéquation de la pensée avec les choses. J'affirme donc qu'il est possible de tendre vers la vérité (jamais de la posséder), car la vérité est un chemin. Et c'est un chemin qui se construit par l'échange, la parole, et la prière, non point dans l'émotion, la sensation, la réaction. C'est encore pourquoi, à de nombreuses reprises, j'ai fustigé plusieurs journaux pour leur légèreté. Non qu'ils n'expriment pas une certaine vérité ; il existe des faits de conscience, et je l'admets bien volontiers. Mais pour les présenter sans recul, sans réflexion, sans mise en perspective.
Voilà ce que voulais dire à mes lecteurs aujourd'hui. Tout ceci est sans doute faible, mais c'est ce qui me construit.
Permettez que je termine ce billet par ce que dit Marcel LEGAUT dans m'avant-propos du livre que Thérèse De SCOTT a consacré à son oeuvre spirituelle :
Toute existence d'homme suffisamment adulte et digne de l'humanité qui lui est propre a sa secrète unité et une singularité inaliénable. C'est seulement grâce à cette unité et à cette originalité, sous-jacentes à ses comportements, qu'à travers eux il peut, même sans en avoir conscience, se communiquer à autrui au niveau de l'essentiel. Aussi, plus l'homme s'atteint dans son autonomie mieux il peut aider les autres, par la simple présence qu'il crée en eux, à être debout, du moins si ceux-ci s'efforcent de l'accueillir dans sa vérité et arrivent à entrevoir ce qui est au centre de sa vie, ce qui donne sens à ses jours. Les livres qu'un homme a écrits en se disant, s'attachant à être lucide devant soi et sincère envers envers autrui peuvent donner naissance à une telle présence chez qui les lit dans un climat spirituel proche de celui qui a présidé à leur gestation.
Voyez-vous, c'est après avoir lu ce texte, que je me suis décidé à vous faire une profession de foi plus explicite. Il n'y a aucune raison, je n'ai aucune raison, de cacher le lieu d'où je parle.

dimanche 17 mai 2009

Ensemble pour l'Europe...

J'ai participé samedi à la journée organisée au Palais de la Mutualité par un ensemble de mouvements chrétiens, et consacrée à l'Europe. Nous avons eu des interventions tout à fait remarquables. J'en reparlerai. C'est là qu'un conférencier nous a raconté une petit anecdote qui en dit long sur le caractère politique des Français. Une enquête réalisée dans les pays de l'Union Européenne indique que les Français disent être les plus malheureux des peuples qui la composent. Mais tous les citoyens des autres pays européens indiquent que s'ils avaient le choix, c'est en France qu'ils iraient vivre !

Toujours plus ! C'est le titre d'un ouvrage qui analyse avec pertinence les raisons profondes de l'insatisfaction qui nourrit notre vie politique, et qui pousse, par exemple madame AUBRY, à réclamer un votre sanction contre monsieur SARKOZY, à l'occasion d'élection qui n'intéressent pas que la France mais l'avenir de l'Europe auquel est lié notre sort. Madame AUBRY se trompe d'élection. Elle aurait dû écouter l'émission de télévision au cours de laquelle monsieur Hubert VÉDRINES, ancien Ministre des Affaires Étrangères du Président MITTERRAND a qualifié de "brillante" la présidence française de l'Union. Voilà un homme qui n'a point d'oeillères et qui voient les faits avant de regarder les idées.

Une table ronde réunissant un élu socialiste, Vincent SOULAGE, le Vice-Président du mouvement fondé par madame BOUTIN, Vincent YOU, et la Présidente du Mouvement européen-France, Sylvie GOULARD, membre du Modem, a fort heureusement montré, à de très subtiles nuances près, la convergence des analyses et des propositions. J'ai particulièrement apprécié la contribution de monsieur SOULAGE qui n'a pas honte de dire qu'il est chrétien, ainsi que celle de monsieur YOU. Madame GOULARD a été excellente aussi, mais plus polémique.


Voici le message qui a été délivré à tous les participants :


"A ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l'amour les uns pour les autres" Jn 13, 33.

Depuis dix ans, nos mouvements et communautés se sont engagés dans une expérience de communion au sein "d'Ensemble pour l'Europe". Des liens nouveaux, riches et féconds, se sont tissés entre nous, nous avons prié ensemble et partagé nos joies et nos peines. La reconnaissance mutuelle de nos charisme, de nos différences, de nos particularités nous a transformés Nous avons découvert la richesse et la pertinence des engagements des uns et des autres dans ce monde.

En France, 25 communautés et mouvements ont commencé à se rencontrer dans près de quarante villes. En Europe, nous sommes 150 mouvements et communautés. C'est une expérience spirituelle et humaine qui nous rassemble autour de l'Evangile par delà nos sensibilités. Ensemble; catholiques, orthodoxes et protestants, nous découvrons ce que veut dire être frères.

C'est pourquoi, dans le sillages des Pères Fondateurs de l'Europe unie, à trois semaines des élections pour un nouveau Parlement, face aux multiples défis d'une planète mondialisée, nous pouvons dire : Une Europe de la fraternité est possible !


Nous l'avons expérimenté et nous voulons le partager avec vous !


Oui, le dynamisme de notre foi commune nous engage dans la cité. Nous voulons donc oeuvrer avec tout homme de bonne volonté au service de la société. Nous voulons travailler pour un monde de justice et de paix, avec des associations et mouvements différents.

Nous voulons poursuivre des expériences de communion, avec courage, audace et discernement, pour transmettre l'espérance qui nous habite.

Osons travailler ensemble dans nos quartiers, dans nos vielles, nos villages, pour qu'ils deviennent des lieux de fraternité.

Citoyens européens, nous voulons faire entendre notre voix et participer à la construction d'une Europe solidaire avec les plus pauvres et ouverte sur le monde.


Nous croyons que cette Europe de la fraternité est une réponse aux défis de notre temps


Le 16 mai 2009 à Paris.



Eh bien je vais vous le dire : je préfère la fraternité à la haine, le partage à l'égoïsme, le respect aux injures. Je crois que tout ce qui unit fait grandir l'humanité ; tout ce qui divise nourrit l'appétit de puissance et abaissent l'humanité.


Olibrius, lecteur fidèle et attentif, à qui je vais répondre dans un billet, me trouve un peu naïf. J'accepte de l'être ; car le Royaume appartient aux coeurs d'enfant, et moi, j'ai envie de rentrer dans ce Royaume.

vendredi 15 mai 2009

Quelques chiffres intéressants

Il y a des légendes qui ont la vie dure. Voici des chiffres, publiés par Jacques MARSEILLE dans Le Point (livraison du 14 mai 2009 ; N°1913), qui donnent à réfléchir en une période où tout le monde parle du pouvoir d'achat, des salaires insuffisants et des avantages indus consentis aux grands dirigeants.
En 2007, le salaire mensuel moyen, net de tous prélèvements, et pour un poste à temps complet, était, dans le secteur privé et semi-public, de 1.997 euros. Ce sont les femmes ouvrières qui étaient les moins bien payées (1.239 euros), et les cadres masculins qui étaient les mieux payés (4.276 euros). Le rapport entre ce salaire et celui de l'ouvrière est de 3,4 (avant impôts). La France est, à cet égard, l'un des pays où les inégalités moyennes entre salariés sont les plus faibles. Autre chiffre, et des plus parlants, le salaire net médian (50 % des salariés gagnent moins que lui ; 50 % gagnent plus) est de 1.594 euros.
Bien entendu, ces chiffres n'incluent pas les revenus non salariaux : prestations sociales, chèques restaurants, réductions de toutes sortes sur sur toutes sortes de produits négociées par les comités d'entreprise, chèques vacances, etc. qui viennent abonder les revenus réels des ménages.
Il y a donc un immense écart entre la perception que les Français, ces maniaques de l'égalité, ont de la réalité et la réalité elle-même. Bien entendu, les chiffres présentés ici sont des moyennes, et il est difficile d'affirmer que lorsque l'on a un pied plongé dans l'eau glacée et l'autre dans l'eau bouillante, on a les pieds dans une eau qui fait en moyenne 50°C. Il faut se garder de trop tirer les conclusions, mais tout de même la situation n'est pas aussi catastrophique que le prétendent les responsables syndicaux et les politiques de l'opposition qui nous bassinent avec l'accroissement des inégalités et la paupérisation. Mais attention, cela n'exonère pas les grossium du CAC 40 de leurs responsabilités dans l'emprise qu'a sur l'opinion publique cette croyance. Moins de bonus, moins d'arrogance, moins de stock-options, plus de responsabilité, et des salaires qui correspondent réellement aux services rendus permettraient plus d'objectivité de juigement de la part de nos concitoyens.
Autres chiffres, commentés toujours par Jacques MARSEILLE. En 1981, 82 % des Français se disaient fiers d'être français ; ils sont aujourd'hui 90 % soit une augmentation de 8 %. Cette fierté traverse toutes les générations (18-29 ans : 88 % ; 45-59 ans : 87 %), toutes les couches de la société (non-diplômés : 91 % ; diplômés : 87 %), toutes les opinions politiques (gauche : 87 % ; droite 95 %). Plus encore, nous sommes seulement 43 % à penser que pour être français, il faut avoir des origines françaises, mais 98 % à penser que pour être français, il d'abord respecter la loi et les institutions françaises et 96 % à penser qu'il faut être capable de parler français.
En outre, en 1981, 19 % des Français se disaient très heureux ; ils sont aujourd'hui 34 %. Globalement, 90 % des Français se disent très heureux ou assez heureux aujourd'hui.
Il convient de moduler ces chiffres paradoxaux par un autre pourcentage qui laisse rêveur : 2 % des Français se disent très satisfaits du fonctionnement de la démocratie (ils étaient 4 % en 1981) et 37 % assez satisfaits (41 % en 1981).
Voilà du grain à moudre pour les responsables politiques ou économiques. Puisqu'ils sont si savants, il serait bon qu'ils donnassent quelques éléments de solution à cet étrange paradoxe qui veut que nous soyons si heureux dans un pays apparemment si peu démocratique.

mercredi 13 mai 2009

Avant que la culture ne meurt...

Vous me direz que je suis saisi par un prurit d'écriture. Mais je n'ai pu pour diverses raisons produire mon billet quasi quotidien, et il faut bien que je me rattrape un peu.


Quand on a vu les peintures chinoises du Musée CERNUSCHI, les icônes du MONT-ATHOS au Petit Palais, les primitifs italiens de la collection ALTENBOURG au Musée JACQUEMART-ANDRE, on ne peut qu'être saisi par la laideur, la vulgarité, l'obscénité de l'art contemporain. Marc FUMAROLI, l'auteur de L'Etat culturel a produit un article remarquable dans le Journal La Croix du vendredi 24 avril ; intitulé Une débâcle prévisible, il fustige les tendances actuelles de la "Culture". Jean CLAIR, juste au-dessous de cet article-là, publie des réflexions consonantes dans un autre article dont le titre dit tout : Du sacré au trivial. Nos deux immortels remettent à leur place les cultureux, et autres bateleurs de la culture de foire.
Marc FUMAROLI :
[Le] beau mot antique [de culture], à la fois paysan et noble, aussi fécond et fertile que le mot agriculture s'est trouvé métamorphosé et stérilisé depuis les années 1970 en un vaste sac, où l'on a enfourné tags, rok, teknival, sexe et drogues ("la culture jeune"), sports industrialisés et commercialisés ("culture football"), moeurs de coterie ou d'ethnie délocalisée ("culture gay", "culture room", "culture de banlieue"), une "fureur de lire" orchestrée publicitairement dans tout le pays pour inviter en vain les alcooliques des écrans à ouvrir un livre ou un journal, une "France Culture" nivelée "aux problèmes de société" et restreinte aux "débats de société", voire, pour faire bonne mesure, quelques louchées de cette "culture distinction", plus ou moins odieuse, dont une pseudo-élite s'accapare et par où elle prétend se reconnaître entre soi, à force d'allusions à Saint-Simon, à Flaubert, à Proust, à Seurat, à Mozart ou de références mystérieuses aux grands noms exotiques de "l'art contemporain", Warhol, Koons, Hirts, Kohlaas.
Jean CLAIR :
Aujourd'hui, [...], on est tombé avec le "culturel" au niveau des "latrines", des "déchets" selon Thomas MANN : Jeff KOONS, Damian HIRST, Jan FABRE, SERRANO et son Piss Christ, et avec eux son compagnon accoutumé de l'excrément, son double sans odeur : l'or, la spéculation, les ventes aux enchères faramineuses, obscènes.
Et c'est ainsi que, peu à peu, se sont différenciées l'une de l'autre, la "haute culture" et la "basse culture". Le peuple, le noble peuple, s'est vu interdire l'accès à la pensée des génies, à la musique des grands compositeurs, aux tableaux des plus grands maîtres. Pour faire de l'argent, les puissances financières lui ont proposé des oeuvres musicales de pacotilles, des films misérables, des manifestations de foule complètement hystériques, et ont réservé aux nouveaux riches d'horribles tableaux où le sacrilège se prend pour de l'innovation, l'obscène pour de l'audace, et la nullité des savoir-faires picturaux, musicaux ou littéraires pour le minimalisme des ascètes de l'esprit. Pendant ce temps, quelques bénédictins passionnés continuent de hanter les bibliothèques, d'accumuler des savoirs qui ne serviront qu'à des élites intellectuelles coupées des forces vives du peuple français, qui fut, dit-on, le plus spirituel du monde.
Voilà où mène l'idéologie de la culture pour tous, diffusée par les officines culturelles. A l'imposture. Mais le désir du beau n'est pas l'apanage des bourgeois ou des aristocrates ; il traverse toutes les couches de la société. Et certaines d'entre elles, au nom de cette idéologie, se voit barrer l'accès aux plus hautes activités de l'esprit, par le mépris que manifestent nombre de diffuseurs de la culture vis-à-vis d'elles. Mais je connais des bergers qui, dans la montagne de SISTERON, goûtent mieux la poésie de GIONO que les baveurs de France Culture, et parlent en philosophes mieux que monsieur ONFRAY, et aussi bien que monsieur COMTE-SPONVILLE.
Robert, Fernande qui n'êtes plus, Petit et Grand Gilbert, et tant d'autres, j'ai appris de vous bien des secrets voilées jalousement par les étoiles aux yeux des "savants", j'ai goûté sans que vous passiez par les mots, ce qu'est la fraternité et le respect, l'amour du beau et du silence. Et près de vous, je suis devenu plus humain et plus vrai.

Lynchage médiatique (bis)

Dans un billet intitulé "lynchage médiatique", je faisais il y a quelques jours une allusion sibylline aux réactions de Benoît XVI après qu'il eut été abreuvé de railleries, d'injures et de critiques par les médias pour la levée d'excommunication des prélats intégristes, dont un négationiste. Je ne veux pas vous laisser plus longtemps dans l'ignorance de ses réactions. Elles éclairent parfaitement ce que dit Jean-Claude GUILLEBAUD de ce phénomène vieux comme le monde, né avec les sociétés humaines, et qui a pris aujourd'hui le masque joli et la plume vengeresse de "journalistes" en folie, mais qui n'est jamais qu'un crime rituel destiné à ramener l'unanimité dans des sociétés traversés par les violences mimétiques. Vous noterez que le texte de GUILLEBAUD cite le pape comme l'un des Boucs Émissaires possibles, bien qu'il ait été écrit il y a plusieurs années.
Je dois à un ami de Strasbourg copie de l'article publié dans le Magazine "Présent" du 18 mars 2009, intitulé "Retour sur la lettre de Benoît XVI aux Évêques" et signé par Jacques TREMOLET de VILLERS ; il contient justement les propos du Pape, dont personne ou presque n'a parlé :
On a l'impression que notre société a besoin au moins d'un groupe auquel on ne peut réserver aucune tolérance, contre lequel on peut tranquillement se jeter avec haine. Et si quelqu'un ose s'approcher de lui - en l'occurrence le Pape - il perd lui-même le droit à la tolérance et peut aussi être traité avec haine, sans crainte ni retenue !
On aura reconnu une analyse analogue à celle que fait René GIRARD dans toute son oeuvre, et qui met en évidence le rôle qu'a joué le Bouc Émissaire dans l'édification des sociétés humaines.
Mes amis juifs, eux, m'ont consolé ajoute le pape. Ce qui est la stricte vérité.
Comble du paradoxe, avec force et douceur, Benoît XVI a donné à René GIRARD, mon cher René GIRARD, une leçon ; oui, le père génial de la théorie du Bouc Émissaire s'est laissé aller à signer un texte scandaleux rédigé contre le Pontife ; j'en suis très chagriné, car je ne fais pas mystère de mon admiration pour ce philosophe et anthropologue. Je lui dois d'avoir été acheminé vers la Lumière, car il en est ainsi : la vérité est contraignante pour l'esprit. Et René GIRARD m'a fait découvrir le dévoilement que Jésus a opéré de toute l'histoire du monde, des sociétés et des civilisations.
Ah, cher René, on ne peut que vous pardonner... Mais ne recommencez pas !

Eblouissement

Si par un très grand hasard j'ai quelques lecteurs parisiens, je les encourage à aller, toute affaire cessante, au Musée CERNUSCHI. Il s'y tient une exposition temporaire consacrée à la peinture chinoise. Les oeuvres exposées viennent du fonds du Musée lui-même, et certaines d'entre elles ont été restaurées avec un soin prodigieux. Vous y trouverez des oeuvres produites sur une durée de six siècles, des MING au QING.
D'abord des paysages sur des rouleaux verticaux ou sur des éventails : prodigieux de finesse, de raffinement, de sérénité. Ce sont en général des monochromes, dans les noirs ou les bleus foncés, avec cette disposition si particulière aux peintures chinoises, celle d'une perspective cavalière. Les feuilles des bambous, des érables, les aiguilles des pins, les troncs torturés, les brouillards qui s'étendent entre les plans superposés (justement parce que les peintres chinois ne connaissaient pas les règles occidentales de la perspective) sont rendus avec une force et en même temps une harmonie qui portent tout simplement à la contemplation. Les grands artistes chinois jouent du vide et des blancs avec une virtuosité qui laisse pantois. Les monochromes sont propres à l'école du Sud. L'école du Nord produit des paysages colorés. L'un d'eux est reproduit sur la page de couverture du catalogue. Des verts et des bleus superbes.
Sont exposés aussi des tableaux de personnages, dont un, juste à l'entrée de l'exposition a été merveilleusement restauré. Ce qui est stupéfiant, dans ce cas, c'est la fermeté du trait ; il a jailli d'un seul mouvement, mais l'on devine, on sent que le geste a été longuement réfléchi avant d'être exécuté. Certains tableaux de personnages en pied, dons d'Henri CERNUSCHI lui-même, sont incroyablement expressifs.
Et puis il y a des tableaux de peintres chinois modernes et contemporains. Ce qui me frappent dans ces oeuvres prodigieuses, c'est la persistance d'une tradition artistique multiséculaire jointe à une modernité, soit des sujets (comme une piéta ou des nus), soit du style (comme ces fleurs de magnolias ou ces pivoines).
Ah, Chine, Orient lointain et mystérieux, Orient profond et multiple, que tu es chère à mon coeur. L'exposition qui est consacrée aux oeuvres des artistes à qui tu as donné le jour me laisse sur un éblouissement intérieur, et une extrême jubilation pour tant de beauté, une beauté qui est comme une prière au Dieu inconnu.

Réforme hospitalière

Il faut avoir un cerveau d'énarque pour imaginer qu'un établissement hospitalier puisse être dirigé par un directeur tout puissant, purement administrateur, et donc purement administratif et, disons le mot, purement bureaucratique. Le Professeur MARESCAUX - que je connais et dont j'admire grandement les qualités scientifiques et humaines - a heureusement proposé de modifier cet aspect inacceptable de la réforme proposée par madame BACHELOT, par la création d'un directoire comprenant des médecins.
Ce qui était inacceptable par le corps médical peut se résumer en quelques propositions très simples : un hôpital a pour fonction de soigner les malades ; les personnes qualifiées au premier chef pour ce faire sont les médecins et les infirmières, aidées des pharmaciens et personnels paramédicaux pour la mise en oeuvre des traitements, en aucun cas cette fonction ne peut être assurée par des administratifs. Ces personnels soignants sont également responsables de la qualité de ces soins ce que ne sont pas les administratifs. Il est donc parfaitement inconcevable de séparer la responsabilité de l'autorité ; il est inconcevable que des décisions prises par un administratif puisse indirectement engager la responsabilité du personnel médical. Je m'étonne qu'aucun médecin hospitalier n'ait mis en avant cette raison de bon sens. Bien entendu, il ne s'agit pas de nier l'utilité de l'administration hospitalière ; elle est nécessaire pour assurer la logistique (entretien des bâtiments, confection et distribution des repas aux malades, investissements en matériels divers), domaine qui ne relève pas de la compétence des personnels soignants. Mais elle vient en appui, et non en première ligne.
Un hôpital ne peut être géré comme une entreprise ; c'est l'évidence même. Il ne s'ensuit pas pour autant qu'il peut jeter par les fenêtres l'argent de la sécurité sociale et des contribuables, en le dissipant dans des dépenses inutiles, somptuaires, ou redondantes (multiplicité des demandes d'un même examen ou d'une même analyse, quand un patient change de service, par exemple ; achats intempestifs de véhicules ; travaux coûteux entrepris dans les appartements des Directeurs ; figurez-vous que ce pluriel est parfaitement justifié ; je connais un très grand CHU qui ne compte pas moins de 24 personnes ayant le titre de Directeur, à quoi s'ajoute le Directeur Général).
Je suis en revanche absolument interloqué quand j'apprends que l'on supprime 20 postes d'infirmières dans le service d'Onco-hématologie du Groupe hospitalier Pité-Salpétrière, et 40, dans le service de Neurologie de ce même établissement. Il faut affirmer ici avec force que les économies en frais de personnels doivent être réalisées sur d'autres postes que sur ceux du personnel soignant. Et c'est probablement du côté de l'administration hospitalière qu'il faut chercher (cf. mes 24 Directeurs de tout à l'heure). La complexité des statuts est également une source de dépenses inutiles. Un Professeur des Universités-Praticien Hospitalier relève, pour une partie de ses fonctions, du Ministère des Universités, et pour l'autre du Ministère de la Santé. Viennent se mêler à tout ça, l'Agence Régionale d'Hospitalisation, le Conseil d'Administration, la Faculté de Médecine, l'Université. Toutes ces structures ont leur mot à dire sur le personnel. Quand un CHU héberge une ou des équipes de l'INSERM et/ou du CNRS, les administrations centrales de ces organismes interviennent aussi. Bref, c'est un cafouillage inextricable.
J'ai été responsable pendant près de trois ans, en tant que Vice-Président de la défunte Université Louis Pasteur de Strasbourg, des locaux de l'Université. C'était absolument invraisemblable. Certains bâtiments universitaires étaient construits dans l'enceinte de l'hôpital. Leur statut relevait d'une convention signée en 1929 ! Un bâtiment, par exemple, avait un balcon qui dépassait de la façade, à l'aplomb d'un terrain appartenant à l'hôpital, alors que le reste de l'emprise du bâtiment était universitaire. Il est temps de simplifier tout cela, et de faire confiance à la négociation locale entre les partenaires impliqués pour qu'ils trouvent la solution adaptée au contexte local.
Autre problème : on feint d'ignorer que la France dispose d'une surcapacité de lits hospitaliers. Mais chaque petite ou moyenne ville défend âprement son pré-carré et veut conserver un hôpital polyvalent, souvent vétuste ou sous-équipé, alors qu'il serait tellement plus simple d'aller vers une certaine spécialisation (permettant des économies d'échelle sans affecter le personnel), ou même, de supprimer purement et simplement des hôpitaux qui n'ont pas le plateau technique et le personnel suffisant pour remplir correctement leur fonction. Le personnel dégagé par cette restructuration pourrait être avantageusement réaffecté. Bien entendu, tout cela suppose des discussion locales, et éventuellement des dédommagements. On peut concevoir qu'une infirmière ou un médecin hospitalier qui ont construit une maison sur le lieu même de leur travail éprouvent quelques résistances à changer de lieu d'affectation. Cela mérite d'être étudié. Pourquoi ne pas imaginer des systèmes d'hôpitaux itinérants, faits de camions aménagés de manière idoine, et sillonnant périodiquement un territoire donné pour assurer un service de policlinique, et une orientation des cas les plus délicats vers des hôpitaux spécialisés ou des CHU ?
On comprendra que la question me tient à coeur. J'ai collaboré des années durant avec des collègues médecins, et j'ai publié avec nombre d'entre eux. Je comptais parmi eux des amis intimes. Je sais leur travail harassant et leur conscience professionnelle : ils méritent mieux que la gouvernance par un directeur unique, uniquement préoccupé de gestion.

samedi 9 mai 2009

Vous avez dit bizarre ?

Les couloirs et les rames du Métro parisien sont envahis de leur publicité : Acadomia, Complétude, Keepschool, Profadom, Ionis, etc.. Rien que dans les pages jaunes sur Paris, j'ai compté 189 adresses de ces Instituts qui vendent du soutien scolaire à domicile. L'une des plus sérieuses garanties qu'apportent ces maisons ? Elles emploient des enseignants en exercice... Elles sont pignon sur rue. Et leur devanture ne transpire pas vraiment la misère.
Arrêtez-moi si je me trompe. Les mesures prises par monsieur DARCOS n'incluaient-elles pas justement des mesures de soutien individualisés pour des élèves en difficulté ? Pourquoi y a-t-il eu une telle levée de boucliers ?
Fidèle à une méthode que je trouve moralement inattaquable, je vais essayer de trouver à cette résistance plusieurs explications.
L'une d'elle pourrait être due à la croyance, non fondée, qu'il suffirait d'augmenter le nombre d'enseignants pour accroître l'efficacité de l'enseignement. Il n'en hélas rien, car les difficultés scolaires ne tiennent pas exclusivement à l'insuffisance du temps qu'un enseignant peut consacrer à chacun de ses élèves. A cet égard, le cas du primaire est très différent de celui du secondaire. Il se pourrait bien, en effet, que diminuer la taille de l'effectif en primaire puisse améliorer les apprentissages de base ; rien de tel dans le secondaire. En réalité, et on le sait, les difficultés scolaires sont étroitement liées (a) au statut socio-économique des familles, (b) à l'abandon de tout souci éducatif de la part de nombreux parents (qui du reste peuvent appartenir à des couches sociales aisées), (c) aux valeurs véhiculées par la société à travers ses médias, sa publicité, les loisirs qu'elle propose.
Mais tout de même, si ces instituts de soutien scolaire à domicile se multiplient et trouvent une clientèle, il faut bien que nous aboutissions à une triple conclusion : (a) le système scolaire ne permet plus à nos écoliers, collégiens et lycéens d'atteindre le niveau requis pour passer avec succès les examens ; (b) le soutien scolaire à domicile favorise les familles qui peuvent payer, souvent fort cher, une aide aux apprentissages que ne transmet plus l'école (au sens large) ; c'est donc une école à deux vitesses qui est en train de s'installer. Au lieu de critiquer l'enseignement libre (qualificatif plus adapté que privé) sous contrat, qui - je peux en témoigner - se décarcasse dans un prodige de dévouement et d'innovation pour traiter les difficultés scolaires, au lieu de bouleverser par des grèves et d'incessantes récriminations, le fonctionnement de nombreux établissements publics, dirigés souvent par des Directeurs, des Principaux ou des Proviseurs de tout premier plan qui - je peux aussi en témoigner - agissent de leur propre chef pour faire reculer au prix d'efforts inouïs l'ignorance, on ferait mieux de chercher les raisons qui poussent les parents à avoir recours au soutien scolaire à domicile ; on les trouverait sans aucun doute, non pas dans les personnes, mais dans le système éducatif français, pur produit de l'idéologie égalitariste, des utopies de monsieur BOURDIEU, et des rêveries de Jean-Jacques ; (c) si ces instituts de soutien scolaire à domicile ont recours à des enseignants en exercice, il serait intéressant de savoir d'où viennent ces enseignants. J'ai mon idée, et je comprends pourquoi les syndicats d'enseignants ne se sont jamais élevés contre ces coûteuses béquilles éducatives.
Il me paraît, du reste, tout à fait légitime que des professeurs qui enseignent en dehors de leurs heures de service soient rétribués. Ce qui me paraît contradictoire c'est la cohabitation de deux systèmes, une cohabitation qui ne semble gêner personne, mais qui souligne cruellement la faillite de notre éducation nationale.

jeudi 7 mai 2009

Au hasard de mes lectures

J'ai déjà eu l'occasion de dire combien les excuses présentées par madame ROYAL aux Africains pour les propos du Président SARKOZY tenus à DAKAR (Les Africains ne sont PRESQUE [un "presque" omis par madame ROYAL] pas encore rentrés dans l'histoire) étaient intellectuellement infondés. Ils n'impliquaient pas en effet, que les Africains n'eussent point de passé, mais simplement qu'en l'absence d'écriture, avec laquelle naît l'histoire, ce passé ne pouvait être saisi, à moins que des explorateurs européens ne fixent par écrit les récits de ce qu'ils avaient vu et entendu pendant leur voyage en Afrique.
Je ne pensais pas que mes lectures viendraient si rapidement conforter mes propos. J'achève l'étude d'un livre que nous devons à Charles-F. JEAN, La littérature des Babyloniens et des Assyriens, Librairie Orientaliste Paul Geuthner, Paris, 1924. Le premier paragraphe du Chapitre I commence ainsi : Au moment où commence l'histoire, depuis les bords du Nil jusqu'au lointain Elam, nous nous trouvons en présence d'une civilisation vieille de longs siècles, civilisation très brillante, vers le milieu du troisième millénaire av. J.-C., en Basse Mésopotamie, dans le bassin de la mer Égée et en Égypte, toute primitive au contraire en Canaan. L'auteur veut dire par là que nous ne pouvons connaître l'histoire de ces civilisations brillantes qu'au moment où elles inventent l'écriture : hiéroglyphe en Égypte, cunéiformes en Mésopotamie, signes syllabiques avec les linéaires A et B dont le déchiffrement est tout récent (on ne doit à VENTRIS). Charles-F. JEAN indique bien par là qu'une civilisation peut être brillante sans pour autant être encore rentrée dans l'histoire, faute d'avoir une écriture pour fixer par écrit les événements qui la concernent. Il en va exactement ainsi pour l'Afrique. Elle a pu connaître, et elle a connu, de brillantes civilisations dont nous pouvons saisir un peu l'éclat par les rares témoignages archéologiques qu'elles ont laissés, mais dont nous ne connaîtront jamais l'histoire, à moins qu'elle n'ait été fixé par écrit grâce à la curiosité de visiteurs européens. C'est ainsi que les Béninois ne connaîtraient rien de leur histoire, ou très peu, si elle n'avait été écrite par Archibald DALZEL, un explorateur anglais qui en avait recueilli les récits lors de sa visite au Roi du Dahomey, et les avait écrit dans son ouvrage The history of Dahomey, Biblioth. Brit., Mai 1796, Volume II, n°1, page 87.
Madame ROYAL, née à DAKAR en raison des hasards de la colonisation (et qui se sert indécemment de cette coïncidence pour présenter des excuses indignes à des peuples qui sont plus offensés par cette initiative que par les fidèles récits de visiteurs honnêtes et scrupuleux) aurait mieux fait d'inciter les chercheurs sénégalais à recueillir les traditions orales, mythiques, légendaires, ou historiques du pays, lesquelles sont en train de se perdre faute de trouver une oreille attentive et des mains diligentes à écrire ces monuments de mémoire orale. Madame ROYAL est arrogante, car elle plaque sur des civilisations très anciennes, très sages, des schémas de pensée européens. Ne pas être rentré dans l'histoire n'est pas un signe d'arriération, mais l'expression d'un mode de vie différent, comme l'a si bien dit Charles-F. JEAN à propos des Assyriens et des Babyloniens.
Je l'ai déjà dit, je ne connais pas les civilisations africaines. Le peu qui est venu à ma connaissance m'indique combien les peuples africains ont un sens de la relation, un sens de l'humain, un respect de la famille et de la nature que nous n'avons jamais connus. Et surtout, avant qu'ils ne nous rencontrent, ils n'étaient ni avides de cueillir un fruit dont ils ne sentaient pas l'utilité, ni cupides. Hommage leur soit rendu pour cette leçon de sagesse antique.

mercredi 6 mai 2009

L'essence criminelle du lynchage médiatique

En continuant de ranger mes livres dans le box où je stocke provisoirement une partie d'entre eux, je retrouve avec joie un livre de Jean-Claude GUILLEBAUD, intitulé La force de conviction. Il y au chapitre 7 de ce livre ("La grand-messe médiatique") une analyse du phénomène contemporain des médias qui est époustouflante. J'aurai l'occasion de revenir dessus. Elle rejoint en de très nombreux points les réflexions de Simone WEIL, de Gustave THIBON, de René GIRARD, de Marcel DE CORTE.
Pour aujourd'hui, je me bornerai à vous donner le texte d'un encart que Jean-Claude GUILLEBAUD intitule Lynchage et foule psychologique. J'irai de mon commentaire après vous avoir livré ce passage crucial.
Indiscutablement, la fréquence des lynchages médiatiques s'amplifie. A croire que le désarroi de l'époque et notre quête d'unanimité pacificatrice exigent une consommation sans cesse accrue de victimes propitiatoires. Chaque année, donc, quantité de personnages (coupables ou non) sont symboliquement déchiquetés par l'appareil médiatique : un criminel supposé, un élu, l'auteur d'une gaffe, un homme d'Église, le pape, etc. Dans chaque cas, le même mécanisme, la même structure et le même discours sont à l'oeuvre. Trop souvent, on assimile le lynchage tantôt à je ne sais quelle cruauté intempestive, tantôt à l'impérialisme d'une idéologie ou d'une pensée unique ; tantôt à un ostracisme dont on se sent victime. Or qu'il soit médiatique ou pas, le lynchage, ce n'est pas du tout cela. C'est un mécanisme sacrificiel autrement sérieux.
Et l'auteur compare ce lynchage médiatique à des lynchages réels comme la lapidation. Il conclut :
Seule différence, ce ne sont pas des pierres qui sont lancées mais des mots. Les mécanismes n'en sont pas moins identiques. Il y a bien dans ces ruées confuses et ces meurtres abstraits, un quelque chose qui nous épouvante parce que tressaille en nous une mémoire obscure. Nous y reconnaissons la trace d'une fureur fusionnelle échappant à l'emprise de la raison, une abdication du libre arbitre, une couardise reconnaissable entre toutes parce qu'elle pue le crime.
Cette analyse rejoint tout à fait les trouvailles de René GIRARD sur le phénomène du Bouc Émissaire. On voit bien l'emballement de l'opinion, qui fait que chacun imite son voisin, et le faisant "en foule" s'exonère de toute responsabilité personnelle. Voilà comment une foule violente peut innocenter ses membres des crimes dont elle est l'auteur. Voilà comment on a pu lors du massacre des gardes suisses clouer des enfants de 7 ans sur le cadavre de leur père, ou, pendant les guerres de Vendée, brûler vifs des femmes et des enfants dans des fours à pain, exterminer des familles entières, sans que quiconque ne se sente responsable de ces atrocités, pas même nos livres d'histoire.
Dans le cas des propos de Benoît XVI, dont j'ai abondamment parlé, c'est l'emballement mimétique qui a poussé l'opinion, entraînée par des médias aveugles et irresponsables (cf. ma lettre ouverte à madame Dorothée WERNER) à jeter les pierres des mots à le tête de cet homme qui a très justement réagi en pointant, avec humour et douceur, le phénomène de cristallisation de la hargne collective contre sa personne. J'ai essayé de montrer, scientifiquement, que les propos du pontife étaient parfaitement justifiés. Peine perdue, provisoirement.
Car les faits sont têtus et le réel nous résiste ; l'humanité paiera ses égarements, sans aucun doute. Et ce qui est vrai des désastres écologiques, de l'épuisement des ressources naturelles, de la pollution chimique de l'environnement, est vrai aussi la transmission du virus du SIDA. Ce n'est pas être pessimiste (je pense à Eugénie, une de mes fidèles lectrices), mais lucide que de prévenir avant d'avoir à guérir le très probable inguérissable. Il nous faut donc lutter contre le lynchage médiatique de toute la force de notre raison.