Lue récemment dans l'introduction de Gustave THIBON au livre de Simone WEIL, La pesanteur et la grâce (Plon, Paris, 1947), cette remarque : "Tant que l'homme ne consent pas à devenir rien pour être tout, il a besoin d'idoles. 'L'idolâtrie est une nécessité vitale de caverne' (dit Simone WEIL). Et parmi ces idoles, celle du social, de l'âme collective est la plus puissante et la plus dangereuse. La plupart des péchés se rapportent au social ; ils sont dictés par la soif de paraître et de dominer. Ce n'est pas que Simone WEIL rejette le social comme tel ; elle sait que le milieu, la tradition, etc. constituent des ponts, des 'metaxu' entre la terre et le ciel ; ce qu'elle repousse, c'est la cité totalitaire, symbolisé par le "gros animal" de Platon et la Bête de l'Apocalypse dont la puissance et le prestige usurpent dans l'âme la place de Dieu. Qu'elle se présente sous l'aspect conservateur ou sous l'aspect révolutionnaire, qu'elle consiste à adorer la cité présente ou la cité future, l'idolâtrie du social tend toujours à étouffer et à remplacer la vraie tradition mystique.
Et de citer encore Simone WEIL : "Rome c'est le gros animal athée, matérialiste, n'adorant que soi. Israël, c'est le gros animal religieux. Ni l'un ni l'autre n'est aimable. Le gros animal est toujours répugnant".
Ces réflexions incitent à nous méfier de tous les fondamentalismes, politiques ou religieux, et à chercher ailleurs que dans le politique ou le culte élevé à la hauteur d'un rite social, les raisons de vivre, d'agir et d'aimer. Ces raisons, nous les trouvons dans la réponse personnelle que nous faisons aux questions soulevées par la vie. L. WITTGENSTEIN disait quelque chose de juste à ce sujet : "Il y a assurément de l'indicible, il se montre, c'est le Mystique" (Tractatus logico-philosophicus. Gallimard, Paris, 1993). Sans le savoir, il désignait et l'oeuvre et la personne de Simone WEIL.