Le massacre de la Tour de la Glacière en AVIGNON est consécutif au
lynchage de LESCUYER, un ardent «patriote», d’origine
picarde, qui avait dans l’idée de piller le trésor des églises d’AVIGNON, ce qui n'était pas du goût de la population. Le
récit que MICHELET fait de ce massacre est celui d’un
esprit partisan (il ne nomme aucune des victimes, ni leur origine sociale, s'étend longuement sur les coups portés à LESCUYER mais ne dit rien de ceux que l'on a infligé aux pauvres massacrés), et il semble excuser l’acharnement et la barbarie des
massacreurs en les mettant au compte d’un breuvage qu’on leur aurait fait boire
et qui les aurait rendus furieux. C’est une légende. Rien ne permet de vérifier
ce fait. Voici le récit de Gustave GAUTHEROT qui me paraît autrement argumenté
que le roman de MICHELET lequel est historien comme moi je suis camerlingue au
Vatican ! Du reste, en sa faveur, il convient de souligner que GAUTHEROT parle de l'assassinat de LESCUYER, sans oublier les détails atroces qui l'accompagnèrent.
Nous sommes donc au Palais des Papes en cet automne 1791.
"Dans
le vestibule, s'ouvre à mi-corps, une ouverture semblable à la gueule d'un four
: par-là, on aperçoit de nouveau l'intérieur de la tour irrégulière; par là,
dans ce gouffre seront précipités, dans la nuit du 16 au 17 octobre 1791,
quatre-vingts victimes, — car c'est la Tour de la Glacière. Quelles étaient ces
victimes ? Sur les soixante cadavres, — quarante-sept d'hommes et treize de
femmes — qui purent être identifiés dans la suite, citons trois officiers
municipaux, « patriotes », mais modérés; le moulinier en soie GIRARD;
l'architecte LAMY; le supérieur de l'Oratoire MOUVANS ; le curé de
Saint-Symphorien, NOLHAC; deux « notables », GAUDIBERT et CHAPUIS, qui étaient
l'un cordonnier et l'autre menuisier; l'imprimeur NIEL fils et sa mère; le
libraire NIEL, et son fils l'abbé; la femme de l'apothicaire CROZET. Tous les
autres étaient de très petites gens : cordonnier, sellier, moulinier et fileur
de soie, boulanger, tonnelier, maréchal-ferrant, « tueur de cochons », paysans,
manœuvre, « échappé des galères », couturières, dévideuse, lavandière. […].
JOURDAN et son Conseil siégeaient dans les beaux appartements du Vice-Légat.
Des individus armés de fusils, de pistolets, de sabres, de coutelas, de haches,
de barres de fer, occupaient la conciergerie, la grande cour du Palais, la
galerie découverte, les corridors intérieurs. Des femmes, la torche à la main,
éclairaient les opérations; les coups meurtriers, les cris et les râles des
victimes, les actes dont la sinistre ignominie interdit la description, les
faisaient rire aux éclats. Au milieu de la prison, on immolait les condamnés
tout comme les septembriseurs parisiens de 1792 immolèrent ceux de l'église des
CARMES à leur sortie dans le jardin. On leur arrachait leurs objets de valeur;
on dépouillait les femmes, surtout les plus jeunes... On traînait les cadavres
ou les mourants en haut du rude escalier en faisant sonner leurs têtes sur les
marches de pierre ; puis on les précipitait, par la basse et sombre ouverture,
dans la Tour de la Glacière. Au fond de cette tour, les cadavres de l'oratorien
MOUVANS, dont nous avons dit les sentiments, et de l’ex-jésuite NOLHAC, curé
octogénaire de St-Symphorien, furent rejoints par ceux d'un jeune homme de
quinze ans (Dominique JEAN), du fils NIEL, qui se débattait encore au fond de
la tour sur le tas de cadavres et qu'on dut achever — par pitié ! — avec une
grosse pierre, et de sa mère, Madame NIEL. Cette femme de cinquante ans,
remarquablement belle encore, aussi énergique que distinguée, remplie
d'indignation pour la dictature jacobine, avait essayé en vain de ramener au
pouvoir l'ancienne municipalité — dont son mari, l'imprimeur, était membre, —
et elle avait correspondu à cet effet avec le Médiateur MULOT. Elle venait
d'assister à l'agonie de son fils lorsque son propre corps fut livré au sadisme
des bourreaux. Les bourreaux étaient environ cinquante : soldats déserteurs,
gendarmes, gardes nationaux, savetiers, taffetassiers, tourneurs, maçons,
charcutiers, orfèvres, portefaix, etc., dirigés par les deux MINVIELLE, le
menuisier DESCOURS fils, le commis LOUBET (aux gages de SABIN TOURNAI), le
cabaretier MOLIN, le boutonnier SALETTE et le major RAYNAUD. On remarquait
parmi eux un enlumineur d'images, BELLEY cadet, âgé de 22 ans, aux cheveux
noirs et crépus, aux yeux noirs et farouches : vêtu d'une veste en cotonnade
rayée blanc et rouge, il avait retroussé jusqu'aux épaules ses manches de
chemises et il était couvert de sang de la tête aux pieds. Il se vantait
d'avoir égorgé de sa main une vingtaine de prisonniers. « Il faut tout faire
périr, avait déclaré le commis de SABIN TOURNAI, car s'il s'en sauvait
quelqu'un, il servirait de témoin ». Et l'abbé BARBE, sorte de grand-prêtre de
cette hécatombe, avait paru la bénir... en donnant du haut de l'escalier de la
Glacière l'absolution à ses propres victimes ! BARBE sera bientôt nommé curé
constitutionnel de Saint-Symphorien, à la place du père NOLHAC. Quand on
abolira le culte, il deviendra employé dans les bureaux du district de VAUCLUSE
et rentrera alors pour jamais dans l'ombre. Après minuit, le « général » JOURDAN,
le « colonel » DUPRAT aîné, le capitaine BOUFFIER (tourneur), le gazetier SABIN
TOURNAI, les orfèvres MARTIN (de Bollène) et RIGUE allèrent réveillonner rue
Bancasse, chez le traiteur J.-B. PEYTAVIN, frère du major. BOUFFIER tenait
encore à la main un sabre nu et sanglant ; MARTIN était tout rouge de sang; RIGUE,
présentant son fusil brisé, raconta l'avoir rompu sur la tête de plusieurs
prisonniers, dont la tête était bien dure. « A nous la victoire ! » criaient en
chantant JOURDAN, DUPRAT, TOURNAI et les autres. Comme BOUFFIER, était sorti,
rentrait avec trois ou quatre hommes armés de sabres et de fusils, il annonça
que la Ratapiole, — la pauvre femme du portefaix, — vivait encore. « Qu'on
aille l'expédier ! » ordonna JOURDAN, entre la soupe au fromage et le bœuf à la
mode. Un soldat observa qu'elle était enceinte: « Enceinte ou non, répondit JOURDAN,
il faut qu'elle y passe ». On mangea, on ribota, on s'esclaffa jusqu'à deux
heures du matin. Le traiteur, de sa cuisine, entendait souvent le refrain : «A
nous la victoire» "
NB : JOURDAN
a été guillotiné quelques années plus tard et il est mort en lâche.
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