J'ai passé trois jours délicieux chez mon jeune frère. Il possède une jolie longère dans le Gâtinais et m'avait invité, ainsi que notre jeune soeur, pour le week-end. Mon frère est pour moi plus qu'un frère, c'est un ami, "qui me connaît mieux que moi-même et qui pourtant m'aime" (jolie définition de l'amitié dont l'auteur hélas m'est inconnu). C'est peu de dire que tout nous oppose. Et cette différence dans les idées, et les valeurs qui nous sont chères, fait aussi notre ciment. Un ciment bouillonnant, pétillant, corruscant. Un amour fraternel sans borne ni mesure.
Grande discussion, hier, sur l'obscurantisme de l'Église catholique qui, selon mon frère, a toujours été contre la science. Et de me lancer à la tête Galilée, et l'opposition de l'Église au Darwinisme, entre autre. Cette accusation me paraît être marquée par un vice originel du jugement historique. Avant d'y venir, je voudrais simplement rappeler ici les remarquables travaux du Père MERSENNE, et sa correspondance suivie avec Descartes, Pascal, Fermat, Toricelli. Il avait un cabinet de physique et fut le père de la physique quantitative (dit le dictionnaire ROBERT auquel je me réfère, faute de pouvoir trouver rapidement des sources plus complètes). Il étudia la doctrine de Galilée sur la "chute des graves", étudia le mouvement du pendule dont il établit l'équation, se servit de ce dernier pour déterminer l'intensité de la pesanteur, et fit de remarquables travaux d'accoustique. A peu près au même moment, le Père RICCIOLI, en Italie, établissait avec GRIMALDI, la carte de la Lune, et un peu plus tard, Athanasius KIRCHER établit une grammaire de la langue copte qui fait encore autorité, même si ses tentatives de déchiffrement des hiéroglyphes demeurèrent sans lendemain, car viciées dès le début par des présupposés erronés. Comment ne pas parler de Matteo RICCI et des Jésuites établis en Chine qui étudièrent l'un, la langue chinoise (l'Institut Matteo RICCI a publié il y a quelques années un dictionnaire chinois qui renferme 144.000 idéogrammes, une somme scientifique considérable !), les autres développèrent auprès de l'Empereur des connaissances astronomiques remarquables et créèrent à PÉKIN un observatoire. Plus près de nous, un jésuite, TEILHARD de CHARDIN fut d'abord un paléontologue de haute volée, avant de développer sa théorie sur la convergence de l'évolution, de la matière vers l'esprit et le point oméga. Il faudrait parler du Père WIEGER qui, en Chine, recueillit nombre de documents littéraires chinois qu'il publia au début du vingtième siècle (j'en possède une grande partie dans ma bibliothèque). Il faut rappeler que c'est le chanoine Georges LEMAIRE qui, le premier, deux ans avant HUBBLE, exposa la théorie du Big Bang. Il était professeur d'astrophysique et de physique à l'Université de LOUVAIN. Dire que l'Église s'est désintéressée de la science ou a été contre me paraît expéditif.
Cet exposé n'est pas exhaustif, on s'en doute. Il est destiné à montrer à mon frère que sa critique sur l'obscurantisme de l'Église et son refus de la science est sans doute un peu trop globale (même s'il est vrai que la théorie héliocentrique du chanoine COPERNIC fut dans un premier temps condamnée par le pape Paul VI comme contraire aux écritures, et qu'elle eût été reprise par GALILÉE avec la condamnation que l'on sait).
Il a fallu attendre la publication d'une encyclique remarquable (Divino afflante spiritu), par Pie XII, pendant seconde guerre mondiale (1943), pour comprendre la raison profonde ces condamnations qui ont bien existé et qui nous offusquent. Relative aux genres littéraires dans l'écriture sainte, cette encyclique libérait les exégètes du carcan de l'historicité de textes manifestement mythiques ou symboliques, comme celui de la Genèse. Elle venait en son temps et a fait faire à l'exégèse des progrès considérables.
Une comparaison fera comprendre combien il est dangereux de juger avec notre oeil moderne des situations historiquement situées. Tout le monde se souvient des travaux de PASTEUR. Il a fallu à ce grand savant une sagacité extraordinaire pour démonter l'inanité de la théorie de la génération spontanée, à laquelle pourtant des savants comme VAN HELMONT, Justus LIEBIG, ou BECHAMP avaient cru ou croyaient dur comme fer. On en rit aujourd'hui ! Mais on se battit à coup de cannes à l'Académie des Sciences sur cette question là ! Dira-t-on que LIEBIG, un immense chimiste, est un nul ? Dira-t-on que VAN HELMONT, qui attribuait à la fermentation des grains associés à une chemise salle, le tout comprimé dans un récipient, l'apparition des souris, lui qui découvrit le gaz carbonique, distingua les divers gaz constituant l'air, et prouva le rôle des sucs gastriques dans la digestion, oui, dira-t-on qu'il était un demeuré ? Quant à BECHAMP, qui fit de remarquables travaux sur le cycle de l'azote, était-il un obscurantiste ? Si l'on veut comprendre une époque, il me semble qu'il faut d'abord écouter ce que cette époque dit d'elle même. Ainsi il nous devient possible de comprendre des points de vue qui, selon nos critères actuels, sont enfantins, ridicules, insupportables ou absurdes.
On peut, pour terminer, signaler que l'Église catholique, en la personne de Jean-Paul II, a fait un remarquable retour sur elle-même, en déclarant infondée la condamnation de Galilée, et en faisant repentance pour son erreur de jugement. Plus au Ciel que toutes les institutions qui ont porté des condamnations erronées fassent une telle démarche ! On en est loin.