lundi 18 août 2008

A mon frère

J'ai passé trois jours délicieux chez mon jeune frère. Il possède une jolie longère dans le Gâtinais et m'avait invité, ainsi que notre jeune soeur, pour le week-end. Mon frère est pour moi plus qu'un frère, c'est un ami, "qui me connaît mieux que moi-même et qui pourtant m'aime" (jolie définition de l'amitié dont l'auteur hélas m'est inconnu). C'est peu de dire que tout nous oppose. Et cette différence dans les idées, et les valeurs qui nous sont chères, fait aussi notre ciment. Un ciment bouillonnant, pétillant, corruscant. Un amour fraternel sans borne ni mesure.

Grande discussion, hier, sur l'obscurantisme de l'Église catholique qui, selon mon frère, a toujours été contre la science. Et de me lancer à la tête Galilée, et l'opposition de l'Église au Darwinisme, entre autre. Cette accusation me paraît être marquée par un vice originel du jugement historique. Avant d'y venir, je voudrais simplement rappeler ici les remarquables travaux du Père MERSENNE, et sa correspondance suivie avec Descartes, Pascal, Fermat, Toricelli. Il avait un cabinet de physique et fut le père de la physique quantitative (dit le dictionnaire ROBERT auquel je me réfère, faute de pouvoir trouver rapidement des sources plus complètes). Il étudia la doctrine de Galilée sur la "chute des graves", étudia le mouvement du pendule dont il établit l'équation, se servit de ce dernier pour déterminer l'intensité de la pesanteur, et fit de remarquables travaux d'accoustique. A peu près au même moment, le Père RICCIOLI, en Italie, établissait avec GRIMALDI, la carte de la Lune, et un peu plus tard, Athanasius KIRCHER établit une grammaire de la langue copte qui fait encore autorité, même si ses tentatives de déchiffrement des hiéroglyphes demeurèrent sans lendemain, car viciées dès le début par des présupposés erronés. Comment ne pas parler de Matteo RICCI et des Jésuites établis en Chine qui étudièrent l'un, la langue chinoise (l'Institut Matteo RICCI a publié il y a quelques années un dictionnaire chinois qui renferme 144.000 idéogrammes, une somme scientifique considérable !), les autres développèrent auprès de l'Empereur des connaissances astronomiques remarquables et créèrent à PÉKIN un observatoire. Plus près de nous, un jésuite, TEILHARD de CHARDIN fut d'abord un paléontologue de haute volée, avant de développer sa théorie sur la convergence de l'évolution, de la matière vers l'esprit et le point oméga. Il faudrait parler du Père WIEGER qui, en Chine, recueillit nombre de documents littéraires chinois qu'il publia au début du vingtième siècle (j'en possède une grande partie dans ma bibliothèque). Il faut rappeler que c'est le chanoine Georges LEMAIRE qui, le premier, deux ans avant HUBBLE, exposa la théorie du Big Bang. Il était professeur d'astrophysique et de physique à l'Université de LOUVAIN. Dire que l'Église s'est désintéressée de la science ou a été contre me paraît expéditif.
Cet exposé n'est pas exhaustif, on s'en doute. Il est destiné à montrer à mon frère que sa critique sur l'obscurantisme de l'Église et son refus de la science est sans doute un peu trop globale (même s'il est vrai que la théorie héliocentrique du chanoine COPERNIC fut dans un premier temps condamnée par le pape Paul VI comme contraire aux écritures, et qu'elle eût été reprise par GALILÉE avec la condamnation que l'on sait).
Il a fallu attendre la publication d'une encyclique remarquable (Divino afflante spiritu), par Pie XII, pendant seconde guerre mondiale (1943), pour comprendre la raison profonde ces condamnations qui ont bien existé et qui nous offusquent. Relative aux genres littéraires dans l'écriture sainte, cette encyclique libérait les exégètes du carcan de l'historicité de textes manifestement mythiques ou symboliques, comme celui de la Genèse. Elle venait en son temps et a fait faire à l'exégèse des progrès considérables.
Une comparaison fera comprendre combien il est dangereux de juger avec notre oeil moderne des situations historiquement situées. Tout le monde se souvient des travaux de PASTEUR. Il a fallu à ce grand savant une sagacité extraordinaire pour démonter l'inanité de la théorie de la génération spontanée, à laquelle pourtant des savants comme VAN HELMONT, Justus LIEBIG, ou BECHAMP avaient cru ou croyaient dur comme fer. On en rit aujourd'hui ! Mais on se battit à coup de cannes à l'Académie des Sciences sur cette question là ! Dira-t-on que LIEBIG, un immense chimiste, est un nul ? Dira-t-on que VAN HELMONT, qui attribuait à la fermentation des grains associés à une chemise salle, le tout comprimé dans un récipient, l'apparition des souris, lui qui découvrit le gaz carbonique, distingua les divers gaz constituant l'air, et prouva le rôle des sucs gastriques dans la digestion, oui, dira-t-on qu'il était un demeuré ? Quant à BECHAMP, qui fit de remarquables travaux sur le cycle de l'azote, était-il un obscurantiste ? Si l'on veut comprendre une époque, il me semble qu'il faut d'abord écouter ce que cette époque dit d'elle même. Ainsi il nous devient possible de comprendre des points de vue qui, selon nos critères actuels, sont enfantins, ridicules, insupportables ou absurdes.
On peut, pour terminer, signaler que l'Église catholique, en la personne de Jean-Paul II, a fait un remarquable retour sur elle-même, en déclarant infondée la condamnation de Galilée, et en faisant repentance pour son erreur de jugement. Plus au Ciel que toutes les institutions qui ont porté des condamnations erronées fassent une telle démarche ! On en est loin.

4 commentaires:

Roparzh Hemon a dit…

Cher auteur et (presque ...) collègue,

à mon avis votre interprétation de l'encyclique "Divino Afflante Spiritu"
est erronnée. Cette encyclique dit bien des choses, mais je n'y ai rien vu
qui aille dans le sens de ce que vous dites dans le reste de votre billet (peut-être
pouvez faire une citation plus précise?). Bien au contraire :

Le paragraphe 25 réfute l'argument de ceux qui "nous pressent de recourir
à certaine interpretation spirituelle et ``mystique´´ comme ils disent" parce qu'ils trouvent les textes sacrés trop secs, ardus et "historicistes",pour parler comme vous. La réfutation réside dans "les exemples nombreux de ceux qui, méditant sur ces mêmes textes, ont été conduits tout naturellement à un grand amour de Dieu (...) Le sens spirituel n'est certes pas absent de l'Écriture."

Le paragraphe 43 se réjouit que "la confiance en la valeur historique de la Bible, si secouée par tant d'attaques, est aujourd'hui complètement réétablie chez les catholiques ", et par exemple le paragraphe 38 explique que beaucoup de choses qui passaient pour des faussetés historiques dans les textes sacrés n'étaient en réalité que le produit du décalage entre les façons de parler des peuples anciens et de ceux d'aujourd'hui.

Nulle part il n'y a négation de la validité historique du moindre passage des Écritures. Dans un de vos billets précédents, vous parlez du linge de Turin. Vous voulez donc que la résurrection de Jésus soit un fait historique, mais pas la Genèse? C'est aussi arbitraire que l'inverse.

Note : ma critique a été faite à partir de la traduction angalaise de l'encyclique, disponible sur Internet (http://www.vatican.va/holy_father/pius_xii/encyclicals/documents/hf_p-xii_enc_30091943_divino-afflante-spiritu_en.html). J'ignore s'il en existe aussi une version française sur le ouèbe.

Bien cordialement.

Roparzh Hemon a dit…

Autre petit commentaire, qui n'a rien à voir avec le précédent : je ne me suis aperçu que tardivement (aujourd'hui, en fait) que vous aviez répondu à mon commentaire sur "Habiter sa vie (ter)". Je viens d'y rajouter une petite réponse.

Philippe POINDRON a dit…

Cher interlocuteur,

J'avais fait une longue réponse hier soir, et pour des raisons qui tiennent aux mystères profonds de l'informatique, elle n'a point paru. Il me faut donc reprendre cette réponse, en espérant ne rien oublier.

Quand Pie XII parle dela confiance dans le caractère historique de la Bible, il ne veut pas dire que tout est historique. Le reste de l'encyclique le montre bien. D'aileurs le caractère historique de certains livres est amplement confirmé par des sources extérieures (stéle du pharaon Merneptah, obélisque de Salmanasar, Stèle du roi Mesha de Moab, le fameux tunel d'Ezéchias, etc.)
Le § 17 insiste sur les apports inestimables que l'archéologie et les sciences historiques fournissent à l'exégète pour la conaissance des langues, de la littérature, des meours et des cultes anciens ; le § 19 demande à l'exégète d'avoir recours aux langues anciennes des textes originaux qui sont les mieux à même (§ 20) d'exprimer la pensée de l'auteur et ont plus de poids qu'auucune aautre version, même la meilleure. Au § 21, Pie XII insiste sur la nécessaire mise en oeuvre de la méthode critique, dans la ligne des recommandations d'Augustin. Au § 27, Pie XII demande qu'on aille a sens littéral des textes, le seul à même de révéler la pensée de l'auteur. Mais ce sont les § 3 et 35, qui sans les décrire expréssément et pour cause, introduisent à l'étude des genres littéraires des textes bibliques, établis à partir du sens littéral : ainsi, est-il devenu possible de différencier le genre sapientiel, poétique, apocalyptique, prophétique, historique, mythique ou symbolique, hymnique, liturgique, etc. C'est en ce sens que cette encyclique a été véritablement libératrice et a permis aux chrétiens de résoudre un conflit jusque là insoluble entre la foi et la science.
Il n'est donc pas arbitraire de voir dans la Gense un récit mythique, comogonique, et dans les récits évangéliques de la Pasion de Jésus, les traces d'un événement réel, bien situé dans le temps et l'espace. Le Linceul de Turin témoigne d'une manière irreproductible et formelle de l'existence du cadavre d'un homme qui a subi une crucifixion dans les conditios décrites par Saint Jean lequel dit qu'il a vu et qu'il a cru. Il dira dans sa première épitre (si tant est qu'elle soit de sa main et non de celle d'un disicple ou d'une école johannique) qu'il a vu et touché le verbe de vie (Ce que nos yeux ont vu, etc.). Le Linceul n'est pas nécessaire à la Foi. Ce que Jean a vu, c'est un tombeau vide et les linges sépulcraux (un examen critique du texte grec indique que la traduction "posé à part" est un faux sens) dans une disposition qui laisse supposer une sorte d'évaporation du cadavre de Jésus. Mais nous, nous croyons sans avoir vu (et bienheureux sommes-nous !).
Vous êtes très probablement un membre de l'Alma mater. Cela se voit à votre souci de rigueur, de précision, votre recours aux sources. Je prendrai contact privément avec vous, comme indiqué dans l'un de vos commentaire.
Bien amicalement.

Philippe POINDRON

Roparzh Hemon a dit…

Pour reformuler mon objection : vous voyez un rapport entre l'encyclique "Divino Afflante Spiritu" et les condamnations de Copernic et Galilée. Je n'en vois aucun.

Autre chose : je serais bien curieux de savoir ce que vous entendez par récit "mythique". Si on l'oppose à "historique", qu'est-ce que cela veut dire sinon quelque chose qui n'est pas arrivé, sinon un mensonge (pieux peut-être, mais en religion on ne rigole pas avec ces choses-là...)?


P. S : Non, je n'appartiens pas a l'Alma Mater (dont j'ignorais d'ailleurs l'existence avant que vous la mentionniez).