Je faisais hier matin quelques petites courses dans un magasin de bricolage. L'hôtesse de caisse avec qui je discutais tout en réglant mes achats, me disait que depuis la crise, les clients sont devenus hargneux et exigeants.
Il est intéressant de s'interroger sur le pourquoi de cette attitude. Crainte de l'avenir ? Mais quel type de crainte ? Celle de perdre son emploi ? Celle de ne plus pouvoir consommer à volonté ? Celle de ne pouvoir réaliser ses projets ? Inquiétude aux fondements mal connus et qui traduit simplement le mal être des hommes dans une civilisation qui les ignorent délibérément ? Un peu tout cela à la fois, me semble-t-il.
L'argent ne fait pas le bonheur, dit un adage populaire. Cela est vrai pour ceux qui en ont assez pour vivre et ne trouvent pas le sens de la vie dans la consommation frénétique. Il y a, dans cette constatation, deux données absolument liées. Il ne suffit pas d'avoir de quoi vivre : se loger, se nourrir, fonder une famille, éduquer ses enfants, avoir une vie relationnelle et culturelle riche. (Il y a bien de nos contemporains qui ont plus que cela et qui pourtant ne cessent de courir après l'argent qu'ils amassent à ne pas savoir qu'en faire. Et c'est bien cette avidité-là qui nous a conduit au bord du gouffre.) Il faut encore trouver du sens à sa vie, c'est-à-dire apaiser par des actes cette tension intérieure qui habite tous les hommes et qui est sans doute liée à notre sentiment de finitude confronté à notre désir d'éternité.
Je plaide donc pour une refondation de notre société. Dans plusieurs directions d'ailleurs. Le magasine Marianne titre - et je crois, hélas, qu'il a raison - Les élites n'ont toujours pas compris. Les élites, ceux qui trouvent dans leur travail une reconnaissance sociale, du prestige, un accomplissement de leurs virtualités, doivent - c'est une nécessité sociale absolue - réfréner leur désir de toujours plus. Par conséquent, pas de réclamations d'avantages en nature démentiels (voiture de fonction de luxe, frais de représentation, repas d'affaire). Il leur faut rentrer dans la sobriété vécue. Pas d'exigences salariales inconsidérées. Un regard ouvert et juste sur la situation des salariés qu'ils ont sous leurs ordres. Une acceptation réfléchie de la solidarité par l'impôt (et cela ne les exonèrent pas de l'exigence de fraternité, qui est d'un autre ordre). Bref, il leur faut cesser de se regarder le nombril, de créer de toutes pièces une Association des Adorateurs Mutuels, et de défendre farouchement tous leurs privilèges : il en est certes de justifiés (BERNANOS justifiait brillamment cela) ; il ne doit pas y en avoir d'indus. Regarder du côté des primes des Hauts Fonctionnaires, par exemple... Et un peu moins d'ostentation dans le luxe, pour ceux des riches qui ne peuvent se passer du paraître, en attendant qu'ils changent leur regard sur eux-mêmes, ce qu'ils feront inévitablement quand ils arriveront aux portes de leur propre mort. Qu'ai-je fait de ma vie, diront-ils. Qui viendra essuyer leurs larmes quand ils en verront le vide ?
Ceux de nos concitoyens qui n'ont pas la chance de faire partie des élites et ont des revenus moindres peuvent trouver du sens, comme les riches d'ailleurs, dans le tissage de liens sociaux vécus. Là encore, un petit exemple, qui date de ce matin. A une bouche de métro, un distributeur de journal gratuit, propose aux passants un numéro de son quotidien. Il a un sourire éclatant. Et il n'essuie que des rebuffades de gens maussades, qui font un geste de dénégation. Et ces passants ne font pas partie de l'élite, de ces gens qui peuvent se déplacer en voiture et bénéficier d'un parking sur leur lieu de travail. Ils font partie de ces Français moyens qui travaillent dur pour gagner leur vie. Je plaide ici pour que ce refus d'accepter - il peut être motivé - soit assorti d'un petit mot, d'un petit sourire, d'un bonjour. Restaurer du lien social, voilà l'urgence du moment.
En effet, et je conclus, l'homme se construit (devient un sujet) dans la relation à l'autre. Les spécialistes des sciences humaines (anthropologie, sociologie, psychologie) l'ont amplement démontré. Sans relations (sans liens intersubjectifs), il n'y a pas d'homme ni d'humanité. Hélas, qu'il est triste de voir dans le métro, plus d'un voyageurs sur deux rivé à son portable ou à son MP3, clos dans un univers strictement virtuel absolument indifférent à la gêne que sa conversation ou sa musique fait subir à ses voisins. Les lecteurs de journaux ou de livres, sont moins fixés à leur objet, et ils balbutient de temps à autre un "excusez-moi je descends à la prochaine", ou quelque chose comme cela.
Pour une vie nouvelle, ouvrons les yeux sur l'autre, ayons pour lui un sourire ou une parole aimable. Cela, certes, ne peut résoudre les problèmes de revenus, mais il est plus facile de trouver des solutions à plusieurs que d'essayer de s'en tirer tout seul. Et pour ce faire, il faut rentrer en relation.
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