Avant de repartir pour quelques jours en vacances, (je reviens le 29) je voudrais répondre à l'objection que mon ami Yves à faite sur la validité des preuves philosophiques de l'existence de Dieu. KANT, dit-il, l'aurait ruiné, quelle que soit la preuve envisagée (ontologique, cosmologique, par la contingence et la nécessité). KANT distinguait le domaine de la raison de celui de la croyance (je me suis renseigné, voilà qui va faire plaisir à Pierre-Henri THOREUX) auquel il rapportait la foi. Mettant le sujet au centre de l'acte de connaissance, il affirmait qu'il lui est impossible de connaître l'être des choses, en raison des conditions a priori de cette connaissance, qui sont l'espace et le temps, et des catégories de l'entendement. Il n'en voit que ce qui paraît (phénomène) et non pas ce qui est (noumène). Les arguments de KANT sont très forts. Et je me rabattais sur l'expérience de la nature, du beau, de l'histoire et des mystiques. CORATINE a sévèrement critiqué la première voie. Je lui répondrai.
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Je me posais ensuite la question suivante : existe-t-il des réalités observables qui échappent aux limitations que l'espace et le temps apportent à la connaissance de la vérité ou de l'être ?
J'ai relu le livre de Jean STAUNE (Notre existence a-t-elle un sens ? Une enquête scientifique et philosophique. Presses de la Renaissance, Paris, 2007). Lors de ma première lecture, mon attention n'avait pas été attirée par le commentaire, cité par STAUNE, que fait Bernard d'ESPAGNAT à propos de l'expérience d'Alain ASPECT, confirmée depuis par d'autres auteurs.
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Pour bien comprendre ce dont il s'agit, il faut rappeler ceci : il est impossible à la matière de dépasser la vitesse de la lumière et à l'énergie de se transmettre à une vitesse supérieure à celle-ci. Pour vérifier certaines hypothèses (je ne les détaille pas) ASPECT, GRANGER et ROGER imaginent en 1982 une expérience tout à fait remarquable. Il s'agissait de savoir comment deux particules subatomiques peuvent interagir l'une sur l'autre de manière telle que si l'observation donne un état particulier pour une particule, un état aléatoire, l'autre particule répond de manière coordonnée par le même état. Pour cela il fallait d'accomplir des mesures d'état des deux particules dans un intervalle de temps tel que la transmission d'un signal ne puisse se faire d'une particule à l'autre, celle-ci étant séparé par une distance telle que la lumière mette plus de temps à la parcourir que le temps séparant les deux mesures. Celles-ci sont réalisées dans un intervalle d'un milliardième de seconde ; la distance qui sépare les deux particules est de 12 m et il faut à la lumière quarante fois plus de temps pour la parcourir, quarante milliardièmes de seconde. L'hypothèse est donc la suivante : si la seconde particule n'est pas dans le même état que la première, c'est que le signal n'a pas pu l'atteindre ; elle n'a pas pu être informée par cette dernière. Si au contraire elle est dans le même état, il faut imaginer qu'une information dite supralumineuse a été transmise INSTANTANÉMENT, sans passer par un transfert de matière ou d'énergie. (Je passe sur les détails). Comme l'état que prend la première particule est aléatoire (et non prédéterminée avant la mesure, comme le serait celui de la seconde qui partagerait avec la première une sorte de vie commune initiale) et ne se révèle qu'au moment de la mesure, il faut accepter la deuxième hypothèse. La réponse est implacable. La réalité ultime échappe aux conditions d'espace et de temps.
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Bernard d’ESPAGNAT, un physiciens très réputé, commente ainsi ces résultats (Un atome de sagesse. Éditions du Seuil, Paris, 1982 ; page 55) :"Un des enseignements des sciences modernes dites (par tradition) ‘de la matière’ est celui-ci : la ‘chose’, s’il en est une, qui se conserve n’est pas le concret mais l’abstrait, non pas ce qui est proche des sens, mais au contraire le nombre pur dans toute son abstraction mathématique telle que nous la révèle la physique théorique. En d’autres termes, par rapport à nos sens et à nos concepts familiers (qui en résument les possibilités), une des manières les plus pertinentes de l’évoquer est, selon moi, de reconnaître que le mot matière est mauvais et de réintroduire le beau mot d’Être."
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Bernard d'ESPAGNAT ajoute dans le même ouvrage (page 117) : "Les Idées de PLATON ne sont pas dans l'espace-temps mais elles existent indépendamment de l'esprit humain et sont les causes des phénomènes. C'est pourquoi on parle parfois, à propos du platonisme, de réalisme des essences. En ce sens-là (une réalité indépendante lointaine, probablement non située dans l'espace-temps), le réalisme philosophique d'un physicien peut difficilement ne pas être un petit peu platonicien".
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Je crois donc rationnellement et scientifiquement que la réflexion de KANT ne vaut que pour une partie du réel dont nous fixons les contours par commodité ou par incapacité, et qu'il y a une réalité ultime qui échappe aux contingences du temps et de l'espace, la seule qui vaille et qui soit vraie. Elle est en quelques sortes ce que la physique de NEWTON est à la physique quantique et à la relativité.
4 commentaires:
Bravo, Monsieur POINDRON, pour la démonstration. Mais autant sur des sujets tels que la beauté, la perversité, la politique, j'arrive à me tenir à peu près la tête hors de l'eau, autant je n'ai rien compris à votre billet de ce jour!!!!
Je reconnais avec humilité votre polyvalence, je me demande comment vous faites pour naviguer de la philosophie pure, à la mathématique essentielle, en passant par l'émouvante poésie d'un homme hyper sensible qui s'illumine devant un lever de soleil sur la montagne, pour aller jusqu'à Dieu....
Je n'ai pas vos références, ni votre mémoire, ni votre culture, ni surtout votre admirable vocabulaire.... Tout ce que j'écris vient de mon être propre, je ne sais m'appuyer sur aucun savant, aucun nom prestigieux, comme vous pouvez le faire ainsi que notre cher Pierre Henri THOREUX...
Mais je vous remercie, cher Monsieur Poindron, vous m'émouvez profondément.
Vous repartez en vacances, et moi, je ne suis pas partie. Mais j'ai de la matière pour une semaine au moins!!!! Pour décortiquer ce que vous venez d'écrire aujourd'hui!
Quand vous reviendrez, je pense que je pourrais vous envoyer la photo de la blonde auréole que j'aurais enfin au-dessus de la tête!!!
Bonnes vacances, Monsieur Poindron!!! Et merci pour tout!
Chère CORATINE, je dois vous donner une réponse en deux temps.
1. KANT dit qu'il est impossible d'avoir accès à la connaissance profonde de l'être, mais seulement à une représentation que le sujet pensant peut en avoir, en raison de deux limitations importantes qui sont les conditions dites a priori de la connaissance : l'espace et le temps d'une part, les catégories de l'entendement (analogie, non contradiction, comparaison etc.) Par ailleurs, nous apprenons avec EINSTEIN que ni la matière ni l'énergie ne peuvent se déplacer ou se propager à une vitesse supérieure à celle de la lumière. C'est une limitation absolue. Mais si l'on arrive à prouver EXPERIMENTALEMENT qu'une information peut se propager instantanément d'une particule physique à l'autre, il faut accepter l'idée (a) soit qu'elles étaient dans le même "état" avant qu'on ne mesure celui-ci et qu'elles ne se séparent (or ces états sont parfaitement aléatoires ; ils ne sont pas prédictibles, seulement observés ; ce ne peut pas être la bonne explication) ; (b) soit que des informations sont instantanément transmise, parce que les deux particules ne font qu'un ; elles échappent donc aux conditions de la connaissance a priori et peuvent être considérées comme l'être des "choses" qu'elles sont vraiment. Les physiciens matérialistes (BRICMONT par exemple) sont consternés par ce résultat. Mais ils l'admettent sans se l'expliquer (action magique, action fantomatique, etc.
2. Je suis levé dès 5 heures du matin. Comme PROUST (mais en infiniment, terriblement infiniment moins talentueux), "je me couche de bonne heure" (10 heures du soir). Je travaille énormément, car je suis curieux et je ne cesse de chercher tant que je n'ai pas compris. Il m'a fallu lire deux fois STAUNE. Mais j'ai bien en tête ce que Jésus a dit : "Père je te rends grâce ; ce que tu as caché aux sages et aux savants c'est au tout petits que tu l'as révélé." Du reste, il ne faut pas confonde savoir, érudition et connaissance. Cette dernière relève plus de l'activité de l'être profond. La difficulté consiste à toujours laisser ouvert le canal qui va de la tête au coeur.
Pour ce qui vous concerne, je dirai que je suis touché par la profondeur et la justesse de vos réactions. Elles m'apprennent que je dois remplacer des lunettes un peu trop roses par des lunettes qui me donnent à voir ce que les autres ont de lumineux, et donc par contraste ce qu'ils ont de sombre aussi. Ces lunettes sont valables pour moi aussi.
Voilà ce que je pouvais et voulais vous dire.
Très amicalement.
Cher M. Poindron, je suis ravi de l'attention soutenue que vous portez à mon cher Kant.
J'agrée tout particulièrement votre dernière remarque précisant que sa réflexion "ne vaut que pour une partie du réel dont nous fixons les contours par commodité ou par incapacité". Elle me semble parfaitement en phase avec le message du maître de Königsberg, qui est de mettre en garde précisément contre toute tentative de raisonnement logique, appliquée au domaine de la métaphysique, donc de Dieu. Dans ces sphères éthérées, tout argument tiré de la logique, de la physique ou des mathématiques s'avère tout aussi inutile que le seraient les ailes d'un oiseau pour voler dans le vide.
Par conséquent, je suis persuadé pour ma part qu'il nous est tout aussi impossible de prouver objectivement l'existence de Dieu que l'inverse... L'observation des mouvements étranges des particules n'y peut rien changer.
Au risque de chagriner Coratine avec une référence un peu ésotérique, je me permets d'évoquer le troublant théorème de Gödel, qui à mon sens s'inscrit dans le même contexte. En révélant qu'à l'intérieur d'un système de logique formelle, il y a toujours au moins une proposition indécidable, il suggère la nécessité de sortir du dit système pour trouver les clés manquantes... Or notre misérable condition nous interdit de sortir de notre monde sublunaire pour trouver nos fameuses preuves. Sauf peut-être par la foi...
Bonnes vacances.
Je suis tombé sur un dossier très intéressant du dernier numéro du magazine La Recherche que je me permets de vous signaler (http://www.larecherche.fr/). Il traite précisément des phénomènes quantiques étranges concernant les particules dites intriquées. Evidemment, il n'apporte pas de réponse d'ordre métaphysique à la fameuse violation des inégalités de Bell que cela suppose. Il montre simplement comment on pourrait envisager d'exploiter le phénomène pour crypter des données et ainsi sécuriser la transmission de messages.
Il insiste toutefois sur le fait que ce phénomène qui défie le sens commun, ne viole pas forcément les lois de la relativité (notamment la limite infranchissable de la vitesse de la lumière). En effet, si le résultat de mesures simultanées s'avèrent corrélés, il semble que l'intrication quantique ne puisse être utilisée pour transmettre de façon instantanée quelque information que ce soit d'un point de l'espace-temps à un autre. En définitive, tout se passe comme si les particules intriquées se comportaient comme un seul objet devenu inséparable quelque soit la distance entre eux... Ce qui est au moins aussi déroutant que le fameux principe d'incertitude de Heisenberg, mais reste très spéculatif quant à une interprétation ontologique de la matière.
Le débat reste toutefois ouvert...
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