Accueillir avec exultation la naissance matinale de l'azur. Tendre l'oreille aux bruissements que font, dans les vieux platanes, les feuilles agitées par un vent qui aujourd'hui prend le doux nom de tramontane. Se réjouir par avance aux murmures des fontaines qui enchantent les placettes de la vieille ville. Voilà des joies qui ne sont pas marchandes. Nul spéculateur, nul fiscaliste, nul avide ne peut nous ravir ces trésors. A force de les contempler, je m'enrichis à en devenir multimilliardaire en sensations, en souvenirs, en émotions.
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Oui, AIX-en-PROVENCE est une ville enchanteresse. J'en avais déjà parlé, il y a deux ans, dans un billet émerveillé. Contrairement aux gens du troisième âge, non seulement ce billet n'a pas pris une ride, mais il a rajeuni. Les Aixois sont des gens de goût. La preuve en est que la Fondation Jacques et Suzanne PLANQUE a jugé utile de laisser en dépôt pour quinze ans au Musée Granet, la fabuleuse collection de peintures que Jacques avait patiemment réunie. Il était l'agent artistique parisien de la fameuse galerie bâloise BEYELER et s'était fait de nombreux amis parmi les peintres. Les pièces majeures de cette collection sont exposées, merveilleusement exposées (thème par thème, genre par genre), dans les salles réservées aux expositions temporaires : CEZANNE, DUFY, PICASSO, ROUAULT, BRAQUE, BISSIERE, UBAC, LEGER, TAPIES, CLAVE, DUBUFFET, Nicolas de STAEL, Sonia DELAUNAY, La FRESNAYE, KLEE, des peintres helvétiques (Jacques était citoyen de la confédération) dont l'excellent AUBERTJONOIS, et d'autres encore dont j'ai oublié les noms, mais qui sont tout aussi prestigieux. Cet homme "avait un oeil" disait de lui un de ses amis. Il était devenu très proche de PICASSO et de DUBUFFET. Il y eut entre celui-ci et Jacques un petit moment de brouille, perdu dans des années de proximité complice.
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Et puis il y a encore le bleu céruléen de MARSEILLE. Enchantement de la montée des ACCOULES et des escaliers qui quadrillent le quartier du PANIER, et cette fabuleuse exposition temporaire de peintres orientalistes à la Vieille Charité. En lui-même, cet ancien hôpital-hospice est déjà un miracle d'architecture et la chapelle baroque plantée au milieu de l'immense cours est un chef-d'oeuvre de PUGET. Elle est coiffée d'une coupole ovale dont on se demande comment elle a pu être construite et défier l'usure du temps et l'ébranlement qu'ont dû susciter dans le quartier les bombardements destructeurs de la seconde guerre mondiale. Et dans ce décor unique, le Musée accueille plus de 120 tableaux orientalistes, signés des plus grands maîtres : De DELACROIX à MATISSE (c'est du reste ne nom donné à l'exposition). Les organisateurs sont ravis : près de 4.000 visiteurs journaliers exercent leur goût et affûtent l'acuité de leur regard. L'exposition a été présenté d'abord au Musée Royal de BRUXELLES, puis au Musée des Beaux-Arts de VIENNE, avant de s'installer aux rivages de la Mare Nostrum, preuve que PARIS n'a pas le monopole du goût. Je suis frappé de voir que la majeure partie des tableaux exposés sont ceux d'artistes français. Comme le tableau a été organisé par un commissaire belge aidé de spécialistes autrichiens, on ne peut accuser de chauvinisme les organisateurs. Il y a quelques excellents tableaux de peintres belges et autrichiens, anglais aussi, mais à eux tous il ne font pas 20 % de la collection. Il faut bien conclure qu'au XIXe siècle, notre pays rayonnait sur l'Europe entière et exerçait un magistère artistique qui dura, sans aucun doute, jusque vers les années 1950. Qu'est-il devenu depuis et pourquoi ? On ne saurait accuser BRUXELLES, les Américains, les Russes, les Chinois, les Indiens ; c'est trop facile. D'où vient cet appauvrissement de notre créativité ? Je n'ai pas de réponse. Mais je me demande si les responsables de la Culture avec leur goût de la provocation (cf. le Piss Christ de SERRANO) ne sont pas les acteurs principaux de ce déclin public du goût et de la disparition des vrais artistes de l'espace public. Heureusement, il y a des poches de résistance qui se forment et grossissent, et pas chez les bobos ou les "élites" éclairées, mais dans ce peuple robuste et plein de bon sens grâce auquel notre patrie peut encore être ce qu'elle est.
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Maintenant le ciel vire au bleu nuit. Une foule animée déambule dans les rues étroites. Des dîneurs attablés donnent aux terrasses des cafés et des restaurants un air de fêtes sérieuses. On ne crie pas, on parle avec cet accent qui n'est pas celui de MARSEILLE, mais celui de la Provence. Et je repense à ce marquis qui, pour épouser sa maîtresse, assassina sa femme, et s'enfuit au PORTUGAL après avoir accompli son forfait. Faute de pouvoir obtenir une extradition en bonne et due forme, il fut jugé par contumace, et les juges d'AIX ordonnèrent que l'on décapite l'effigie de l'assassin en place publique. Tout marquis qu'il était, il n'échappa point à une juste sentence qui aurait été exécutée sans aucun doute, si l'on avait pu saisir le vif.
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Voilà, la nuit est tombée, sereine, sur le cours MIRABEAU. Il y a encore du monde au Café des deux Garçons. Peut-être CEZANNE y prend-il un verre incognito avant de regagner son JAS de BOUFFAND. Nous rentrons à notre hôtel, humant les senteurs de lavandin et de lentisque que les talus plantés, exposés au soleil, exhalent pour le bonheur des nostalgiques. Je ne te dis pas adieu AIX, mais au-revoir.
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