D'un correspondant alsacien, ce message que je vous livre sans commentaires (au moins pour aujourd'hui) et qui a été écrit par Philippe CARRESE.
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Philippe Carrese est un écrivain français né à Marseille en 1956.
Il est également réalisateur de séries TV (Plus belle la vie) et de films.
Il est chroniqueur dans la presse, ainsi qu'illustrateur.
Enfin, il est musicien.
"J'AI PLUS ENVIE...
Par Philippe CARRESE
J'ai plus envie.
J'ai plus envie de me prendre le quart-monde dans la gueule chaque fois que je mets un pied sur la Canebière. à Marseille.
Je m'apprêtais à écrire une chronique rafraîchissante pour un magazine d'été riant, bien décidé à taire mes énervements habituels.
J'avais pris de bonnes résolutions, rangé ma parano dans ma poche et mes colères avec mes tenues d'hiver, au fond d'un placard.
Je m'apprêtais même à faire de l'humour. Quelques fois, j'y arrive. Mais voilà. Une randonnée pédestre éprouvante entre les Cinq Avenues et le cours d'Estienne d'Orves a sapé mon moral et éradiqué mes résolutions optimistes.
J'ai plus envie de relativiser. J'ai plus envie de faire de l'humour. Et j'ai plus envie de subir ce cauchemar quotidien. J'ai plus envie de supporter toute la misère du monde à chaque coin de rue.
J'ai plus envie de slalomer sans cesse entre des culs-de-jatte mendiants, des épaves avinées et des cartons d'emballages de fast-foods abandonnés sur le bitume chaotique du premier arrondissement. J'ai plus envie de cette odeur de pourriture qui me saute à la gorge, de cette odeur d'urine à tous les angles de travioles, de cette odeur de merdes de chiens écrasées sur tous les trottoirs, de ces relents de transpiration et de crasse sur les banquettes arrière du 41.
J'ai plus envie de perdre des heures en bagnole dans un centre-ville laid, dévasté par manque total de prise de conscience individuelle et d'organisation collective.
J'ai plus envie de voir ma difficile survie professionnelle lézardée par des bureaucrates en R.T.T, assenant au petit peuple que la voiture est un luxe inutile, eux qui n'ont sans doute plus pris un métro depuis des lustres.
J'ai plus envie de me retrouver sur le parvis de la gare Saint Charles à onze heures du soir avec mes jambes et ma mauvaise humeur comme alternative à l'absence totale de transports en commun et à la présence suspecte de rares transports individuels qui frisent l'escroquerie.
J'ai plus envie.
J'ai plus envie de baisser les yeux devant l'indolence arrogante de jeunes connards.
J'ai plus envie de jouer les voitures-balais pour de malheureux touristes étrangers bouleversés, fraîchement dévalisés par des crétins sans loi ni repère.
J'ai plus envie de me retrouver à chercher des mots d'apaisement et à soliloquer des propos hypocrites sur la fraternité et la tolérance lorsque mes enfants se font racketter en bas de ma ruelle.
J'ai plus envie de me laisser railler par ces troupeaux d'abrutis incultes, vociférant et bruyants au milieu des trottoirs qui n'ont qu'une douzaine de mots à leur vocabulaire, dont le mot « respect » qu'ils utilisent comme une rengaine sans en connaître le sens.
J'ai plus envie de contempler mon environnement urbain saccagé par des tags bâclés et des graffitis bourrés de fautes d'orthographe. L'illettrisme est un vrai fléau, il plombe même l'ardeur des vandales.
Et aussi...
J'ai plus envie de voir les dernières bastides mises à bas, les derniers jardins effacés d'un trait négligent sur des plans d'architectes en mal de terrains à lotir.
J'ai plus envie de cette ville qui saccage son passé historique sous les assauts des promoteurs (le comblement de l'îlot Malaval est une honte).
J'ai plus envie de cette ville qui perd sa mémoire au profit du béton.
Et encore...
J'ai plus envie d'écouter poliment les commentaires avisés des journalistes parisiens en mal de clichés, plus envie d'entendre leurs discours lénifiants sur la formidable mixité marseillaise. Elle est où, la mixité ? De la rue Thiers au boulevard des Dames, la décrépitude est monochrome.
J'ai plus envie de traverser le quartier Saint Lazare et de me croire à Kaboul.
J'ai plus envie non plus de me fader encore et toujours les exposés béats de mes concitoyens fortunés, tous persuadés que le milieu de la cité phocéenne se situe entre la rue Jean Mermoz et le boulevard Lord Duveen.
Désolé les gars, le centre ville, à Marseille, c'est au milieu du cloaque, pas à Saint Giniez. Tous les naufrages économiques de l'histoire récente de ma ville tournent autour de cette erreur fondamentale « l'appréciation de la haute bourgeoisie locale »
J'ai plus envie de ce manque d'imagination institutionnalisé, plus envie de palabrer sans fin avec des parents dont la seule idée d'avenir pour leur progéniture se résume à : «un boulot à la mairie ou au département».
J'ai plus envie d'entendre les mots «tranquille» «on s'arrange» «hé c'est bon, allez, ha» prononcés paresseusement par des piliers de bistrots. J'ai plus envie de ce manque de rigueur élevé en principe de vie.
J'ai plus envie de l'incivisme, plus envie de la médiocrité comme religion, plus envie du manque d'ambition comme profession de foi.
J'ai plus envie des discours placébo autour de l'équipe locale de foot en lieu et place d'une vraie réflexion sur la culture populaire.
J'ai plus envie non plus de me tordre à payer des impôts démesurés et de subir l'insalubrité à longueur de vie.
J'ai plus envie de m'excuser d'être Marseillais devant chaque nouveau venu croisé, décontenancé par sa découverte de ma ville. Ma ville !
Et pourtant, Marseille. Pourquoi j'ai plus droit à ma ville ?
Merde !
Philippe Carrese, pour Mars Mag."
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4 commentaires:
Philippe Carrese est verbeux.
Cher Roparz Hemon
Il se trouve que je suis allé à Marseille il y a trois jours. Philippe CARRESE exagère quelque peu le trait. Et du reste, si vous lisez le billet intitulé "notules bleues", je ne fais allusion à aucun de ces inconvénients. J'ai simplement recueilli le témoignage d'un habitant de Marseille qui nous a déconseillé de dîner le soir dans le centre-ville. Il y a donc une insécurité certaine. Mais je ne me suis pas senti offensé ou atteint par le cosmopolitisme de la ville, simplement étonné par son ampleur, ça je suis obligé de le dire. Marseille a été peuplé jadis par les celto-ligures, et il y avait en même temps une importante colonie phénicienne (on a retrouvé une inscription en punique lors de travaux dans la ville au XIXe siècle) sans compter les Phocéens. Sa bigarrure est donc antique. Tout port est par définition cosmopolite.
La chose est différente dans les quartiers nord. J'y vais régulièrement (Faculté de Médecine Nord). L'incivisme y est patent, répandu, arrogant, mais il est général et ne caractérise pas forcément une fraction particulière de la population. Je fais exception des trafics de drogue ; les bandes qui les organisent ont un caractère ethnique évident, avéré, su et connu de tous. Comme toujours, il faut éviter l'amalgame et la généralisation. Mais se voiler la face devant des réalités criantes (présence "insistante" [mot faible] de Roms par exemple ; je constate sans reprocher, condamner, ou anathématiser)qui posent problème ne me paraît pas être la bonne solution. Maintenant, traiter le problème est une autre paire de manche. Vous comprendrez donc pourquoi je me suis abstenu de commenter à chaud ce texte qui trahit, ça je peux l'affirmer, l'exaspération croissante de nombre de Marseillais. L'ignorer n'est pas de bonne politique. Et il me paraît juste de tenir compte de l'avis de tous les citoyens quand il s'agit de la vie en commun dans l'espace public.
Bien amicalement.
Donc vous êtes vivant puisque vous écrivez ici,
Me voila rassurée.
Je suis tout ce qu'il y a de plus vivant. Et j'aime énormément MARSEILLE...
Je reviendrai sur le texte de Philippe CARRESE et je reviendrai à MARSEILLE...
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