jeudi 29 décembre 2011

Chômage et temps de travail (1)

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Alfred SAUVY n'est pas précisément un conservateur. Sociologue, démographe, philosophe politique ? On hésite à le qualifier, tant est large la palette de ses talents. Mais c'est avant tout un homme de science, d'une grande probité intellectuelle, et qui n'utilise pas les statistiques pour se faire plaisir ou flagorner le Prince. Il est donc intéressant d'écouter ce qu'il a à dire.
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Donc le Front Populaire arrive au pouvoir en 1936. SAUVY constate ceci : "En septembre 1936, après 4 mois de stagnation de la production, contraire aux prévisions, rien est encore perdu. Le gouvernement est acculé à la dévaluation (qu'il avait solennellement condamné, mais peu importe ici). Autrement dit, il pousse sur le bouton qu'il faut, ce même bouton qui, à l'époque, a déjà rendu la santé économique à tous les pays sans exception. Pour l'observateur, la reprise économique est une certitude.

Elle se produit. De septembre à décembre 1936, tous les indices remontent : non seulement les exportations, mais la PRODUCTION intérieure ; les usines se remettent à fumer, le Front Populaire a la victoire en main, certes involontaire, mais le résultat est là.

En trois mois, la production industrielle bondit de 81 à 91 ; progression générale dans tous les groupes (bâtiments, métallurgie, etc.), le niveau de septembre 1931 est récupéré, l'indice de l'emploi (établissement de plus de 100 salariés) passe en trois mois de 73,9 à 75,2 en pleine mauvaise pente saisonnière..."
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SAUVY poursuit l'analyse du bénéfice apporté par la dévaluation, et il souligne que le Gouvernement ne voit pas la reprise économique ni la baisse du chômage. Or, pour des raisons de conjoncture saisonnière, le chômage augmente EN APPARENCE. Affolé, le Gouvernement réduit brutalement la durée légale hebdomadaire du travail qui, de 45 heures, passe à 40 heures. Le résultat ne se fait pas attendre : "En mai 1938, deux ans après l'arrivée au pouvoir, malgré le coup de pouce de trois dévaluations, la production industrielle est de 6 % inférieure à celle de 1936 ; le coût de la vie a augmenté de 44 %."

Par probité intellectuelle, je dois vous donner la conclusion de l'analyse (une erreur d'appréciation sur l'ampleur du chômage qui loin d'avoir augmenté a au contraire diminué quand on corrige les chiffre des variations saisonnières) : "Ici encore, ce n'est pas une faute de doctrine (la réduction du temps de travail s'inscrit logiquement dans notre temps), c'est une erreur de fait, une erreur d'optique."
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Deux remarques : la première ? Notons que les effets pervers de la réduction du temps de travail pour réduire le chômage en pensant que cette réduction va favoriser le partage du travail A EU LIEU EN TEMPS DE CRISE. La seconde ? On peut imaginer que ce désastre est le fruit d'une coïncidence historique, et qu'il n'y a pas de relation de cause à effet entre la réduction du temps de travail et la détérioration de la situation économique. Pour s'assurer de l'existence d'une telle liaison, il faudrait une contre-épreuve vérificatoire. Nous l'avons. Elle fera l'objet du billet suivant : Chômage et temps de travail (2). Il vous sera délivré ce soir.
Citations extraites de Mythologies de notre temps. Collection "Études et documents Payot". Payot, Paris, 1966.

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