Vous avez remarqué, du moins ceux qui ont lu ou parcouru la lettre qu'a envoyée madame ALAMACHERE à Manuel VALLS, que je me suis abstenu de la commenter. Pour toutes sortes de raisons d'ailleurs, que je vais m'efforcer de vous expliquer.
-
Il y a des raisons de forme, tout d'abord. Certains passages de cette lettre me paraissent inutilement agressifs et, pour cette raison, perdent de leur force démonstrative. Mais c'est la règle du genre, et je confesse qu'il m'est arrivé, plus souvent qu'à mon tour, de tomber dans ce travers. Mais en rester à la forme, c'est ignorer le danger auquel nous expose une certaine expression de la pratique musulmane.
-
Il y a des raison de fond, ensuite.
(a) Dans cette lettre, du reste assez bien informée, il est fait allusion au passé. L'allusion est souvent trop générale. Mais elle est juste. Rappelez-vous le procès en politiquement incorrect que l'on a fait à Sylvain GOUGENHEIM. Il avait eu le front de soutenir, preuves à l'appui, que les philosophes arabes médiévaux du Moyen-Orient n'avaient pas joué le rôle qu'on leur prête avec complaisance dans la redécouverte d'ARISTOTE, et que des monastères, comme celui du Mont Sain-Michel avait été des acteurs infiniment efficaces dans cette renaissance de la pensée grecque en Occident. J'ai du reste rédigé un billet sur ce sujet et je rappelais que plusieurs penseurs musulmans arabes ont eu pour maître des penseurs chrétiens arabes à qui revient justement la propagation des ouvrages d'ARISTOTE. Manuel VALLS se fourre le doigt dans l'oeil jusqu'à la clavicule en reprenant à son compte un préjugé dépourvu des nuances factuelles indispensables à la compréhension du passé. Attribuer à la brillante civilisation musulmane de CORDOUE des mérites indus en donnant l'impression que la chrétienté de l'époque était ignare et arriérée est une imposture intellectuelle de première grandeur. Elle a commencé avec la haine du christianisme développée par tous les imbéciles (au sens de BERNANOS) qui ont présidé aux destinées de la France depuis le début du XXe siècle. Les imbéciles, hélas, sont féconds.
(b) Il est fait également allusion à des faits contemporains précis dont la signataire de la lettre et monsieur VALLS ont été les témoins directs, et que la presse bien-pensante de gauche n'a pas évoqués. Voilà qui me paraît beaucoup plus grave. Je regrette simplement que la signataire donne l'impression d'assimiler musulmans et arabes : tous les arabes, en effet, ne sont pas musulmans, et ils payent souvent de leur vie leur attachement à Jésus. J'en ai parlé. Tous les musulmans ne sont pas arabes. Et, à mon avis, leurs intégristes constituent un vivier au moins aussi dangereux que celui formé par les suppôts arabes d'AL-QAIDA.
(c) Et puis il y a, selon moi informulé, le douloureux constat que nous vivons dans une situation politique schizophrène quant aux rapports des religions et des pouvoirs publics, des rapports marqués du sceau assez fragile de la laïcité. Dans un autre billet, je tâcherai de vous démontrer que le projet de laïcité n'est que le symétrique optique du projet d'une imaginaire Cité de Dieu, pensée et voulue par des monarques plus soucieux de leur gloire que de celle de leur Créateur. Nous avons aujourd'hui les monarques que nous méritons.
Bref, la République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. Voilà qui est clair, en apparence. Il n'y a pas trente-six solutions pour donner de l'épaisseur à cette ambition. La première consiste à appliquer à la lettre le principe et à interdire à quelque ministre que ce soit de participer de près ou de loin à des manifestations religieuses. Neutralité stricte par conséquent. La seconde est une solution relativiste. Elle consiste à considérer que toutes les "religions" se valent, à tolérer leur expression dans l'espace public, à ne pas intervenir dans celle-ci (pas de lois, pas de décrets, pas de règlements, rien sur le foulard islamique, rien sur la burqua, rien sur les turbans sikhs, rien sur les croix portées par les jeunes dans les collèges et lycées, pas de législation sur les sectes, pas de MILIVUDE [je crois que c'est l'abréviation de cette mission interministérielle qui enquête sur les sectes], simplement une vigilance quant au respect de l'intégrité psychique et physique des adeptes et il y a des lois qui sanctionnent ces abus). La troisième, la seule qui me semble raisonnable, consiste à reconnaître que la France est un pays de tradition, de culture et de moeurs chrétiennes, de le reconnaître (Ah ! JOSPIN ET CHIRAC et leur refus d'inscrire les origines chrétiennes de l'Europe dans le Traité constitutionnel, alors que c'est une évidence historique ! Ils ont commis une erreur impardonnable) et d'en tirer les conséquences juridiques (pas de prénoms étrangers pour des jeunes nés en France de parents étrangers, pas de polygamie, pas de burqua ni de foulards, pour cette raison-là, pas d'excision, etc. ; seule cette reconnaissance donnerait un fondement juridique à de telles interdictions).
-
Il me semble que CONFUCIUS a bien compris l'importance de la Tradition. Ne dit-il pas (Entretiens, Livre II, section 11 ; traduction du Pr Anne CHENG) : "[...] : le bon maître est celui qui, tout en répétant l'ancien, est capable d'y trouver du nouveau". Je reviendrai sur cette maxime dans un très prochain billet. Je suggère à messieurs les ministres de lire, relire, méditer ce sage dont ils ont beaucoup à apprendre.
-
C'est tout pour aujourd'hui.