vendredi 27 juillet 2012

A bon entendeur...

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Il me semble vous avoir parlé déjà d'un ouvrage de Michel CROZIER, un sociologue très fin, intitulé L'acteur et le système. Je viens de retrouver dans mes cartons de livres, une autre de ses contributions à la compréhension des organisations humaines contemporaines, Le Phénomène bureaucratique. (Collection Points, N°26, Éditions du Seuil, Paris,  dépôt légal de cette réédition : 1971). J'ajoute que CROZIER ne peut être taxé de conservatisme, de capitaliste, d'ennemi de classe. Il a publié de nombreux travaux sur le Monde des employés de bureau, sur les Mouvements ouvriers et socialistes, chronologie et bibliographie (1750-1918) (aux Éditions ouvrières), sur les Usines et Syndicats d'Amériques. Petits fonctionnaires au travail (mêmes Éditions). CROZIER a de la sympathie pour les hommes dont il étudie les comportements sociaux ; mais c'est un chercheur et ce qui l'intéresse, se sont les faits avant les idées, les acteurs avant le système.
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Il y a bien longtemps que je n'ai lu Le phénomène bureaucratique, et je ne saurais donc point le résumer, seulement indiquer une idée directrice, celle de la coopération entre les hommes. Tout de même, en jetant un coup d'oeil sur l'introduction, je vois ceci qu'il me plaît de vous faire connaître :

"[...]. Autant était-il indispensable, en 1960, de refuser l'illusion humanitaire, libérale ou socialiste, selon laquelle le bien, le progrès pouvaient êtres des valeurs absolues qu'il suffisait de bien articuler et d'affirmer, autant me semble-t-il urgent désormais de démystifier le rêve révolutionnaire et la pratique gauchiste selon lesquelles l'enchaînement catastrophique des contradictions impose le retournement total. A dire vrai, je trouve quelque chose de commun dans ces deux attitudes pourtant si contradictoires : l'ignorance des contraintes, l'incapacité à comprendre la réalité des pesanteurs humaines et une vue terriblement simpliste du déterminisme."
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Quelques paragraphes plus loin, il poursuit :

"Nous rejetons trop facilement nos difficultés sur des épouvantails abstraits comme le progrès, la technique, la bureaucratie (je commenterai brièvement ceci à la fin). Ce ne sont pas des techniques ou des formes d'organisation qui sont coupables. Ce sont les hommes qui, CONSCIEMMENT OU INCONSCIEMMENT, participent à leur élaboration. Et c'est bien là notre raison d'espoir et la légitimation de tout combat pour le changement. Si ce sont les hommes qui sont coupables, alors ils peuvent apprendre à devenir différents, alors il vaut la peine de les convaincre. Peut-être même oserais-je ajouter l'iconoclaste pensée que les révoltes vertueuses, ces dénonciations passionnées et cette ferveur mystique dans lesquelles les jeunes générations SONT EN TRAIN DE S'ALIÉNER TEMPORAIREMENT, constituent actuellement le RISQUE LE PLUS GRAVE DE RÉGRESSION BUREAUCRATIQUE." (Les majuscules sont de votre serviteur.)
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Mon cher Gustave THIBON a fort bien analysé les aspects ambigus du progrès, souvent assimilé à la nouveauté et le côté JANUS bifrons de la technique (auxiliaire au service de la vie ou bien nouvelle idole). Mon cher LANZA, de son côté, a fui la ville car il ne voyait point comment échapper à l'aliénation que la complexité sociale, technique et organisationnelle des mégalopoles émergentes  faisait peser sur les personnes. Michel CROZIER, toujours dans l'introduction de son ouvrage souligne que la bureaucratie (qui, dit-il en note augmente en France) "constitue le legs paralysant d'un passé où prévalait une conception étroite et bornée des moyens de coopération entre les hommes". En fusionnant l'ANPE et les ASSEDIC, ou le TRESOR et le BUDGET, le Président SARKOZY avait voulu briser les citadelles bureaucratiques que constituaient ces institutions, et obliger leurs acteurs à travailler ensemble ; mais c'était en fait les obliger à quitter ce que CROZIER appelle "le climat de routine, de rigidité, de contrainte et d'irresponsabilité qui caractérise les organisations dont on se plaint" et qui, selon lui, définit la bureaucratie. L'intuition était judicieuse, mais il est clair que la restructuration de ces organisations ne s'était pas accompagnées des mesures qui auraient permis à leurs acteurs une meilleure compréhension de l'importance de la coopération au service de l'emploi ou de l'économie nationale. Tous avaient transformé leurs prés carrés en une fin en soi, sans voir qu'ils n'étaient qu'un moyen.
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Peut-être monsieur HOLLANDE pourrait-il lire ce livre au lieu de faire élaborer par l'Assemblée des Imbéciles un nombre croissant de lois contraignantes, de règlements de tous genres, de contrôles, de sanctions. Et que mon ami Yves ne vienne pas m'accuser de partialité. CROZIER condamne aussi bien l'illusion libérale que l'illusion socialiste, et bien entendu, il renvoie le mélanchonisme et ses variantes au paradis des Bisounours (enfin des Bisounours un peu particuliers).
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C'est tout pour aujourd'hui. C'est trop long, me dira Marcel, un autre ami lecteur. Tant pis.

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