Voici, tiré d'un ensemble d'articles réunis en un seul volume sous le titre La démocratie contre elle-même, une analyse remarquable de Marcel GAUCHET :
"Les difficultés de principe que soulève la
présence massive d’enfants d’origine immigrée dans le système scolaire représentent
à la fois un cas particulier, une amplification dramatique et un condensé
complet des données de notre problème. Elles font ressortir de façon criante le
chemin parcouru. Elles symbolisent pour ainsi dire la mise en échec du projet
de l’école républicaine par les acquis du relativisme culturel. Il est clair en
effet que nous n’aurons plus jamais la bonne conscience et la foi du
charbonnier dans les valeurs universelles de la nation France et de la
civilisation européenne qui ont fait la force assimilatrice incomparable de la
machine scolaire de la IIIe République. On n’éradique pas l’empreinte
de l’Islam comme on a effacé les marques du patois picard ou défait le moule
des catégories bretonnes. Et nous manquons de conviction dans l’imposition pour
faire de bons Français avec de petits Sénégalais sur le mode où on l’a réussi
dans le passé avec de petit Polonais. Aussi cette butée est-elle le foyer d’exemplification
rêvé pour les contempteurs de l’insupportable violence faite aux individus et
aux peuples par la pédagogie traditionnelle. La différence de culture est
érigée en paradigme de cette différence personnelle dont une éduction authentiquement
démocratique doit se proposer le respect et le développement. Il est demandé à
l’école de devenir l’institution prototypique où prendrait forme un lien de
société enfin attentif à la pluralité des êtres, des groupes et des valeurs,
sur la base notamment de la reconnaissance du « droit de l’homme à vivre
dans sa culture ». Ces nobles sentiments ne tardent pas, hélas, à exhiber
leurs limites, et disons le mot, leur malfaisant irresponsabilité. L’inconséquence
flagrante de la belle âme éclate dès qu’on aborde l’épineuse question des
droits politiques. Comment promouvoir la participation politique des
populations immigrées sans imposer de fait une règle du jeu et des normes de
droit qui n’ont rien à voir, le cas échéant, avec les idéaux de leurs cultures
premières ? Que veut dire l’insertion dans la République sans une adhésion
informée et raisonnée à ses principes, dont la fréquentation des autres
cultures révèle assez qu’ils ne vont pas de soi ? Qu’est-ce qu’une
citoyenneté qui ne repose pas sur une connaissance minimale du pays où elle s’exerce
et sur une maîtrise élémentaire du cadre civique qui lui donne corps, sinon une
citoyenneté supplétive ou de seconde zone ? Mais c’est au-delà toute la
question de la participation sociale qui est posée. « Vivre dans sa
culture » au sein d’une autre culture, majoritaire, et culture de la
réussite dont on n’a pas rejoint le sol par hasard, c’est vivre en marge, et
dans l’humiliation quotidienne de ne pas bien posséder les clés de l’univers où
l’on est condamné à évoluer. La notion de « société multiculturelle »
dont se gargarise la gauche mondaine en son invariable bêtise relève à cet
égard de l’imposture démagogique la plus caractérisée. Elle vaut à l’échelle d’une
mince élite suffisamment formée pour évoluer à l’aise d’une langue et d’un
cadre de pensée à l’autre. Dans son application de masse, elle signifie pour la
plupart privation, existence à l’écart, enfermement dans une appartenance
interdictrice."
Marcel GAUCHET.
La démocratie contre elle-même. Tel Quel N°317.
Article L'Ecole à l'école d'elle-même. Contraintes et contradiction de l'individualisme démocratique.
Publié initialement dans Le Débat, N°37, nov.-déc. 1985.
(Pages 121 et 122 de Tel Quel).
En écho à cette charge contre la gauche mondaine et son invariable bêtise, ce constat de Claude LEVI-STRAUSS :
"Un choix éthique qui engage la culture du pays d'accueil ne peut s'exercer qu'entre deux partis : soit proclamer que tout ce qui peut se prévaloir de la coutume est permis n'importe où ; soit renvoyer dans leur pays d'origine ceux qui - et c'est leur droit - entendent rester fidèles à leurs usages même si, quel qu'en soit le motif, ils blessent gravement la susceptibilité de leur hôte.
In
Claude-LEVI-STRAUSS.
Nous sommes tous des cannibales, page 90. Le Seuil, Paris, 2013 (Collection La librairie du XXIe siècle).
Nous sommes tous des cannibales, page 90. Le Seuil, Paris, 2013 (Collection La librairie du XXIe siècle).
Deux remarques s'imposent :
Marcel GAUCHET ne se réclame d'aucune religion ni d'aucun parti. C'est un sociologue d'une rare finesse.
Claude LEVI-STRAUSS a milité au parti socialiste en compagnie de l'un des pires laïcards de la IIIe République, Maurice DEIXONNE. C'est un chaud partisan du relativisme culturel. Il ne prône en aucune façon la supériorité d'une culture sur l'autre. Mais il estime que le respect que l'on doit à chacune d'elle exige que l'on se plie à ses us et coutumes.
Voilà donc deux personnalités qui ne sont en aucune façon des raciste ou des nazis et qui pourfendent, chacune avec ses propres arguments, le multiculturalisme si cher à la belle et calamiteuse carnassière laquelle achève de détruire ce que la IIIe République avait eu tant de mal à édifier. Je reviendrai dans un prochain billet sur deux articles, publiés dans Le Monde et qui illustrent à merveille quoique contradictoirement selon moi, et bien que tous deux écrits par des personnalités de gauche, l'insoluble contradiction de l'anthropologie de l'autoconstruction, hors de toutes les déterminations (familiales, religieuses, sociales, etc. si odieuses à monsieur Vincent PEILLON), et les obligations scolaires. Nous y reviendrons donc.
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