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Il
y a de bonnes barricades, et il en a de mauvaises. Voici une bonne barricade décrite par Victor Hugo, dans le livre V des Misérables.
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"Au moment où Gavroche
débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d’une borne, une balle
frappa le cadavre.
— Fichtre ! fit
Gavroche. Voilà qu’on me tue mes morts.
Une deuxième balle fit
étinceler le pavé à côté de lui. Une troisième renversa son panier.
Gavroche regarda, et vit que
cela venait de la banlieue.
Il se dressa tout droit,
debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l’œil fixé sur les
gardes nationaux qui tiraient, et il chanta :
On
est laid à Nanterre,
C’est la faute à Voltaire ;
Et bête à Palaiseau,
C’est la faute à Rousseau.
Puis
il ramassa son panier, y remit, sans en perdre une seule, les cartouches qui en
étaient tombées, et, avançant vers la fusillade, alla dépouiller une autre
giberne. Là une quatrième balle le manqua encore. Gavroche chanta :
Je
ne suis pas notaire,
C’est la faute à Voltaire ;
Je suis petit oiseau,
C’est la faute à Rousseau.
Une cinquième balle ne réussit qu’à tirer de lui un
troisième couplet :
Joie
est mon caractère,
C’est la faute à Voltaire ;
Misère est mon trousseau,
C’est la faute à Rousseau.
Cela
continua ainsi quelque temps. Le spectacle était épouvantable et charmant.
Gavroche, fusillé, taquinait la fusillade. Il avait l’air de s’amuser beaucoup.
C’était le moineau becquetant les chasseurs. Il répondait à chaque décharge par
un couplet. On le visait sans cesse, on le manquait toujours. Les gardes
nationaux et les soldats riaient en l’ajustant. Il se couchait, puis se
redressait, s’effaçait dans un coin de porte, puis bondissait, disparaissait,
reparaissait, se sauvait, revenait, ripostait à la mitraille par des pieds de
nez, et cependant pillait les cartouches, vidait les gibernes et remplissait
son panier. Les insurgés, haletants d’anxiété, le suivaient des yeux. La
barricade tremblait ; lui, il chantait. Ce n’était pas un enfant, ce
n’était pas un homme ; c’était un étrange gamin fée. On eût dit le nain
invulnérable de la mêlée. Les balles couraient après lui, il était plus leste
qu’elles. Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-cache avec la
mort ; chaque fois que la face camarde du spectre s’approchait, le gamin
lui donnait une pichenette.
Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que
les autres, finit par atteindre l’enfant feu follet. On vit Gavroche chanceler,
puis il s’affaissa. Toute la barricade poussa un cri ; mais il y avait de
l’Antée dans ce pygmée ; pour le gamin toucher le pavé, c’est comme
pour le géant toucher la terre ; Gavroche n’était tombé que pour se
redresser ; il resta assis sur son séant , un long filet de sang
rayait son visage, il éleva ses deux bras en l’air, regarda du côté d’où était
venu le coup, et se mit à chanter.
Je suis tombé par terre,
C’est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C’est la faute à…
Il
n’acheva point. Une seconde balle du même tireur l’arrêta court. Cette fois il
s’abattit la face contre le pavé, et ne remua plus. Cette petite grande âme
venait de s’envoler."
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Remplacer,
maintenant le mot « insurgés » par « Gilets jaunes », « Gavroche »
par « Kevin » ou tout autre prénom, « Garde du Roi » par « Garde
mobile », « mort » par « évanouis », et « munitions »
par « matraque », « bouclier » ou « casque », et
vous avez une transposition de la bonne barricade républicaine à la mauvaise
barricade des factieux de monsieur CASTANER.
Voyez-vous,
quand depuis des générations, dans les lycées, on fait étudier ce texte fameux
de la mort de Gavroche, admirablement composé, il faut en convenir, il n’y
a pas lieu de s’étonner que le mythe des bonnes barricades prennent racine dans
le cœur des réprouvés du système. Mais pour ceux qui sont du bon côté du manche,
il s’agit de mauvaises barricades, pas de ces barricades de juin 1832,
célébrées à grand coup de trompe dans les devoirs de français imposés aux
lycéens et élevées à la hauteur de mythes fondateurs de la République. Il ne
faut pas s’étonner de voir resurgir concrètement ces vieux mythes, heureusement
détruits par les blindés, les lances à eau, les grenades lacrymogènes, et les
grenades de désencerclement. Au crédit de la présente et moribonde république,
il faut tout de même souligner qu’il n’y a pas eu de morts (ce que monsieur
MACRON avait publiquement craint).
Je
dénonce ici l’ignominie qui consiste à appeler « radicalisés » des
hommes et des femmes qui luttent pour leur survie, en les affublant d’un
qualificatif que l’on attribue aux terroristes islamistes. Il s’agit là d’un de
ces tristes « éléments de langage » élaborés par les communicants des
ministères et du pouvoir et que l’on diffuse régulièrement aux journalistes, lesquels les reprennent à leur compte, sans trop s'interroger sur leur pertinence ou au contraire en acceptant de se faire complice du mensonge.
Je
dénonce l’usage disproportionné de la force contre des manifestants d’abord
relativement paisibles, puis infiltrés peu à peu par des éléments qualifiés d’ultradroite
pour faire symétrie avec les éléments de l’ultragauche, parfaitement
majoritaires dans les violents. Je n’ose même pas évoquer la pudeur de rosière
des journalistes qui n’ont pas été capables de dire que les pilleurs et les
casseurs de la dernière heure était les « jeunes » de banlieue formant
des bandes ethniques parfaitement organisées. En s’efforçant d’assimiler les
gilets jaunes à des factieux ou des violents, le pouvoir montre son
aveuglement, sa trouille, et son incapacité à comprendre la détresse des
laissés pour compte.
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