Les sociétés développées sont atteintes d'une nouvelle maladie, celle de la transparence à tout prix, la diaphanose en quelque sorte, à quoi est attaché un symptôme inquiétant, celui de la traçabilité.
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La chose a commencé avec l'exacerbation de cette manie de tout noter, tout maîtriser, tout dominer, dans l'industrie pharmaceutique. On a vu apparaître des balances automatiques qui, à chaque pesée de réactifs, délivrent un ticket imprimé portant la date et le poids mesuré, ticket que les chercheurs ou les manipulateurs doivent coller dans leur cahier. Parallèlement, les compagnies pharmaceutiques ont rédigé des Procédures Opératoires Standard dans les quelles sont décrites avec le moindre détail les étapes d'une opération précise. Des contrôleurs de qualité vont, Procédures en main, vérifier qu'il y a bien une éprouvette en verre de 50 ml à côté de tel appareil, destinée à mesurer tel liquide. Elle ne doit pas être en polypropylène et faire 100 ml. Ce serait une entorse insupportable à la traçabilité.
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Insensiblement, cette manie du contrôle à tout prix s'est étendu au domaine agro-alimentaire. On croyait que c'était un progrès. Erreur. Car si tout est traçable, mais que rien n'est nuisible, alors tout est permis dans cette limite d'innocuité. Des pommes de 15 cm de diamètre, insipides mais tracées, des oranges calibrées et traitées au fongicide, toujours dans la plus grande traçabilité, par exemple, ont remplacé les pommes d'antan, parfois tavelées, aux formes irrégulières, produites dans des vergers artisanaux, ou les oranges fleurant bon la méditerranée. Goûteuses, mystérieuses, irrégulières, fantaisistes mêmes, mes pommes de jadis ont sombré dans la grande réglementation européenne. Les oranges n'ont de méditerranéennes que le nom, voire même l'origine. Mais elles sont mécaniques (!). Les haricots verts, standardisés au millimètre près, viennent du Kénya où leur culture ruine les paysans qui ne peuvent plus faire de cultures vivrières classiques s'ils veulent vivre.
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Et puis la diaphanose et la traçabilitose ont contaminé le monde de la presse, et valent à messieurs ASSANGE (et son Wikileaks) et PLESNEL (et son Médiapart), au nom du droit à l'information, une renommée sulfureuse. Le premier se donne la liberté de diffuser des informations susceptibles de mettre en péril la vie de nombreux êtres humains, le second de dire n'importe quoi, ou plus exactement de sélectionner dans les boueuses informations qu'on lui transmet confidentiellement, celles qui peuvent nuire au maximum à ses adversaires idéologiques, devenus de vrais ennemis. Mais au nom du droit à l'information, ils se refusent, et ils nous refusent, celui de savoir le nom de leurs peu délicats informateurs. C'est que la transparence a ses limites quand il s'agit de faire de l'argent. Il faut en effet bien comprendre que c'est l'effraction des secrets qui permet à ces messieurs de vivre. Il y a bien peu de responsabilité dans tout cela, et beaucoup de venin. Un exemple ? Une dépêche d'un ambassadeur américain diffusé par Wikileaks, et repris par la presse française, informe son gouvernement que monsieur BONGO aurait détourné des millions d'euros (ce n'est pas un scoop) et qu'il aurait arrosé les partis politiques français. Pourquoi les médias se croient-ils obligés de citer messieurs CHIRAC et SARKOZY et de taire les noms des politiciens de gauche qui auraient été gratifiés eux aussi de cette manne africaine ? (Notez que le PS comme l'UMP démentent...).
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Voyez-vous, cette volonté de tout savoir, de tout dire, de tout expliquer, relève d'abord d'un volonté de puissance jamais satisfaite. Ensuite, elle fait litière du mystère qui entoure toutes les décisions qu'un être humain est amené à prendre. Et enfin elle est illusoire, car elle ne saura jamais tout. De plus, surtout dans la transparence que promeut une certaine presse, il y a un dessein de malveillance et de manipulation qui m'est insupportable. Et la transparence de ses responsables me paraît bien opaque.
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Ceci étant dit, il n'est pas question de laisser les responsables politiques faire n'importe quoi, sans contrôle ni contre-pouvoir. Mais ce n'est pas à la presse de diffuser des prétendues 'informations', qu'elle a soigneusement sélectionnées, c'est au citoyen qu'il revient de réfléchir et de choisir en conscience l'interprétation de ce qu'il voit et entend, et c'est à lui qu'il revient de réclamer des explications, d'exiger un contrôle démocratique des décisions de l'exécutif par le corps législatif. Il me semble que c'est le B.A. BA de la démocratie.
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