Il se tint d'étranges propos à la Chambre des députés, le 28 juillet 1885. Jules FERRY devait s'expliquer devant la représentation nationale sur sa politique ouvertement colonialiste, combattue à la fois par la droite (monarchistes) et l'extrême gauche (qui nous paraîtrait bien pâle aujourd'hui) à laquelle appartenaient CLEMENCEAU et Camille PELLETAN ["pas d'ennemis à gauche" disait ce dernier] ; la gauche modérée, les radicaux, les socialistes soutenaient cette politique. Jules FERRY devait donc la défendre à la fois contre les opposants de droite et d'extrême gauche, qui voulaient renforcer les défenses françaises face à l'Allemagne, sur la frontière des Vosges plutôt que de se lancer dans des expéditions coloniales hasardeuses. Camille PELLETTAN avait dénoncé avec virulence la politique d'expansion coloniale menée par FERRY. Voici les passages les plus significatifs de la passe d'armes du 28 juillet 1885 dont les admirateurs de Jules FERRY n'ont pas lieu d'être fiers.
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"Sur ce point, l'honorable M. Camille Pellettan raille beaucoup, avec l'esprit et la finesse qui lui sont propres ; il raille, il condamne, et il dit : Qu'est-ce que c'est que cette civilisation qu'on impose à coups de canons ? Qu'est-ce, sinon une autre forme de la barbarie ? Est-ce que ces populations de race inférieure n'ont pas autant de droit que nous ? Est-ce qu'elles ne sont pas maîtresses chez elles ? Est-ce qu'elles vous appellent ? Vous allez chez elles contre leur gré, vous les violentez, mais vous ne les civilisez pas.
Voilà messieurs, la thèse : je n'hésite pas à dire que ce n'est pas de la politique, cela, ni de l'histoire, c'est de la métaphysique politique... (Ah ! Ah ! à l'extrême gauche)
Voix à gauche : Parfaitement !
M. Jules FERRY : ... et je vous défie - permettez-moi de vous porter ce défi, mon honorable collègue, monsieur Pelletan, - de soutenir jusqu'au bout votre thèse qui repose sur l'égalité, la liberté, l'indépendance des races inférieures. Vous ne le soutiendrez pas jusqu'au bout, car vous êtes, comme votre honorable collègue et ami M. Georges PERIN, le partisan de l'expansion qui se fait par voie de trafic et de commerce.
M. Camille PELLETAN : Oui !
M. Jules FERRY : Vous nous citez toujours comme exemple, comme type de la politique coloniale que vous aimez et que vous rêvez, l'expédition de M. de Brazza.
Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures... (Rumeurs sur plusieurs bancs à l'extrême gauche).
M. Jules MAIGNE : Oh ! Vous osez dire cela dans le pays où ont été proclamés les droits de l'homme.
M. de GUILLOUTET [un monarchiste] : C'est la justification de l'esclavage et de la traite des nègres !
M. Jules FERRY : Si l'honorable monsieur Maigne a raison, si la déclaration des droits de l'homme a été écrite pour les noirs de l'Afrique équatoriale, alors de quel droit allez-vous leur imposer les échanges, les trafics ? Ils ne vous appellent pas (interruptions à l'extrême gauche et à droite. Très bien ! Très bien ! sur divers bancs à gauche.)
M. Raoul DUVAL : Nous ne voulons pas leur imposer ! C'est vous qui les leur imposez !
M. Jules MAIGNE : Proposer et imposer sont des choses fort différentes !
M. Georges PERIN : Vous ne pouvez pas cependant faire des échanges forcés ! "
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Et voilà le clou, l'apothéose de la pensée de Jules FERRY.
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"M. Jules FERRY : Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures... (Marques d'approbation sur les mêmes bancs à gauche - Nouvelles interruptions à l'extrême gauche et à droite)."
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Qui osera dire enfin que ces paroles sont ignobles ? Qu'elles témoignent d'un racisme et d'une arrogance insupportables ? Et qu'elles traduisent l'opinion majoritaire de la Chambre des députés de l'époque. Pour l'honneur de la France, heureusement, il y eut à droite comme à l'extrême gauche des hommes qui ont protesté contre cette vision-là. Elle nous a certes valu le deuxième empire colonial du monde (après celui des Anglais). Elle nous vaut aujourd'hui le ressentiment de ces peuples qui avaient autant à nous apprendre qu'à être enseignés par nous, et elle est à l'origine de la haine ou de l'hostilité que nombre de citoyens des anciennes colonies françaises expriment à l'égard de notre patrie. En outre, elle fut une bombe à retardement, puisque la colonisation arrogante est à l'origine de flux migratoires que nous ne pouvons plus contrôler.
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Il n'empêche que monsieur Jules FERRY a l'insigne honneur d'être l'éponyme de nombre de lycées, d'avenues, boulevards, rues et places. Qu'en pensent les tenants de la laïcité à la française qui doivent tant à Jules FERRY ? Aujourd'hui, monsieur FERRY serait déféré devant les tribunaux.