lundi 1 août 2011

Synthèse et confession

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Les lecteurs réguliers de ce Blog  (si, si ; il y en a) doivent se demander si je suis cohérent. Tantôt, je dénonce l'arrogance des Lumières à vouloir fonder des valeurs universelles, et tantôt je soutiens qu'il y a des lois qui valent pour tous les hommes, en tous temps et en tous lieux. C'est que je ne parle pas de la même chose quand j'évoque l'arrogance d'un VOLTAIRE et de ses épigones, et la loi naturelle. J'ai promis à Pierre-Henri THOREUX, qui commentait mon billet d'hier sur la dictature du relativisme, de reprendre plus largement cette question. Ce lecteur amical et attentif met en avant l'impératif catégorique de KANT ; un tel impératif est censé fondé la morale indépendamment de toute référence à Dieu.
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Il convient de rappeler d'abord une des formulations de cet impératif : Agis seulement d'après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle. Je soutiens que nombre d'êtres humains pensent agir de telle sorte que leur action puisse devenir une loi universelle. Et c'est bien tout le problème. Si j'agis de cette façon, je me fonde sur ma seule subjectivité (laquelle peut ne pas s'accorder à celle d'autrui), et je propose une norme qualifiée de morale ; je puis être sincère, mais être aussi dans l'erreur. La prétention des philosophes des Lumières étaient bien cette prétention à l'universel.
Certes, la présentation que je fais de l'impératif catégorique est très caricaturale, et KANT y ajoute bien des conditions auxquelles il est facile de souscrire, notamment ne jamais traiter autrui comme un moyen, mais toujours comme une fin. KANT, comme FENG YOULAN, souligne qu'un acte apparemment moral, mais intéressé, n'est pas moral, et il soutient que la fin de la vie humaine n'est pas le bonheur, mais une vie morale. C'est du moins ce que j'ai cru comprendre en lisant ici et là  des résumés ou des commentaires. Car j'avoue que les textes originaux sont... plutôt d'abords difficiles.
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En vérité, la seule manière d'échapper à la dictature d'une loi parfaitement arbitraire, et reposant sur des normes définies par des "experts" (Comités d'éthique Hippolyte et Théodule...), est de reconnaître qu'il existe une loi naturelle sur laquelle toutes les civilisations ont été fondées. Toutes aussi attribuent cette loi naturelle à un Dieu (créateur ou non, selon les époques et les continents). Peut-on imaginer que les hommes qui ont vécu dans ces civilisations et les ont fécondées de leur expérience, aient décrété de l'existence d'un Dieu en regardant simplement dans leur cerveau ? Sur quel réel ont-ils défini des règles à valeur authentiquement universelle (en gros et pour faire simple, les Dix Commandements) ? Un seul homme, fût-il génial, grand fréquentateur de salons parisiens, peut-il avoir raison contre des milliers de ses congénères ?
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J'ai passé quarante ans de ma vie à faire de la recherche. J'ai observé au microscope, par exemple et entre autre, la contraction de fibres musculaires humaines innervées par des explants de moelle épinière embryonnaire de rat. Il fallait que je rende avec des mots, des pauvres mots, une réalité fascinante. Je n'ai jamais cru que ma description verbale épuisait ce que je voyais, et que les idées abstraites qui me venaient en conclusion de mes observations étaient nées spontanément dans mon cerveau. Il fallait bien que j'écrive pour transmettre, mais je ne pouvais faire passer dans mes articles l'admiration que j'éprouvais devant la manifestation de la vie. Oui, Marcel DE CORTE a raison : "le concept est le fils des noces de l'intelligence et du réel". Et j'ajouterai qu'il ne l'épuise pas.
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Dans son ouvrage d'accès difficile (car la traduction française en est franchement mauvaise, lourde et trop littérale) intitulé Entre l'oralité et l'écriture, Jack GOODY, spécialiste reconnu de la littérature orale dit ceci (que je commenterai brièvement) : "Après l'introduction de l'écriture, la voix de Dieu fut remplacé par Sa main ; l'autorité de l'Ecriture est l'autorité de l'écrit et de de la parole. La religion écrite implique la stratification. L'écrit appartient au prêtre, à l'homme instruit, et est enchâssé dans la religion ritualiste ; l'oralité est la sphère du Prophète, de la religion extatique, des cultes messianiques, de l'innovation. [...] Le conflit entre le prêtre et le prophète, entre l'Église et la secte, est la contrepartie du caractère figé du texte et fluide de la parole."
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Je ne partage pas entièrement ce point de vue, si du moins l'auteur entend viser les Églises chrétiennes. (Il en va différemment s'il parle de l'islam.) En effet, il aurait dû noter que Jean donne le nom de Verbe de Dieu à Jésus, et que s'il existe une Église, c'est précisément pour éviter le fondamentalisme découlant d'une interprétation littérale des textes reçus, et pour mettre en relief le caractère sans cesse innovant de la Parole. Non, l'Église de Jésus n'est pas une Église du Livre, mais une Église de la Parole. Et je confesse ici, après avoir tant cherché, et alors que je suis dans la dernière partie de ma vie, jamais la Parole de Dieu ne m'a paru si vivante, si nourrissante, si épanouissante. Et pourtant le Maître le dit : "Vous demeurez dans mon amour si vous observez MES COMMANDEMENTS", à commencer par ceux qui sont inscrits dans la nature, sans aucun doute.
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Voilà le fruit d'une très longue réflexion, d'un très long chemin. Je n'en suis pas au bouT
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4 commentaires:

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Avec tout le respect que je vous dois, il me semble que nous manifestions sur un tel sujet, une petite divergence. Tant mieux après tout, le débat d'idées n'en est que plus riche ! Cela dit je ne pense pas que nous soyons très éloignés sur le fond des choses. Vous êtes croyant, je suis agnostique c'est une sorte de ligne de clivage, mais pour moi en tout cas nullement une contradiction. Car mon agnosticisme est une espérance, tout comme l'est votre foi je suppose. Malheureusement pour moi, cette espérance se teinte de doute.

Sur trois sujets que vous évoquez, ce doute me conduit à adopter une position plus empirique que la vôtre. Sur l'avortement par exemple, je n'ai pas de certitude car j'ignore quand l'embryon devient un être humain. Est-ce au moment de la fécondation ? Est-ce au moment où le cœur se met à battre ? Est-ce à la douzième semaine comme le législateur le prétend ? Ou bien est-ce à la naissance ? N'ayant pas de réponse je ne saurais qualifier de crime l'IVG et suis enclin à considérer comme absurde toute législation sur le sujet. Pour autant je suis désolé qu'elles restent aussi nombreuses eu égard aux moyens efficaces et facilement accessibles de contraception. La banalisation par les Pouvoirs Publics de l'IVG est grandement responsable de cet état de fait. S'agissant de l'homosexualité, je ne trouve pas non plus d'argument irréfutable pour la considérer comme inférieure à l'hétérosexualité même si je trouve évidemment cette dernière plus naturelle notamment pour faire des enfants... Quant à l'euthanasie, je la réprouve dans sa version "active " car je ne vois aucun critère indiscutable autorisant à la mettre en œuvre. En revanche je ne vois pas d'objection à adapter les soins à la situation, et dans certains cas, à privilégier la lutte contre la douleur plutôt que la prolongation de la vie.
Pour revenir enfin à Kant je ne peux m'empêcher de faire un parallèle entre votre position et celle de Michel Onfray consistant à faire du philosophe allemand l'inspirateur du nazisme. C'est faire à mon humble avis un contresens sur le message, qui prévient au contraire toutes les dérives idéologiques de la philosophie. L'impératif catégorique dans son expression la plus simple veut qu'on évite de faire à autrui ce qu'on ne voudrait pas qu'il vous fasse...
Enfin, il me semble que Kant n'est pas, contrairement à Nietzsche ou à Onfray, l'ennemi de Dieu. Simplement il considère qu'il ne sert à rien d'user de raisonnement logique en matière de métaphysique puisqu'elle échappe précisément à l'entendement humain. Dans le domaine, tout est respectable à condition de ne pas conférer à la foi la nature d'une loi qui doive s'imposer à tous. De ce point de vue, Kant fait à mon sens preuve d'une grande humilité et me paraît beaucoup plus proche de Socrate que de Platon, et des pragmatiques que des idéalistes. Mais peut-être me trompe-je...

Philippe POINDRON a dit…

Cher Pierre-Henri, toute espérance se nourrit de doute... C'est l'évidence même. J'en suis là moi-aussi.
Nous sommes sur la même ligne de pensée, c'est aussi l'évidence.

Car vous ne croyez pas que la norme morale puisse être définie par des hommes. Il me semble que vous croyez aussi à l'existence d'une nature humaine, connaissable, consistante, transhistorique et transgéographique.

Vous êtes médecin, je ne le suis pas. Vous avez sans doute eu affaire à des situations de grande détresse chez des femmes qui ne voulaient ou ne pouvaient conduire à terme une grossesse. Et loin de moi de condamner qui que ce soit dans ce domaine. Je pense simplement que l'embryon est effectivement une personne, sans défense, sans parole (infans : celui qui ne parle pas) et qu'il faut bien que quelques uns servent d'avocat à ces sans-défense. Je connais quelques femmes qui ont avorté ; elles ne s'en sont jamais remises. Il est vrai que j'en connais aussi à qui cela ne pose (en apparence du moins) aucun problème. La question n'est pas là, me semble-t-il. La question est de savoir si l'on peut qualifier de moral l'avortement, en faire une norme de la "santé reproductive" (dixit l'ONU et les Grands Machins). Tous vos présents commentaires sur le sujet sont marqués de bon sens et d'humanité. Il ne fallait pas légiférer, mais laisser à la conscience éclairée d'une équipe de médecins, moralistes, agents sociaux le soin d'écouter la femme en demande d'avortement et de prendre une décision du moindre mal. Il ne fallait pas en faire une norme, inscrite dans le droit positif.

Philippe POINDRON a dit…

Comme vous le savez peut-être, je suis bénévole dans une association qui accueille des personnes séropositives. Nombre d'entre elles sont homosexuelles. Depuis les quatre ans que je vais tous les lundis, de 11 h 30 à 18 h pour rencontrer ces amis (je maintiens le mot), je ne me suis jamais permis de porter un jugement sur eux. Je constate que beaucoup d'entre eux disent ne pas être libres de leur choix, ont du mal à accepter leur orientation sexuelle (pas tous mais presque), et portent sur eux-mêmes un jugement très négatif et culpabilisant. Je ne crois pas que cela résulte d'une quelconque réaction à une homophobie ambiante, mais d'une confuse prise de conscience qu'il y a quelque chose de mal adaptée à leur nature d'être humain. Beaucoup d'entre eux ont une sensibilité spirituelle que nombre de prétendus chrétiens pourraient envier si seulement ils voulaient bien ouvrir les yeux.

Je ne confierais jamais ma peau ni celle d'un proche à un médecin qui serait promoteur de l'euthanasie active. J'ai collaboré toute ma vie avec nombre de collègues hospitaliers. Je n'en connais aucun qui eût approuvé de tels gestes. Il n'en reste pas moins vrai qu'il est inutile de prolonger de quelques jours, voire de quelques heures, la vie d'un être qui souffre, et qu'il existe des médicaments qui tout en allégeant la souffrance peuvent écourter la vie (je pense à la morphine et à ses effets sur la respiration). Là encore, il faut être à la fois prudent et nuancé, et ne pas confondre sensiblerie des tripes et nécessaire compassion.

KANT n'est pas le père direct du nazisme, ni du fascisme, ni du communisme (il en a fait le lit, dixit CLAVEL). Mais en soutenant que nous ne pouvons connaître des choses que les phénomènes et que leur qualité "nouménale" demeure à jamais inaccessible à l'intelligence, il rend possible toutes les constructions systématiques, idéologiques, et artificielles. On en revient à la loi naturelle. KANT n'est pas l'auteur de la règle de réciprocité que vous énoncez si bien, et qui (j'y avais du reste pensé) a été énoncé par Jésus (sous une forme positive : fais à autruio etc...) et par d'autres penseurs (je pense à CONFUCIUS) à la fois sous la forme négative (ne fais pas à autrui etc.) et positive. Là vous me faites plaisir à un point extrême. Je me bats depuis l'ouverture de ce Blog pour mettre cette REGLE d'OR au centre de la vie sociale, culturelle et politique.
Je termine avec KANT : je suis assez d'accord avec le fait que la logique ne permet pas d'aller à la foi. Mais il y a des prémices rationnelles à la foi, et il est plus raisonnbla de croire que de ne pas croire. Qui en effet peut répondre à la question : Pourquoi y-a-il quelque chose plutôt que rien ?

CORATINE a dit…

Oui, oui, il y a des lecteurs assidus de votre blog. Mais lorsque vous partez dans de telles sphères philosophiques, j'avoue que cela devient un peu abstrait pour moi, voire très difficile à suivre.
Pourtant, il y a bien des années, j'ai quand même obtenu une licence de lettres, mais j'avoue que les philosophes m'ont souvent quelque peu ennuyée, de par les circonvolutions compliquées de leur écriture et de leur pensée que je trouvais souvent un peu loin de la réalité.
Par contre, je dois l'avouer, je serai plus proche des croyances de M. Pierre-Henri Thoreux et sa culture me semble un peu plus compatible avec la mienne, bien que j'envie beaucoup votre foi. Ce doit être formidable de toujours pouvoir se raccrocher à un Dieu supérieur et d'être persuadé qu'il existe un paradis où l'on se retrouvera tous sous une forme éthérée jusqu'à la résurrection générale dans un monde parfait peut-être mais surpeuplé certainement???.....