dimanche 13 décembre 2009

Démocratie et minarets

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Les citoyens de la Confédération Helvétique ont donc voté : ils ne veulent pas que l'on construise de minarets dans leur pays. Ils n'ont pas dit "mosquées", ils ont dit "minarets". Ce vote a entraîné la réprobation de nombreuses organisations, partis, personnalités, et c'est surtout en France que la réprobation a été la plus incisive et la plus venimeuse.
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Première observation : ce vote a été rendu possible, au titre des référendums d'initiative populaire, parce que le nombre requis de citoyens l'ont expressément demandé. Il y a eu un débat avant le vote. L'alternative était claire : oui ou non ; en ce sens elle satisfaisait au théorème de CONDORCET qui dit que l'opinion majoritaire ne peut être connue si plus de deux choix sont ouverts au suffrage. Enfin, comme le veut la constitution helvétique, la double majorité, celle du peuple, et celle des cantons a été atteinte. On peut raisonnablement conclure que le processus était démocratique au sens où l'entendent nos chers philosophes des Lumières : c'est bien l'opinion majoritaire du peuple suisse qui a été exprimée par ce vote.
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D'où vient donc la réprobation des contempteurs de nos voisins ? Car elle a bien une origine. On peut observer que ceux qui critiquent les résultats sont clairement des démocrates. La réprobation ne jaillit pas d'un supposé viol du principe démocratique qui leur est si cher (il y aurait pour eux une contradiction insoutenable) : il attribue au peuple et au peuple seul la souveraineté, et ce principe a bien été respecté. La réprobation prend ailleurs son origine. Je vois deux ou trois justifications aux critiques : (a) la première est que le résultat du vote ne satisfait pas l'idéologie de ceux qui s'en désolent ; le peuple aurait raison quand il va dans le sens de leur idéologie ; il est manipulé, il est la proie des passions, il vote sous le coup de l'émotion et son opinion n'a pas de valeur, quand il va dans le sens contraire. On met donc ici l'idéologie au-dessus de la démocratie, et c'est clairement un point de vue totalitaire ; (b) la deuxième origine, plus respectable, est que dans une démocratie où la souveraineté du peuple est déléguée à des représentants élus, il y a des débats plus approfondis, des filtres de procédure, de discussions en commission, d'accumulation d'informations sur les causes et les conséquences de la proposition ou du projet de loi, et que la formule finalement adoptée est celle d'un compromis, imparfait certes, boiteux sans doute, dans lequel majorité et minorité se retrouvent ; (c) il y a une troisième origine possible : celle d'une exigence morale qui transcende toutes les petites ou grandes bassesses de l'âme humaine, depuis la vengeance jusqu'à la crainte. C'est, en gros, la position du Vatican, qui a exprimé un avis très critique sur ce vote.
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Dans tous les cas, on voit que le principe démocratique n'est jamais appliqué, sauf en Suisse. Il est violé (totalitarisme de l'idéologie), édulcoré (démocratie représentative), ou surplombé par des exigences morales qui ne dépendent pas des circonstances du moment, et valent pour tous les temps ou tous les lieux. Mais dans tous les cas aussi, sauf celui de la Suisse, les acteurs politiques placent au-dessus du principe démocratique, soit la volonté de puissance, soit le compromis réaliste, soit l'exigence de vérité.
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L'affaire des minarets est très révélatrice de l'illusion dans laquelle nous vivons. Il n'y a pas de volonté collective car dans nos régimes représentatifs, les solutions adoptées ne satisfont jamais chacun des membres de la collectivité. Il est vrai que nous acceptons théoriquement la règle démocratique qui exige de chacun des citoyens qu'il s'incline devant la loi de la majorité ; c'est bien le seul point d'accord, et cela est vrai aussi pour la Suisse, malgré la clarté du choix proposé, qui empêche que l'on nuance les décisions et les lois. Mais aucun citoyen n'est totalement satisfait des solutions adoptées. Et l'insatisfaction prend sa source en de multiples lieux : celui du sordide intérêt parfois, de l'aveuglement ou de l'ignorance souvent, celui des principes idéologiques, et celui bien plus noble, bien plus fécond, bien plus exaltant qui veut notre préférence pour Dieu et non pour les hommes. Je vais plus loin encore : nos choix, nous les faisons en fonction des idoles que nous nous sommes forgées.
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Thérèse de Lisieux disait : "C'est la confiance, et rien que la confiance qui peut nous conduire à l'amour". Je n'aurais pas eu le courage de voter oui aux minarets si j'avais été suisse, car je n'aurais pas eu confiance... Voilà sans doute où est le noeud du problème.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Cela fait plaisir de te revoir. Je te souhaite un bon Noël, en famille bien entendu. Très amicalement

olibrius a dit…

Ave PP
Sauf erreur de ma part, il y a un mot que vous n'avez pas envoyé directement, c'est le mot "peur". Ne sommes nous pas en plein dedans?

Philippe POINDRON a dit…

Cher Olibrius, j'ai bien parlé de la crainte, mot qui resemble fort à peur... Et comme je termine sur la question de la confiance, vous voyez que je ne suis très loin de votre analyse.
Amicalement.