mardi 6 septembre 2011

Metro bobo

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Ramené par l'un des miens, ce numéro du journal gratuit Metro traînait sur la table basse de notre salon. Je n'ai pas pu résister et j'ai ouvert pour le lire l'exemplaire d'un journal que je considère comme tendancieux et partial. Articles qui reprennent les dépêches d'agence, courrier (très instructif) des lecteurs, minisondages (on apprend, page 10, que 62 % des lecteurs estiment que Jacques CHIRAC doit se rendre à son procès ; si la situation n'était pas aussi tragique, on attribuerait à l'anosognosie dont souffre l'ancien Président de la République le fameux "Je voterai HOLLANDE" ; l'anosognosie n'est-elle pas l'ignorance de son mal par le patient ?), et puis la Tribune libre. Celle du lundi 5 septembre a été commise par Francis METIVIER. Elle s'intitule "La morale de l'histoire".
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Je ne suis pas, comme monsieur METIVIER, auréolé du titre de Professeur de Philosophie, titre qui donne à son propriétaire la réputation du "sachant". Mais enfin il  m'arrive de penser. Et je dois dire que le contenu de cet article me donne à le faire, en me faisant du reste sursauter assez régulièrement d'étonnement ou d'indignation. Monsieur METIVIER s'interroge sur le retour de la morale à l'école, voulu par Luc CHATEL, l'actuel ministre de l'Education Nationale, l'immortel introducteur de la théorie du genre dans le programme des Sciences de la Vie dispensées aux élèves des classes terminales.
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Monsieur METIVIER commence par dénoncer l'emploi du terme "Retour" qu'il associe à "l'honnête homme" (quoique je n'eusse jamais lu cette expression dans les circulaires officielles instaurant cet enseignement). Il ironise : "Ce n'est pas retour vers le futur " mais "avancées vers le passé". Première erreur car ce commentaire est un jugement dépourvu de tout contenu informatif, et revient à faire comprendre au lecteur que tout ce qui serait ancien ou passé serait dépourvu de valeur. Monsieur METIVIER s'inscrit d'emblée dans la lignée des "progressistes" pour qui il n'est de (momentanément) bon que ce qui est nouveau. Absence totale d'esprit critique... Il donne ensuite une définition personnelle de l'honnête homme ce "concept - désuet donc [noter le jugement avant l'énoncé de l'objet du jugement]- désignant au XVIIe siècle un homme possédant assez de savoir pour être socialement agréable". Cette définition est au pire une imposture au mieux une erreur qui traduirait alors une connaissance assez superficielle de ce qu'était un "honnête homme" dans le Grand Siècle. Il continue :  "La question est : possédait-il suffisamment de réflexion pour être sincère ?" Admirable tour de passe-passe qui consiste à faire passer sous la forme d'une question anodine, un jugement de valeur sur les hommes de l'époque se réclamant de cet idéal. Mais il faut lui répondre. Il se peut qu'il y ait eu des hypocrites. Il se peut aussi qu'il y ait eu des hommes sincères. Et je ne pense pas que DESCARTES, PASCAL, MOLIERE, BOILEAU, CORNEILLE, RACINE et tant d'autres gloires aient été dépourvus de sincérité. De plus, comme nulle enquête sociologique, nul sondage, nulle étude scientifique n'ont été faites et ne pourront jamais l'être sur l'honnête homme du XVIIe siècle, on en est réduit, en bon historien, a analyser ce qu'eux-mêmes disaient de cette question. Mais il est vrai que monsieur METIVIER, lui, est un homme parfaitement sincère, à la différence de ces réprouvés.
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"Que voir dans ce programme si ce n'est l'art de travailler les apparences et l'apprentissage de l'hypocrisie sociale ?" Et de rameuter à sa cause notre Blaise PASCAL qui n'en demanderait pas tant s'il était encore de monde. Pour monsieur METIVIER, la morale se résume donc à l'apprentissage de l'hypocrisie sociale ? Et il se dit philosophe ? Il devrait relire KANT. Il poursuit : "Ne confondons pas le cours du professeur et celui du courtisan !" Personnellement, j'aurais garde de ne faire ni l'un ni l'autre. Car la morale n'a rien à voir avec ce que dit notre philosophe. Mais puisqu'il lui faut faire moderne, il tente de rallier à sa cause PINK FLOYD ("PINK FLOYD avait peut-être raison : 'We don't need no education.' ") C'est effarant, proprement effarant. Et ça lui épargne, à lui, l'effort de mettre en pratique ce qu'il enseigne. Je vois du reste dans ce renoncement à l'élévation personnelle la raison essentielle de ses remarques. Mais rien ne l'empêche d'être sincère et de mettre en pratique le respect d'autrui, le civisme, la courtoisie, non pas par hypocrisie sociale, non pour respecter les apparences, mais parce que "moralement c'est juste".
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Là où je suis d'accord avec lui, c'est quand il établi une distinction entre la morale et l'éthique.  Simplement il ne voit pas que la morale est fondée sur la loi naturelle, et l'éthique sur la définition de normes de comportement socialement acceptables (et à moi, il me semble que l'éthique est justement la science de l'hypocrisie sociale : la loi permet ; la loi interdit ; je respecte la loi ; je n'ai rien à me reprocher !)
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Cerise sur le gâteau, monsieur METIVIER estime qu'il est dangereux de faire réfléchir "les enfants sur des notions aussi subjectives que celle du bien et du mal si l'on n'a pas acquis une qualité non pas morale mais éthique : le recul nécessaire à la neutralité du pédagogue". Auparavant, il aura mis en doute la capacité des instituteurs à exercer leur scepticisme de manière fructueuse : "Les instituteurs sont-ils formés à une telle maïeutique ?". Voilà qui va certainement leur faire plaisir. Personnellement, j'ai vu un plus grand nombre d'instituteurs transmettre par l'exemple de leur vie les valeurs morales à leurs petits élèves, que des agrégés ou des professeurs d'Université (je les connais bien). Je doute toutefois qu'il faille hésiter sur l'impératif de respecter toute vie humaine, de ne pas convoiter le bien d'autrui, de ne pas faire de faux témoignages, d'honorer son père et sa mère. Il n'y a pas besoin de maïeutique, d'esprit critique, de grandes études philosophiques pour comprendre la valeur absolu de ces obligations ou de ces interdictions. Encore une fois, comme tant d'autres, Francis METIVIER confond les impératifs apodictiques et les prescriptions casuistiques qui, je le lui accorde, peuvent varier, et heureusement varier, avec le temps.
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Je proposerais volontiers de renommer le journal Metro ; et je suggère un nouveaux titre : Metro des bobos. Car publier de tels propos sans mettre en regard un point de vue contradictoire relève de la propagande, pas de l'information, et traduit la nécessité économique de la rédaction : s'assurer un lectorat régulier, branché, qui lui permettra de faire vivre le journal en vendant des espaces publicitaires à des grossiums du CAC40 ou de la bourse.
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Il me semble que ce texte illustre parfaitement deux conceptions parfaitement opposées de la morale. J'en avais donné les caractéristiques dans un récent billet. Je vous y renvoie. Ce sera (presque) tout pour aujourd'hui, car je reviendrai sur un commentaire de Roparz HEMON sur mon attachement (très relatif, je le lui assure) à la Marseillaise.

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