mardi 8 novembre 2011

Concurrence déloyale

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Dans son  commentaire de mon billet sur un "économiste courageux", Pierre-Henri dit que quand nous parlons de concurrence déloyale, nous voyons les choses de notre point de vue. Je ne suis évidemment pas du tout d'accord avec lui. Mais je pars d'une perspective différente.
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On peut, en effet, comme Pierre-Henri ou Aerelon, se placer sur le terrain de l'économie et des échanges de biens et services, sans regarder le moins du monde les conditions dans lesquels ces derniers sont produits. Je voudrais placer ici le résumé d'une analyse que j'ai faite d'un chapitre du livre de Thierry WOLTON, Le grand bluff chinois. Comment Pékin nous vend sa "révolution" capitaliste. Robert Laffont, Paris, 2007 :

Dans le capitalisme le plus sauvage, les exploités s'organisent pour défendre leurs intérêts. Rien de tout cela en Chine. L'absence d'espace de liberté empêche l'expression d'un marché régulateur. La population est étouffée par un encadrement très strict et ne peut contester, et le flic est ici l'unique syndicat autorisé. Les mines de charbon sont emblématiques de cette spécificité chinoise. Le secteur est massivement privatisé depuis une dizaine d'années. N'importe qui peut creuser un trou pour ouvrir une exploitation. Mais la quasi-totalité des mines privatisées a été récupérée par la nomenklatura communiste. La famille, au sens large, n'a pas laissé échapper un business si rentable dans un pays qui manque cruellement d'énergie. Les nouvelles exploitations, elles, restent le patrimoine de l'État-Parti, unique propriétaire du sol. Ainsi, le 14 février 2005, le contrôleur de la sécurité de la mine SUN JIANWAN (LIAONING) constate que les veines d'exploitation présentent une densité anormale de gaz. Le patron passe outre et menace d'une forte amende les ouvriers qui voudraient sortir du puits. Ce jour-là, l'explosion a fait 213 morts. Il y a en Chine dix fois plus de décès de mineurs qu'en INDE, trente fois plus qu'en AFRIQUE DU SUD, cent fois plus qu'aux Etats-Unis par million de tonnes de charbon extraites. Selon le China Labour Bulletin de HONG-KONG, il y a 20.000 morts chaque année dans les mines chinoises, qui n'ont aucun équipement (foreuses, trépans), et laissent leurs ouvriers attaquer les veines à la pioche. Absence totale de sécurité, corruption des inspecteurs, carence des dirigeants décuplent le danger. Partout ailleurs dans le monde, de vrais syndicats, le droit de grève, une justice indépendante ont fait reculer la mort dans les mines. Le PC chinois n'en veut rien savoir. Beaucoup d'accidents sont cachés au public. La zone sinistrée est interdite aux journalistes. Et le syndicat officiel se charge de calmer les esprits, de disperser les familles endeuillées, de prévenir toute velléité de révolte. Un journal du HEBEI a révélé l'existence d'un réseau de professionnels spécialisés dans la dissimulation des explosions minières : enterrements discrets, achat du silence des familles. Les médias se taisent sur ordre des autorités. Mais le mépris de l'État-Parti est encore plus manifeste dans le secteur de la santé. Le pouvoir n'assure là aucun minimum garanti. La maladie est en Chine la pire des catastrophes qui puissent arriver à un paysan chinois. L'accès aux soins lui est financièrement interdit. Toute intervention à l'hôpital nécessite un dépôt de garanti égal à un an de revenus. Il faut tout payer d'avance. Les médicaments sont vendus par les médecins à des prix prohibitifs. Tuberculose, malaria, choléra, dysenterie frappent des centaines de millions de citoyens. Soixante pourcent d'entre eux seraient atteints d'hépatite B, dix millions du SIDA. Dans le HUNAN, on compte des centaines de milliers de paysans qui sont morts contaminés par le VIH, ou frappés d'hépatite, après avoir vendu leur sang pour une poignée de yuans. En réponse à ces vies sacrifiées, LI CHANGCHUN, le responsable du drame, a été promu.IL est chargé de la propagande au Bureau Politique, instante suprême du PC. En termes d'équité, le système de santé chinois arrive au 181e rang mondial, sur les 191 qu'a examiné l'OMS. La nomenklatura, cependant, est bien soignée. Lors de l'épidémie de SRAS, en 2003, les puissants du parti se sont mis à l'abri avec leur famille, en organisant un pont aérien pour s'installer loin du danger sur le littoral, sans se soucier du sort du peuple. Une noria d'Airbus A300 a transporté en un jour, de la capitale aux lieux refuges, 1.700 dignitaires, escortés de forces spéciales, de médecins, et de services d'urgence, alors que la population ignorait tout du danger. Même MAO avec ses médecins aux pieds nus n'a jamais été vraiment préoccupé de santé publique. Il y a en Chine un peu plus de 2 millions de médecins, soit 6 pour 100.000 habitants, comme dans un pays en voie de développement. Dans ce pays-là, il n'y a pas d'avenir pour les plus pauvres. Du reste, signe révélateur, la Chine est le seul pays au monde où les femmes se suicident plus que les hommes, signe de leur infini désespoir face aux violences de tous ordres dont elles sont les victimes. Ainsi, la vie est peut-être une chance pour ceux qui parviennent à s'enrichir, mais c'est une menace pour le plus grand nombre. Dans cette situation de contention totalitaire, la violence est une tentation quotidienne. L'absence de rapports institutionnels entre le pouvoir et la population engendre la révolte, seule voie possible de réaction pour ceux qui souffrent. Des tonnes d'explosifs ont été volées, nombre d'armes sorties des casernes lors de la Révolution Culturelle n'ont jamais été rendues ; la moindre étincelle peut mettre le feu aux poudres dans ce pays où flotte une odeur de poudre. Les informations sur les grèves, émeutes, explosions diverses qui secouent régulièrement le pays, sont soigneusement filtrées. N'en ont connaissance en détail que les responsables du PC. Émeute contre l'implantation d'une usine polluante, manifestation contre la corruption de la police, jacquerie contre la réquisition de terres par un potentat du Parti, 80.000 incidents de ce genre ont été recensés pour la seule année 2005. Tous les ans, des millions de Chinois se rebiffent contre le sort injuste qui leur est réservé, surtout dans les campagnes où sévit l'arbitraire fiscal, le contrôle des naissances, les expropriations, l'enrichissement des cadres du Parti.
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Avec ces conditions lamentables de production, il est facile d'inonder les marchés de produits peu chers (je n'ai parlé que des mines ; même raisonnement pour les aciéries [émeutes dans les aciéries de WUHAN il y  a deux ou trois ans, après le licenciement de milliers d'ouvriers dont le salaire n'avait même pas été versé] ou pour les usines de chaussures, d'appareils électo-ménagers. Certes, on peut  comprendre que le niveau de vie d'une grande partie du peuple chinois étant très faible (essentiellement la population rurale qui, sans travail sur place, émigre en masse dans les grandes villes, y espérant trouver un travail salarié, et le trouvant en effet, mais à quelles conditions !), il est normal que le prix de revient des objets manufacturés soient moins élevé que chez nous. Il n'empêche que le bon marché excessif est financé avec la sueur des MING GONG  ! En achetant ces produits, souvent de médiocre qualité du reste, nous nous rendons complices de cette exploitation, au seul motif qu'ils coûtent moins chers et sont bons pour le pouvoir d'achat de nos concitoyens. Oubliées les délocalisations, évaporés les scrupules des belles âmes de gauche, envolées les tirades lyriques sur la défense des travailleurs. C'est loin la Chine, et nous ne les voyons pas ces pauvres hères, accablés de travail et de sommeil. Plutôt que de se satisfaire de voir leur pays être l'atelier du monde, les responsables chinois devraient tourner leurs efforts vers leur population et l'énorme marché intérieur que constitue les 800 millions de personnes exclues des bienfaits du progrès économique qui explose en effet dans la partie orientale de l'Empire.
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Concurrence déloyale il y a. Et pas pour des raisons purement économiques, mais pour des raisons sociales et morales. Devons-nous nous satisfaire d'une telle situation ?
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2 commentaires:

tippel a dit…

Cher monsieur, votre billet et plein de vérités incontestables et vous avez raison de les rappeler. Vous pourriez ajouter à la Chine qui exploite honteusement le petit peuple, le Vietnam et la Corée du Nord parmi les pays où un régime de fer communiste continue, comme il y a 50 ans, à écraser sa population.
Je vous ferai remarquer qu’à part ‘le Front National', les autres, depuis les cathos de l’archevêque de Paris en passant par ‘Lutte Ouvrière’ jusqu’à l’UMPS et au ‘MPA’ de Mélenchon, sont tous absents des manifestations contre ces régimes totalitaires. Eh oui, cette méchante économie qui déstabilise la nôtre, elle est politique. Alors si il y a des indignés de dernière minute sur l’économie, ils devraient balayer devant leurs portes et je pense aussi à d’autres affaires qui ne leurs tirent aucune larme.

Pierre-Henri Thoreux a dit…

Après vos remarques, M. Poindron, et celles de Tippel, je crains d'apparaître cynique en vous disant que les conditions dans lesquelles les produits sont fabriqués à l'étranger importent peu...
Au surplus, je trouve assez étonnant qu'on juge si sévèrement aujourd'hui un pays, qui en dépit de tares persistantes est en train de se libérer peu à peu et d'accéder à la prospérité, alors qu'on était si indulgent lorsque Mao l'étranglait d'une main de fer. Bien entendu, je ne parle pas pour vous personnellement M. Poindron, mais combien de balivernes a-t-on entendues sur les mérites du Grand Timonier, sur le fait qu'il avait donné à manger à tous ses compatriotes, sur sa révolution culturelle qu'on portait aux nues, alors qu'elle baignait dans le sang, jusqu'à Giscard qui crut bon de qualifier le monstre de "phare de l'humanité"...).
Les Chinois ont tellement souffert durant le maoïsme que les conditions de travail actuelles doivent leur paraître bien douces. L'absence ou quasi de protection sociale ou de droit du travail est un héritage du régime communiste, mais il ne durera sans doute pas. Je suis optimiste sur l'avenir des pays qui optent pour le capitalisme. Regardez le Japon, Taiwan, ou la Corée (du Sud naturellement). Ils reviennent de loin, mais leurs standards sociaux n'ont plus rien à envier aux nôtres (lesquels ne sont d'ailleurs pas exempts de problèmes).
De toute manière, ce n'est pas l'affaire du gouvernement de déterminer ce qui est bon ou mauvais ou de faire de la morale, mais celle des citoyens. Dans une démocratie responsable, chacun est libre en effet d'acheter des produits de la provenance qui lui sied, et au prix qu'il estime juste.
En définitive, ce ne sont pas les Chinois qui paieraient les taxes "éthiques" à l'import mais les consommateurs français. Instituer des barrières douanières pénaliserait donc bien davantage ces derniers, en raréfiant des marchandises d'usage courant et en augmentant drastiquement leur prix.
Je suis persuadé que ça ne conduirait qu'à aggraver la situation tout en tendant les relations internationales. Depuis qu'ils adhèrent à l'OMC, les géants tels que l'Inde ou la Chine ont déjà fait d'énormes progrès (ils ne reconnaissaient même pas autrefois, le droit international en matière de propriété intellectuelle ou de brevets).
N'essayons pas de fermer l'avenir. Sa nature est d'être ouvert disait Karl Popper...