samedi 4 juillet 2009

Un superbe poème

I MEN (1907-1967) est un poète du groupe dit "de Juillet", l'un des meilleurs, selon François CHENG. Il a vécu de très grands drames familiaux. Bien qu'il ait contribué à la cause révolutionnaire, il sera la cible de féroces critiques. On le laissera mourir dans la solitude et le silence. Le régime ne partage pas ses vues sur la création poétique... En effet.
Dans le livre que François CHENG consacre à la poésie chinoise (Entre source et nuage. La poésie chinoise réinventée. Albin Michel, Paris, 1990), je trouve ce superbe poème d'I MEN, intitulé "Judas" :
"Au milieu des Douze, Judas
Etait là, on le savait.
Trahison.
Mais la potence ne saurait éteindre la flamme,
Comme la mer ne saurait avaler l'unique perle.
La révolution n'est pas à vendre.
Le monde n'est pas à vendre, pas plus que sa longue histoire.
Le Fils de l'Homme
N'est pas à vendre.
Seule a été vendue
L'âme vile de Judas lui-même.
Au milieu des Douze, se tient Judas, tapi
Dans l'ombre de la robe du Créateur
Dans le souffle du combat du Fils de l'Homme,
Dans l'attente vile de son vil destin."
On comprend qu'un poète qui prétend que Le Fils de l'Homme n'est pas à vendre, pas plus que la révolution, ait eu quelques problèmes avec l'un des régimes les plus inhumains, les plus cruels, les plus tyranniques de l'histoire. Un régime encensé par nos hommes de gôôôche, nos intellectuels patentés (de Roland BARTHES à Philippe SOLLERS) des années 1960-1970. Par leur complaisance, ils se sont fait les complices d'innombrables crimes, et sont coresponsables de la mort de millions d'innocents. Eux qui faisaient profession de littérature, ont-ils seulement connu cet homme, reclus et abandonné de tous (il perdit en l'espace de quelques mois, sa femme, sa mère, et sa belle-mère ; il ne semble pas qu'il ait eu d'enfants) ? Ils étaient plus préoccupés de leur gloire en France que de la justice en Chine.
I MEN (Men signifie "porte" en chinois) a encore écrit un autre poème, "Ombre", qui se termine ainsi :
"Que je veille ou que je dorme,
L'ombre de la croix,
Comme la mienne propre,
Me poursuit, m'écartèle,
sans me lâcher."
On retrouve là le souffle terrible qui anime certains Psaumes. Il est vraisemblable que le poète s'en est nourri.
Paix à ton âme I MEN, homme de courage et de foi. Il suffit qu'il n'y en ait qu'un comme toi pour changer la face des événements. Oui, Paix à toi, dans la lumière qui ne ternit ni ne s'éteint jamais.

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