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Un ami, fidèle lecteur du Blog, m' a téléphoné hier matin pour me dire qu'il s'y passait des choses très graves, que les échanges étaient violents, et qu'il convenait que je lusse tous les commentaires sur l'identité nationale afin d'y réagir. J'ai bien réfléchi. Je ne l'ai pas fait. Car cette lecture préalable aurait eu pour effet de soulever des approbations ou des préventions que je qualifierais volontiers de narcissiques "Tiens, c'est bien ! Il pense comme moi" ou "Il raconte des bêtises !"
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Il se trouve qu'une amie m'a prêté l'article d'un théologien protestant, Alain HOUZIAUX, intitulé : "L'idéal de chasteté dès les débuts du christianisme. Pourquoi ?" in Études théologiques et religieuses, 2008/1, pp 73-103. Et c'est dans cet article que je crois avoir trouvé la réponse aux conflits d'opinions qui traversent la réflexion sur l'identité nationale ; HOUZIAUX fait une distinction très remarquable, et opératoire entre le prophète et l'utopiste. Que dit-il ? Ceci :
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"Les prophètes font du Royaume un idéal eschatologique qui appelle et attire. Les utopistes prétendent vouloir instaurer (souvent de force) le Royaume, les prophètes se souviennent que le Royaume ne peut et ne doit être de ce monde. Les utopistes oublient que l'utopie caractérise un "sans lieu" et un "non-lieu" et veulent l'instituer dans le lieu de monde." Et reprenant la distinction de FREUD entre "l'idéal du moi" et "le surmoi", HOUZIAUX poursuit "Notre idéal du moi nous appelle à suivre un idéal, une promesse, un exemple. [...] Notre surmoi édicte des règles, des carcans, des interdictions. L'idéal du moi suscite chez le sujet plutôt des sollicitations positives et idéalistes alors que le surmoi s'exprime plutôt sous forme de prohibitions répressives."
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Et il m'apparaissait que, quelle que soi l'opinion professée en matière d'identité nationale, nous étions tous à la fois un peu prophète et un peu utopiste. Comment, en réalité, le problème se présente-t-il ? Avec les clandestins, nous avons devant nous des hommes concrets, nous sommes nous-mêmes des hommes concrets. Les choses se manifestent alors ainsi :
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On peut imaginer sans peine, que pour les étrangers venus clandestinement en Europe, le départ de leur patrie est un arrachement, une amputation, une douleur. On quitte une terre, des paysages, des coutumes, sa famille, ses amis, un mode de vie, pour aller vers un avenir que l'on croit meilleur et l'on se retrouve dans un pays qui ne peut offrir ce que l'on cherche. On découvre que c'est un mirage, on a honte de son échec (surtout dans le cas d'un Africain qui, venu en Europe, passe pour le grand homme de la famille laquelle se repose alors entièrement sur lui pour sa vie matérielle) et l'on se saigne aux quatre veines pour ne pas perdre la face. On va de petits boulots en petits boulots, de petits larcins en petits larcins, on fraude dans le métro pour se déplacer, on essaye de tirer le maximum des prestations sociales ; à dire le vrai, on n'a guère d'autre choix.
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Comment se présente pour les Français, hommes concrets que nous sommes, cette situation ? Nos enfants, malgré de longues études, ne trouvent pas de travail. Les médias ne cessent de nous rabâcher que le pouvoir d'achat est en régression. Certaines bandes de jeunes font peur et sont dangereuses - on glisse là de la question des étrangers clandestins à celle des jeunes issus de l'immigration - les nuisances engendrées par les campements sauvages de clandestins deviennent insupportables aux riverains. La CGT met de l'huile sur le feu en organisant des grèves sur le tas dans les entreprises ou établissements qui emploient des étrangers sans titres de séjour, et réclame pour eux une régularisation, légitimable par certains côtés : ils font le travail que nous ne voulons plus faire. Ces dysfonctionnements sont sans doute peu nombreux par rapport à la masse des étrangers. Mais ce sont eux que les médias commentent. D'où le mécontentement d'une partie de l'opinion qui, se sentant abandonnée des autorités, durcit son discours et ses pratiques. Bref, on va peu à peu vers une situation qui a été prévue par HOBBES si je ne m'abuse : celle de "Tous contre tous". Les Français contre les étrangers, les pro-étrangers contre les anti-étrangers, les ruraux contre les citadins, les clandestins de langue arabe contre les clandestins d'Afrique noire, les blogueurs pour contre les blogueurs contre, etc.
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Si nous gardons raison, nous voyons bien (a) qu'il nous est impossible d'accueillir dignement ces milliers d'immigrants, alors que nous avons du mal à faire vivre nombre de nos compatriotes ; nous ne sommes pas prêts - me semble-t-il - à partager notre terre et nos richesses avec ces clandestins, au prix d'une diminution notable de nos revenus ; (b) nous ne voudrions pas nous arracher à notre patrie, quand bien même nous ne cessons de protester et d'en vouloir toujours plus ; la situation n'est donc pas si mauvaise que cela pour nous ; (c) ce que nous ne voulons pas pour nous, nous ne pouvons le vouloir pour ces miséreux ; une seule solution par conséquent : leur permettre de rester chez eux, d'y plonger très naturellement leurs racines, en favorisant le développement de leur pays par notre contribution technique, scientifique, médicale, financière, en respectant des échanges équitables, en étant très rigoureux sur les critères de régularisation des sans-papiers, et humains dans les mesures d'accueil transitoire que nous réservons aux étrangers ; (d) en étant absolument intransigeant, en cas de naturalisation, sur la bonne connaissance de la langue française, du fonctionnement politique de notre pays, de ses traditions, de ses lois essentielles.
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Tout cela est du bon sens. En agissant ainsi, nous savons que le Royaume n'est pas de ce monde et ne peut l'être. Et nous sommes prophètes. En évitant de faire peser sur les épaules de nos compatriotes qui vivent difficilement et quotidiennement un fardeau que nous ne portons pas nous-mêmes, nous quittons l'utopie. Et c'est bien l'homme concret et non un système d'idées que nous servons.