samedi 21 novembre 2009

Un génie, vraiment ?

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René GROUSSET est un grand connaisseur de l'Orient en général et de la Chine en particulier. J'ai lu nombre de ses livres, car - je l'ai déjà dit - je me suis pris de passion pour l'Empire du Milieu et je suis fasciné par son histoire, son art, sa littérature. Je m'intéresse de très près à ce que dit cet historien. Mais je voudrais, à propos de certains de ses avis, expliquer comment fonctionnent nos mentalités modernes, et comment il nous est possible de trier dans les faits du passé ceux qui nous conviennent ou nous plaisent et ceux que nous préférons passer sous silence.
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Pour René GROUSSET, le Premier Empereur Jaune, celui dont on a retrouvé la tombe habitée de milliers de soldats et de personnages en terre cuite (on a pu en admirer quelques uns à Paris, car la Pinacothèque a consacré une exposition à cet Empereur et à son tombeau), est un des plus puissants génies de l'humanité, un génie qui dépasse César et Alexandre. Le compliment n'est pas mince, et l'on se précipite pour en savoir plus.
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Un génie vraiment, celui qui fit brûler en 212 avant J.-C. les livres classiques et avec eux 460 lettrés qui critiquaient les innovations de l'Empereur et son mépris de la tradition ? Un génie, l'homme qui fit bouillir vivant les féodaux qu'il jugeait hostiles à sa personne ou dangereux pour sa politique ? Un génie vraiment, celui qui fit creuser sa tombe par 700.000 condamnés, castrés au préalable, qui fit ensevelir tous les artisans qui avaient contribué à installer les machines destinées à protéger sa tombe, et toutes les nombreuses épouses qui ne lui avaient pas donné d'enfants ? Un génie ? Un génie l'homme qui envoyait des milliers de jeunes garçons et de jeunes filles se perdre sur la mer à la recherche des Îles habitées par des Immortels ?
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L'intérêt de l'opinion de René GROUSSET réside dans les présupposés de sa pensée. Un homme qui réunifie et centralise un pays, l'uniformise sous une poigne de fer avec l'aide de légistes inhumains, qui unifie poids, monnaie, écriture, largeur des essieux des chars, est un génie à cause de résultats qu'il obtient, et qui sont les effets de sa volonté de puissance. N'est-ce pas dire que la fin justifie les moyens ? Et n'est-ce pas ainsi que la Révolution - mutatis mutandis - a transformé la France ?
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Le même fonctionnement intellectuel est à l'oeuvre dans l'enseignement de la Révolution à nos jeunes. Il ne s'agit pas de nier les améliorations réelles apportées à la Chine par QIN SHIHUANGDI, le Premier Empereur Jaune des QIN, ni celle de certaines lois révolutionnaires. Mais il s'agit de savoir s'il était possible de faire l'économie de ces horreurs pour arriver aux mêmes résultats ? Les uns diront que non, et c'est l'opinion de la majorité des intellectuels français ; les autres diront que oui, et je prétends que cela était possible. Du reste, chez nous, le mouvement avait été donné, le 4 août 1789, par le duc d'AIGUILLON et le vicomte de NOAILLES à l'initiative desquels des privilèges nobiliaires qui, avec le temps étaient devenus des avantages injustifiés, furent abolis. Ne suffisait-il pas d'aller dans cette direction pour obtenir en douceur ce qui fut instauré ensuite par l'injustice, la cruauté et la violence ?
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Bien entendu, la bonne foi de René GROUSSET n'est pas en cause. C'est sa manière d'envisager la fonction du politique qui m'interpelle. Et je me demande si finalement notre système démocratique qui consiste pour une majorité à imposer à une minorité qui ne peut ni discuter ni négocier ni amender n'est pas une forme adoucie de cette manière de triompher par la seule volonté de puissance. Je maintiens que le compromis (pas la compromission) est nécessaire et devrait être imposé par la Constitution.

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