dimanche 4 juillet 2010

Ah ! Simone Weil, que n'êtes vous encore parmi nous !

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En ce dimanche estival, tout baigné de soleil et de lumière, je grappille dans les Écrits historiques et politiques de Simone WEIL, quelques beaux fruits délectables. Et comme j'aime mes lecteurs, il n'est point question de ne pas les leur faire goûter aussi.

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Nos hommes politiques se réclament tous du Progrès. Il y a même des partis qui se qualifient de "progressistes". Les responsables syndicaux, qui ne veulent pas être en reste, mais ne désirent point se commettre dans leurs discours avec ce qu'ils ne contrôlent pas, parlent "d'avancées significatives". Simone WEIL fait litière de ce concept avec une allégresse contagieuse. Que nous dit-elle ?

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"On peut tout accorder au Progrès, car on ignore tout à fait ce qu'il demande. Qui a jamais tenté de définir un progrès ? Si l'on proposait ce thème dans un concours, il serait sans doute instructif et amusant de comparer les formules. Je propose la définition que voici, la seule à mon avis pleinement satisfaisante et qui s'applique à tous les cas : on dit qu'il y a progrès toutes les fois que les statisticiens peuvent, après avoir dressé des statistiques comparées, en tirer une fonction qui croît avec le temps. S'il y a en France - simple supposition - deux fois plus d'hôpitaux qu'il y a vingt ans, trois fois plus qu'il y a quarante ans, il y a progrès. S'il y a deux, trois fois plus d'automobiles, il y a progrès. S'il y a deux, trois fois plus de canons, il y a progrès. S'il y a deux, trois fois plus de cas de tuberculose... mais non, cet exemple ne conviendra que le jour où l'on fabriquera de la tuberculose. Il convient d'ajouter à la définition ci-dessus que la fonction doit exprimer l'accroissement de choses fabriquées."

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Qui ne voit que cette notion de Progrès, si joliment et drôlement définie par ma chère Simone, en vigueur dans le champ politique et économique nous conduit tout droit dans le mur ? On nous parle de développement durable : vaste plaisanterie s'il s'agit de remplacer telle machine par telle autre, moins gourmande en énergie, plus propre. Il s'agit toujours d'objets fabriqués, dévoreurs de matières premières, d'énergie, de techniques déshumanisées. Je comprends que l'on dise de jeunes tourtereaux "qu'ils vivent d'amour et d'eau fraîche". Amour rime avec toujours, et l'eau fraîche, celle qui court dans les prés, jaillit aux fontaines des collines, cette eau là n'est pas bien chère. Encore faut-il en trouver. Aujourd'hui, on fore, on capte, on fait des réservoirs, on construit des châteaux d'eau, on installe des conduites, des canalisations, des siphons, des vannes, des électrovannes, on édifie des barrages de retenue, et l'eau jadis si pure n'a jamais été si rare, si mauvaise et si chère. On n'arrête pas le progrès.

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Merci, chère Simone WEIL, de nourrir notre pensée par la vôtre, si riche, si rigoureuse, austère certes, mais riche de vie et pleine de promesses.

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