lundi 2 juillet 2007

Le mot chien n'a jamais mordu personne

Une déclaration qui ne manque pas de souflle par une responsable politique qui ne manque pas d'air, telles sont les caractéristiques de l'interview que madame Martine AUBRY vient d'accorder à l'Express (N° 2921, semaine du 28 juin au 4 juillet).
Avant d'expliquer pourquoi j'ai ce sentiment, il me faut faire preuve de probité intellectuelle. La mère des 35 heures a certainement précipité le marché du travail dans un cercle infernal en en alourdissant le coût, dans le contexte de la mondialisation. Mais nous devons d'abord admettre que, depuis le début du XXe siècle, la durée du travail a diminué constamment, en raison de l'amélioration de la productivité. L'idée de raccourcir la durée légale du travail n'est donc pas absurde en elle-même. En second lieu, il faut aussi accepter le fait que dégager quelques heures de libres pour les consacrer à sa famille, à ses loisirs, ou à son repos est un bien en lui-même, et un bien désirable. En d'autres termes, on se condamnerait à ne rien comprendre à l'homme en condamnant une mesure qui représente une possible amélioration de la vie.
Ainsi, ma réaction n'est pas fondée sur mon ressentiment pour un ministre qui par pure idéologie, et avec une brutalité sans nom, a voulu imposer une mesure qui est bonne pour les personnes, mais désastreuse pour la société en l'état actuel de l'économie mondiale. Il fallait concilier les deux aspects du problème et non les dissocier l'un de l'autre.
Venons-en à l'interview lui-même. Madame AUBRY y prône, tenez-vous bien, "une sécurité sociale professionnelle qui accompagne les salariés depuis la sortie de l'école jusqu'à la retraite". Et pourquoi pas jusqu'au cimetière ? Comment peut-on dépouiller à ce point les personnes de la responsabilité de leur vie, comment accepter qu'avec de telles mesures, elles finissent par ne plus habiter leur vie ? Comment concilier cette mesure avec "la majesté principielle du moi" (Jean-Claude GUILLEBAUD) ?
"La droite a préempté les questions d'emploi et de salaires : c'est un comble !". Pourquoi, chère madame, faudrait-il que ces questions soient confisquées par la gauche ? Et si les mesures prises par le gouvernement font tomber le chômage à moins de 5 %, objectif affiché par le Président, que direz-vous ? Madame AUBRY parle d'une répartition plus juste des richesses. Soit. Mais qu'est-ce qu'une répartition plus juste ? De nos compatriotes qui ne payent pas d'impôts sur le revenu, qui accepterait gaiement de se voir amputer de 60 % de ceux-ci, s'il était dans le cas de payer cet impôt ? Madame AUBRY est une experte en redistribution des richesses, mais elle a des vues assez courtes en ce qui concerne leur production. Je le redis, on ne peut pas distribuer des richesses qui n'ont pas été produites.
"Face au modèle libéral et financier qu'il [monsieur SARKOZY] propose, nous devons élaborer un autre modèle que je résume par "la justice, la justice, la justice". Quelle belle formule ! Quelle belle incantation ! Qui ne souscrirait à cela ? Mais c'est un slogan, ce n'est pas un programme, et encore moins l'énoncé des moyens qui permettraient d'atteindre cette fin, à laquelle je souscris du reste entièrement.
Qu'est-ce que la justice ? Pourquoi faudrait-il que les "riches" appelés dédaigneusement "les privilégiés" soient moralement condamnables ? En quoi, un inventeur de talent ou de génie (prenons l'exemple de PASTEUR qui a fait fortune avec ses brevets sur la bière, sur le vin, sur le vinaigre, etc.) serait-il un privilégié ? Peut-on nier que par ses travaux PASTEUR ait fait faire à l'humanité un grand pas dans la maîtrise des maladies infectieuses ? Ce service là ne mérite-t-il pas d'être reconnu ? Avant de condamner globalement "les riches", il serait juste de voir d'où viennent leurs richesses. Madame AUBRY ne dit rien de la mesure que les députés de la législature précédente ont adopté à l'unanimité et qui concerne les indemnités versées aux députés battus : ceux-ci percevront pendant cinq ans (et non plus un an) un salaire plein. Voilà un abus de privilégiés, sans compter les très belles indemnités que ce sont octroyés les Présidents des Sociétés Nationalisées du temps que la gauche était au pouvoir. Madame AUBRY n'a de la justice que l'idée d'une justice EGALITAIRE ; elle devrait se faire à l'idée qu'il existe aussi une justice DISTRIBUTIVE (et non pas redistributive !) qui consiste à rendre à chacun selon son mérite.
Madame AUBRY redistribue à tour de bras. Elle n'a aucune autre idée que cette idée fixe de faire payer "les riches", "les privilégiés". Mais il en est de l'économie, comme du courant électrique. C'est l'intensité des échanges qui fait le dynamisme d'une économie, et pour qu'il y ait échange, il faut qu'il y ait d'une part des biens ou des services offerts, et de l'autre des gens capables de les acheter. Nous sommes tous des offreurs et des acheteurs. Je ne vois nulle part que nous ne devons être que des acheteurs (les riches), ou que des offreurs (les travailleurs). C'est la différence de potentiel offreurs-acheteurs qui crée le courant d'échange pour une catégorie donnée de biens.
J'ai envie d'appliquer à madame AUBRY cette boutade de Mark TWAIN (citée par Jean-Claude GUILLEBAUD) : "Quand on ne dispose comme outil que d'un marteau, tous les problèmes ressemblent à des clous". Ou encore ce proverbe anglais : "Le mot chien n'a jamais mordu personne".
Politis-Philippe
PS : je rassure ceux qui me prendraient pour un ractionnaire en leur rappelant que je fais mienne cette parole de Jésus : "Il est plus difficile à un riche de rentrer dans le Royaume des cieux, qu'à un chameau de passer par le trou d'une aiguille". Mais ce n'est pas cela que dit madame AUBRY, qui n'est pas Jésus (ça se saurait !). Pour moi, c'est le seul aspect désespérant et dangereux de la richesse, celle qui se crispe sur elle-même, dans un splendide et dramatique isolement, une autosuffisance suicidaire. Mais j'ai connu des humainement riches, qui étaient d'authentiques pauvres spirituels, dont la main gauche ignorait ce que la droite avait donné.

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