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L'homme marche d'un pas rapide. Il veut aller à la messe, et il ne lui reste plus que quelques minutes. Déjà la nuit est tombée ; les lampadaires de la rue de Varize jettent une lumière oblique sur un trottoir antique, jonché de feuilles. Peu de passants. Eux aussi se hâtent de rentrer. Ce n'est pas la froidure qui les presse, mais une sorte de peur archaïque ; l'atmosphère est blafarde, sinistre, étrange.
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Au coin de la rue, deux hommes sont assis par terre sur le rebord d'un portail métallique, fermé depuis longtemps, et qui le sera sans doute pour toujours. Ils parlent fort ; leur gaieté est factice : ils ont bu. L'un d'eux, un grand noir, coiffé d'un chapeau de feutre d'où sortent d'abondantes tresses qui tombent sur les épaules, se lève et dit à l'homme pressé :
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"Quand on n'a pas de réseau, est-ce qu'on est encore vivant ?"
La question mérite réponse. Elle lui est donnée par l'homme pressé.
"Vous n'auriez pas deux ou trois euros, par hasard ?" L'histoire du réseau, un piège ?
"Je ne les ai pas pas."
"Si vous les avez."
"Non. Si je les avais, je vous les donnerai." L'homme pressé ment. Il sait qu'il ment.
"Vous les avez."
"Non. Je vais voir ce que je peux faire"
Il ment. Il les a, un billet de cinq euros. Il a bien l'intention de ne rien faire du tout. Il ment, mais il se souvient de ce qu'il a dit sur le mensonge.
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Allons ! Il va faire de la monnaie chez l'épicier arabe ; "Au panier du Prince", n'est-ce pas un beau nom pour une enseigne d'épicier ?
L'homme pressé achète un rocher au chocolat, prend sa monnaie, retourne voir le grand noir. Il lui donne le rocher et les deux euros.
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"Respect, monsieur ! Respect" dit le grand noir qui a bu et sent l'alcool, un alcool blanc et parfumé, sans doute du kirsch.
L'homme pressé a l'impression de s'être fait avoir, de s'être laissé manipuler par un habitué de la manche, un habile. Mais il ne regrette rien. Le grand noir voulait deux ou trois euros. Il les a eus. Et un gros rocher au chocolat en plus.
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Je connais bien l'homme pressé. Je suis arrivé à l'heure à la messe.
4 commentaires:
Cher PP
C'est bien beau, serait-ce une parabole? Pour continuer mon rôle ...puis-je dire que le rocher en chocolat était de trop. Le "clodo" ne vous en avait pas demandé. N'auriez vous pas dépassé la mesure. Jésus a dit à l'aveugle "Que veux-tu que je fasse pour toi?" (pourtant il voyait bien qu'il ne voyait rien!!!) "Que je voie... que j'ai deux euros... Et il ne lui a pas donné un rocher en chocolat en plus.
Amicalemenr.
Cher Olibrius, la chose est simple. Je n'avais rien à acheter chez l'épicier arabe. J'ai juger qu'un rocher en chocolat à 1 euro faisait les trois euros réclamés. sans autre arrière pensée. MAis peut- être avez-vous raison. Bien amicalement.
j'avais bien dit qu'il y avait de la provoc de ma part parce que j'ai pensé exactement ce que vous aviez fait. A+
Cher Olibrius, pardon pour ma faute d'orthographe. Il faut lire "j'ai jugé" bien sûr et non pas "j'ai juger". Je pensais bien que vous aviez compris le problème du rocher au chocolat, car je vous soupçonne d'être doué d'une grande finesse.
En tout cas, merci mille fois pour vos remarques stimulantes.
Amicalement.
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