On aurait pu l'écouter pendant des heures. Il vit en Inde depuis le milieu des années 1960, avec les pauvres des slums, (des bidonvilles), et depuis cinq ans, il est aumônier d'une léproserie et habite avec les lépreux de Calcutta. Car il est prêtre du Prado et il a très tôt décidé de s'occuper des pauvres, selon le charisme de son Institut. C'est hier soir que j'ai assisté à sa causerie inopinée.
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Il avait décidé, en accord avec ses supérieurs, de conduire une étude sociologique des bidonvilles ou slums de l'Inde qui font une ceinture de misère, et de fange aux grandes villes de ce pays, pour trouver quelques causes à cette offense faite à l'homme, et tenter d'y remédier. Il lui fallait pour cela trouver un habitant de ces cités, un chrétien, qui acceptât de partager sa hutte. [Car les slums sont faites de huttes de quelques mètres carrés de surface, aux murs de terre et aux toits de feuilles de palmier (ou de tôle ondulée dans le meilleur des cas si j'en crois les reportages que j'ai vus sur ces cités).] Le curé de la paroisse desservant le "petit" slum de Madras, ville par où le Père X... désirait commencer son enquête le met en rapport avec une de ses ouailles, un jeune marié qui vient d'avoir son premier enfant. Le Père se réjouit et au jour convenu pour l'accueil, il arrive chez le jeune couple. Là, il est consterné de constater que celui-ci lui laisse l'entière disposition de la hutte d'une scrupuleuse propreté, et qu'il a trouvé à se "loger" chez des parents. L'homme l'accueille, tenant son enfant dans ses bras, et le jeune maman, au moment où il pénètre dans la pauvre hutte, s'agenouille sur le sol en terre battue et lui dit : "Nous ne sommes pas digne d'accueillir un prêtre du Seigneur dans notre maison".
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Il restera là de longs mois. Je ne sais plus si c'est à MADRAS ou dans un slum de BENGALORE, qu'il vit dans une hutte placée juste en face de la demeure d'une prostituée. Elle est hindoue de religion. Plusieurs fois, elle a prié le Père X... de venir bénir sa "maison". Il a hésité. Et finalement il accepte. Il entre. Il n'y a rien ou presque dans la pièce. Simplement une image, et cette image est celle de Marie tenant en ses bras Jésus.
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Dans un slum de CALCUTTA, en raison de l'énorme travail pastoral qu'il doit conduire, le Père X se fait aider par un indien du nom de RAÏCADAS (orthographe non garantie). Certes, celui-ci est chrétien. Mais le Père n'est pas très assuré de sa sincérité. Ces prières qu'il fait avec insistance, sont-elles la contrepartie du maigre salaire que le Père lui alloue ? Un jour, alors qu'ils étaient en train de déjeuner (un peu de riz et un petit morceau de poisson), on frappe à ce qui sert de porte. C'est un mendiant. RAÏCADAS se lève d'un bond et lui tend son assiette. Le mendiant s'éclipse. Le père sermonne un peu RAÏCADAS : j'aurais pu donner un tiers de mon plat, toi un tiers, et nous aurions pu partager. Alors, RAÏCADAS lui bourre le bras d'un coup de poing : "Toi, tu ne sais pas ce que c'est que d'avoir faim".
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Dans ce slum, où coexistent des musulmans, des hindous et des chrétiens, le Père rencontre souvent une fillette, SAVITI, désireuse de connaître JÉSUS. Elle se délecte de l'Evangile, bien qu'elle ne soit pas baptisée, et elle le répand de maison en maison. Elle demande le baptême et devenue LUCIE, elle conduit le Père dans les huttes qu'elle a repérées pour qu'il puisse visiter les malades, les veuves, et les plus pauvres des pauvres. Devant la propre hutte du Père X..., dans la ruelle qui sert d'égout à ciel ouvert, en face de l'ouverture qui fait office de fenêtre, mais ressemble plutôt à une meurtrière, il y a un petit tas d'ordures. Il est constamment fouillé par les habitants à la recherche d'un petit morceau de charbon, échappé à la vigilance d'une ménagère pressée, d'une pelure de fruit, d'un très hypothétique relief de repas.
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Il faut aussi l'entendre parler de ces lépreux. Une courte anecdote. L'un d'eux, un jour, s'avance vers lui. La maladie lui a ravagé le visage, et il a déjà perdu ses deux mains. Entre ses deux pauvres moignons, il tient une fleur qu'il lui offre.
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Le Père X... a dit bien d'autres choses. J'en retiens trois :
(a) Les habitants des slums ne sont ni révoltés ni résignés ; ce sont des hommes et des femmes debout. Ils s'occupent de leurs enfants d'une manière admirable et tendre et font pour eux tous les sacrifices pour les sortir de la misère.
(b) Les habitants des slums sont des hommes et des femmes de prière. Tous les soirs, les femmes musulmanes se retrouvent et prient le Coran ; les hindous récitent des invocations à leurs dieux, les chrétiens se réunissent pour prier, et l'on entend le murmure de cette prière monter vers le Ciel, en même temps que les fumées de l'encens que les uns et les autres utilisent largement pour honorer Dieu. J'emploie à dessein le singulier : "cette prière". Et ne venez pas me dire qu'ils ne sont pas l'Eglise de Dieu. Souvent, il vint au Père ce reproche : "Mon Dieu pourquoi les as-tu abandonnés", tant il était écrasé par le poids de la pauvreté pesant sur ces intouchables. Et c'était ses paroissiens qui le réconfortaient.
(c) Il y a trois péchés du monde : les dépenses d'armement, les exigences des grands trusts pharmaceutiques internationaux qui barrent l'accès des pauvres aux médicaments, l'aveuglement des riches qui verraient d'un bon oeil l'anéantissement de ces pustules de misères, si besoin au moyen de bombes atomiques (comme l'ont dit au Père X... deux personnes de sa connaissance ; je ne sais si elles étaient indiennes ou européennes).
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Jamais je n'ai été provoqué aussi profondément par ce témoignage. J'ai pris deux décisions : l'une que je garde pour moi ; l'autre, c'est de faire de la publicité pour L'ASSOCIATION FRANCAISE POUR L'ENFANCE ABANDONNEE qui prend en charge des foyers d'accueil d'enfants indiens. Le siège de l'Association est à Nantes. Parrainez-un enfant indien. Il est accueilli dans des Foyers à BOMBAY, Foyers créés par un jésuite indien que j'ai eu l'honneur de rencontrer quand je vivais encore à STRASBOURG. Soyez généreux. Car "Dieu aime ceux qui donnent avec le sourire."
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