vendredi 7 octobre 2011

Ai-je bien compris ?

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Je n'ai pas suivi le dernier débat (ni le premier, ni le second du reste) entre les candidats aux élections primaires du PS. (Ne trouvez-vous pas que ces élections primaires ont un petit goût américain ? Curieux pour des responsables politiques qui critiquent le capitalisme ou le libéralisme, non ?) Je n'ai fait qu'en lire les compte-rendus. A contre-coeur, je dois le dire, il me faut reparler de monsieur François HOLLANDE, auquel je m'étais promis de ne plus jamais faire allusion.
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Si le sujet n'était pas aussi grave, il y a aurait de quoi se taper le derrière par terre de rire. Enfin, d'après ce que je crois avoir compris des propositions assez nébuleuses du "favori des sondages". Un  des moyens de créer des postes d'enseignants consisterait, (si j'ai bien compris, j'insiste), à supprimer les redoublements. Il faut avoir de sacrées oeillères pour proposer une telle imbécillité. Dans tel collège du Bas-Rhin, que je ne nommerai pas, le Principal me disait que 20 % des élèves arrivent en sixième sans savoir lire correctement, et ne possèdent que 300 à 400 mots de vocabulaire. Cent cinquante mille jeunes de 16 ans quittent tous les ans le collège sans diplôme et sans qualifications, et sont aiguillés vers des voies sans issues et socialement marquées par la honte et la dévalorisation. Supprimer le redoublement, c'est condamner définitivement l'élève à aller d'échec en échec, à en faire un révolté, un aigri, un malheureux. Mais les statistiques sont sauves. Vive monsieur HOLLANDE !
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Je me permets se signaler à l'intention du candidat la lecture du rapport publié par l'Institut pour la Promotion du Lien Social sur la prise en charge des élèves en difficulté (siège STRASBOURG) ; j'ai été le Président de cet Institut pendant 3 ans et c'est pendant mon mandat que cette enquête, conduite par une armée nombreuse de bénévoles, a été réalisée. Nous avons analysé plus d'une centaine de réponses à des entretiens faits auprès des principaux, des conseillers principaux d'éducation, des assistantes sociales, des infirmières scolaires, des conseillers d'orientation psychologues, des professeurs principaux. Chaque entretien a duré entre une heure trente et deux heures et a fait l'objet d'une retranscription soigneuse avant analyse de contenu. La lecture de ce rapport est éclairante, je dirai même édifiante.
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Il faut quand même savoir que dans tel autre collège de la banlieue de STRASBOURG, un professeur principal nous confiait que, sur une heure de cours théorique, il arrivait à enseigner pendant dix minutes au plus, et qu'un jour un élève lui a dit : "monsieur, vous pouvez dire ce que vous voulez, on s'en fout". La vérité est qu'on ne peut pas faire boire des ânes qui n'ont pas soif, et que l'institution de l'Education dite Nationale navigue à l'aveugle, complètement dépassée par l'ampleur des phénomènes sociaux qui bouleversent notre pays en particulier et les pays développés en général. Elle ne parvient pas à susciter l'intérêt du plus grand nombre. Et ce n'est pas seulement une question de méthode. Lui coller la responsabilité de cet échec est certainement injuste ; la crise est une crise de système. Le courage politique consiste à la regarder en face et à en tirer les conséquences pratiques : critique perpétuelle de l'autorité, absence d'inculturation d'un nombre croissant d'enfants d'origine étrangère, chômage des parents, développement de trafics en tout genre dont le rendement est plus juteux que celui d'un travail honnête, culte de la facilité et du plaisir promu par les médias, par la publicité, matérialisme total des doctrines politiques qui se disputent âprement le pouvoir, etc. 
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Prétendre créer 60.000 postes d'enseignants en 5 ans, pour faire face au problème, est une imbécillité de plus à mettre au compte déjà chargé du candidat à la candidature. Je ne parle même pas du coût insensé de cette mesure. Il me semblerait bien utile que l'administration de l'Education Nationale commence par faire ménage et fasse un recensement exact de son personnel. Or, présentement, personne, je dis bien personne, n'est en mesure de dire combien il y a d'enseignants titulaires, stagiaires, contractuels, en congé maladie, remplaçants. Il conviendrait ensuite de dresser la liste des enseignants qui, pour diverses raisons, dont certaines très valables, n'enseignent pas   et sont payés par l'Education Nationale. C'est bien joli d'épingler Luc FERRY qui, professeur des universités, n'a pas donné de cours tout en continuant de percevoir son salaire. Mais allons plus loin : combien d'enseignants ont des décharges dites "syndicales" ? Combien d'enseignants titulaires académiques (remplaçants) ne remplacent pas, car il n'y a personne à remplacer ? Combien de professeurs de disciplines rares (souvent des langues étrangères) n'enseignent pas faute d'auditeurs ? Une mesure utile ne consisterait-elle pas à former des professeurs bivalents (il en existait il y a quelques années ; j'en connais un, un ami alsacien, qui enseigne les mathématiques et l'éducation physique) ? Une autre enquête à conduire : déterminer avec précision le nombre de jeunes titulaires d'un CAPES ou d'une agrégation qui, dégoûtés des conditions dans lesquelles on les fait enseigner, dépourvus de tous moyens de coercition et de sanction, démissionnent de leur poste au bout de deux ou trois mois (j'en connais) ? Est-il normal de nommer d'emblée les plus jeunes professeurs, sans expérience ou peu expérimentés, dans des Collèges ou des Lycées réputés "difficiles" ? Ce sont là de vraies questions.
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Lors des dernières années de ma carrière, mon Doyen m'a demandé d'enseigner la biologie cellulaire en première année des études pharmaceutiques. Ce n'était pas ma discipline, j'étais agrégé de virologie, mais faire de la virologie sans connaître un minimum (c'est peu dire) de biologie cellulaire est impossible. Mon Doyen avait raison. Une semblable aventure m'est arrivée à mes tout débuts : on m'a chargé de l'enseignement de mycologie (micromycètes), discipline qui m'était parfaitement inconnue. Il a bien fallu que j'apprenne. Je dois dire que ce fut difficile. C'était même une corvée. Je m'en suis acquitté du mieux que j'ai pu jusqu'à l'arrivée dans notre faculté d'un spécialiste très qualifié.
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Monsieur HOLLANDE veut recruter 60.000 enseignants ? Sur 5 ans ? Encore faudrait-il qu'il ait des candidats (le métier est de moins en moins attrayant) et des candidats compétents. Bien sûr on peut arriver par des mesures incitatives à avoir ce nombre de postulants. S'assurer de leur compétence est une autre affaire quand on voit le nombre de candidats recalés au CAPES ou à l'agrégation dans la forme actuelle des concours.
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Enfin, croire qu'un professeur qui ne peut tenir une classe de 30 élèves, tiendra fermement en main une classe qui en fait 25 est une imposture. En outre, un simple calcul indique que le temps dégagé par cette diminution des effectifs est de 18 %. Sur une classe de 30 élèves et pour une heure, un professeur peut théoriquement consacrer 2 minutes à chacun de ses auditeurs. S'ils sont 25, cela lui donne 20 secondes de plus à consacrer à chacune de nos têtes blondes ou brunes. Il y a un intérêt évident à augmenter le nombre de professeurs, mais ce n'est pas celui des enfants, c'est le leur, car 18 % de temps en moins pour les corrections des devoirs et des compositions, ça fait du temps en plus pour regarder la téloche, siroter un apéro, ou lire un bon roman. (Que l'on prenne cette remarque avec recul ; elle est faite cum grano salis !)
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Nostalgie du bon vieux temps des hussards noirs ? Pas du tout. Car il y  avait un souffle, une générosité, du dévouement dans cette entreprise. On peut en contester certains aspects (et je les conteste, mais seulement les aspects négatifs). Ces candidats-là se moquent de nous. Je préférais l'idée de Ségolène ROYAL. Faire raccompagner en leur domicile des policières par des policiers, c'est tout de même plus sexy.
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1 commentaire:

tippel a dit…

Philippe Poindron a dit « Cent cinquante mille jeunes de 16 ans quittent tous les ans le collège sans diplôme et sans qualifications, et sont aiguillés vers des voies sans issues et socialement marquées par la honte et la dévalorisation. »
Ce n’est pas 150 000 mais plutôt 170 000 à 180 000 qui quittent l’école sans rien, sinon un diplôme de petit délinquant en herbe.
Pour ce qui est de la honte et de la dévalorisation, voir les politiques qu’une partie des français réélisent régulièrement pour faire obstacle au Front National.
Quand aux Conseillers principaux d'éducation, des infirmières scolaires, des conseillers d'orientation, des psychologues, leurs suppressions seraient une bonne idée et de plus des économies importantes sur le budget du mammouth.

« Est-il normal de nommer d'emblée les plus jeunes professeurs, sans expérience ou peu expérimentés, dans des Collèges ou des Lycées réputés "difficiles" ? Ce sont là de vraies questions.»
a) L’école de la république bananière française est la même partout c’est le refrain rappelé sans cesse par les politiques républicains élus au gouvernement depuis 2 siècles.
b) je ne suis pas enseignant, mais je ne vois pas pourquoi un prof de 50 berges devrait se taper les conneries des autres en fin de carrière.

« Enfin, croire qu'un professeur qui ne peut tenir une classe de 30 élèves, tiendra fermement en main une classe qui en fait 25 est une imposture. »
Je trouve cette expression ‘tenir sa classe’ » approprié pour des dresseurs de chevaux sauvages alors que vous parlez d’instruire, non vraiment il est temps de remettre de l’ordre dans les mots et les choses en virant tous ces voyous.